La bonne et la mauvaise propagande, d’après André Pratte

2012/09/05 | Par Léo-Paul Lauzon

En 2006, avec l’approbation des associations étudiantes, les syndicats d’enseignants ont distribué aux étudiants des cégeps du Québec une brochure de sensibilisation abritant neuf thèmes, comme la dette, les droits de scolarité, le rôle de l’État et l’équité intergénérationnelle. À remarquer que ce fascicule fut distribué à des étudiants de niveau collégial et non au primaire, avec l’accord de leurs associations.

Misère, mal leur en a pris, car le lendemain de la parution de cette nouvelle, soit le 30 août 2006, mon ami rédacteur en chef à La Presse, André Pratte, très contrarié, pondit un éditorial qui condamnait énergiquement cette «manœuvre d’endoctrinement». Son papier engagé s’intitulait : «Profs ou militants».

Voyons donc, pour André Pratte et ses sbires à La Presse tout ce qui émane des regroupements de travailleurs et d’écologistes n’est que, et ne peut être que, militantisme, intoxication, propagande, dogmatisme et j’en passe.

Mais, quand les compagnies et les banques distribuent leur pamphlet, pas seulement au collège, mais aussi au primaire, ça ne peut qu’avoir une grande vocation pédagogique, dont le seul louable objectif est d’éveiller intellectuellement nos marmot aux vraies affaires de la vie.

Dehors le pelletage de nuages. Tout ce qui est distribué par les affairistes dans les écoles est pour Pratte et compagnie d’une objectivité irréprochable que l’on doit considérer comme un geste débonnaire. À ne pas oublier que leur matériel «didactique» est déductible d’impôts, donc effectué en partie à vos frais.

Pour les compagnies, leur «stock» distribué «gratuitement» à nos jeunes relève de leur responsabilité sociale et de leur code d’éthique capitaliste. Quant aux syndicats, on le sait bien, ils ne tiennent qu’à «brainwasher» nos marmots à leur doctrine «communiste».

Et vous, que dites-vous? Il y a la transnationale américaine Kellogg’s qui distribuait dans nos écoles des guides pour une saine alimentation avec son logo bien en vu. Toujours aucun écrit de monsieur Pratte, d’Alain Dubuc ou de Lysiane Gagnon sur Kellogg’s.

Et, récemment, soit le 25 avril 202, les médias nous annonçaient que le puissant oligopole de l’industrie des organismes génétiquement modifiés (OGM) a réussi à faire entrer à l’école son pamphlet «Cyclades», approuvé par le ministère de l’Éducation, qui vante à tour de bras les OGM.

Jamais il ne serait venu à l’esprit de Pratte de rédiger un éditorial qui aurait pu s’intituler : «Étudiants pris en otage par les affairistes». Mais non, lui et ses acolytes préfèrent beaucoup plus écrire de la retaille intellectuelle du genre : «Les étudiants pris en otage par le syndicats» et «Les étudiants collégiaux et universitaires prennent la population en otage».

Et, depuis 2001 (Les Affaires, 30 juin 2001), les banques offrent un séminaire dans nos écoles, donné par des employés de banque qui, par exemple, mentionne que «la carte de crédit est un moyen idéal de se constituer un bon dossier de crédit». Une carte de crédit avec des taux shilockiens, ne l’oublions pas.

C’est pourquoi certaines institutions financières envoient par la poste à des enfants de 7 ans des cartes de crédit non sollicitées comme l’avait mentionné le Journal de Montréal dans un excellent dossier (1er septembre 2011).

Rien de mal à ça, c’est pour le bien de nos jeunes qu’ils font ça, afin de les éveiller à un âge précoce à la finance et à l’endettement. Malgré tout, l’Association des banquiers canadiens a maintenu, la main sur le cœur, que le contenu du cours des banquiers était «neutre».

Encore aucun écrit d’André Pratte là-dessus, pas plus que sur l’initiative de Pizza Hut qui donnait des pizzas gratuites aux élèves. Que de générosité. L’irréductible Jacques Ménard de la Banque de Montréal ne voit que du bien dans ces manœuvres de «conscientisation» puisqu’il a signé une énième opinion dans La Presse du 4 mars 2010 intitulée : «L’éducation financière, une nécessité… surtout aux jeunes».

Vous avez bien lu, c’est une nécessité. Cré Jacquot, toujours le même. Il ne changera jamais et c’est exactement pourquoi André Pratte, La Presse et Power l’aiment. Nous aussi, on t’aime Coco Ménard.

En 2006, il y a eu aussi cette grandiose initiative. L’Université Laval s’est associée avec Sobey’s-IGA afin d’ouvrir un supermarché-école (sic) sur le site de cette vénérable institution d’enseignement (Le Devoir, 16 février 2006).

Ça s’intègre bien dans le décor puisque le campus de l’Université Laval ressemble plus aujourd’hui à un centre d’achats ou à un parc industriel qu’à une institution de haut savoir. Encore rien à redire de la part de mon rédacteur en chef préféré.

Même dans les urgences d’hôpitaux, le Groupe Jean Coutu fait de la publicité, comme le mentionne le titre de cet article du Journal de Montréal du 19 avril 2005 : «À l’urgence, on trouve même un ami». Il y a aussi de plus en plus de cours d’écoles publiques commandités par l’entreprise privée (Journal de Montréal, 13 avril 2005). Faudrait surtout pas avoir de la publicité syndicale dans nos urgences et des cours d’écoles commandités par la FTQ ou la CSN, Pratte grimperait dans les rideaux et même dans la tapisserie!

Tiens, une autre parue dans Le Devoir du 22 juin 2011 sous le titre de : «Dessine-moi un puits de gaz de schiste». C’est la multinationale albertaine Talisman, très présente au Québec, qui a eu cette idée géniale de distribuer aux enfants un cahier à colorier.

Talisman, c’est du ben bon monde, puisque c’est elle qui défraie le gros salaire de Lucien Bouchard qui agit au Québec à titre de lobbyiste en chef. Toujours aussi comique, pour ne pas dire cynique, Lucien Bouchard a prétendu travailler pour le mieux-être des Québécois.

Enfin, il y a cette nouvelle parue dans Le Devoir du 20 juin 2012 : Pétrolia mène une opération de charme auprès des Gaspésiens : pas à l’école, mais à la télé communautaire, puisque les gros câblodistributeurs comme Videotron et Cogeco ont jugé que c’était d’intérêt général et non particulier.

Quelle farce grotesque de voir les business et leurs propriétaires avoir gratuitement droit à la radio et à la télécommunautaire pour nous «brainwasher» encore plus. Pas moyen d’échapper à l’idéologie capitaliste de la classe dominante.

Même si vous ne voulez pas de cette propagande financière dans vos écoles, le patronat et leurs politiciens asservis vont vous l’imposer de force. C’est avec des articles comme ceux qui suivent que l’on va vous farcir la cervelle afin de vous soumettre à leurs diktats et à leur vision du monde.

«De la formation financière dès le primaire» (La Presse, 2 juillet 2010) que nous ordonne Frank McKenna, ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick recyclé, comme plusieurs autres politiciens, dans l’industrie bancaire et plus précisément à la Banque Toronto-Dominion (TD).

Et dans Le Devoir du 10 février 2011, il y a le président de la Sun Life, Donald A. Stewart et l’invincible L. Jacques Ménard de la Banque de Montréal qui ont dit : «L’initiation à la finance devrait commencer dès l’école primaire». Un coup parti, messieurs, pourquoi pas à la maternelle?

Imaginez, le gouvernement conservateur fédéral de Stephen Harper a mis sur pied et subventionné généreusement un groupe de travail sur la littératie financière composé de banquiers, d’assureurs, etc. Le mépris continue de plus belle et ils prétendent malgré tout être à l’écoute et consulter la population. Toujours rien à cet effet d’André Pratte et de sa gang de préposés et de commis.

Pour le bien de nos enfants, les parents doivent s’objecter énergiquement à l’introduction de cours de finance à l’école. Ça va faire les folies! Ce qu’il faut pour nos jeunes afin de les éveiller, de les instruire et de les sensibiliser aux autres, à l’environnement et au reste du monde, il me semble qu’il faudrait plus de cours d’histoire, d’environnement, de géographie, de littérature et d’art en général, bien plus que de vulgaires cours de finance qui vont leur enseigner les rudiments des cartes de crédit, des abris fiscaux, de l’utilité des banques privées, etc.

Tiens, pourquoi pas une dernière juste pour vous, parce que mon amour pour vous surabonde : «Offensive publicitaire d’Enbridge pour défendre ses oléoducs» (Le Devoir, 11 août 2012). Quel mauvais titre d’article. Moi je l’aurais plutôt intitulé : «Offrande informative d’Enbridge afin de vanter ses inoffensifs oléoducs, tant pour l’humain que pour l’environnement, construits uniquement dans une optique de bien commun, d’intérêt supérieur de la collectivité et de création de richesse pour tout le monde».

Bookmark