Fait divers au Métropolis

2012/09/07 | Par Aimé Lagarde

Comme si la politique était un sport extrême, un discours à la limite du machisme, du sexisme et de la haine.

Comme si débattre voulait dire combattre, plutôt que rechercher le consensus; vaincre plutôt que convaincre; confondre et abattre plutôt qu'argumenter, faire entendre raison, persuader et gagner à son point de vue.

Comme si, dans un face à face, il était normal et légitime de n'avoir aucun respect pour son adversaire, de brimer son droit de parole et de nier son existence.

Comme si le fin du fin d'un débat public consistait à compenser la vacuité de son propos et la nullité de ses intentions en déversant avec hargne, mauvaise foi et tonitruance sur son opposant abasourdi un flot ininterrompu de paroles vides de sens mais débitées avec toutes les apparences de la vertu offensée et de l'indignation la plus légitime.

Comme si le summum de la quintessence de l'art oratoire consistait à répéter avec la dernière des énergies des slogans éculés et à marteler avec une verve intarissable, une fougue outragée et une parfaite maîtrise des envolées oratoires surannées, des rafales d'accusations fumeuses et d'arguments mensongers.

Comme si là aussi la fin justifiait les moyens et que le but ultime de la prise de parole et de la joute oratoire était le contrôle de l'autre, son humiliation, son extermination.

Comme si la violence volontaire, systématique et organisée du discours, la violence des décrets et des lois, la violence de la propagande récupérée, épluchée, amplifiée par une presse complaisante, avide de sensationnel et en mal de copie n'était pas mille fois plus sale, plus dégradante, plus insidieuse, plus lâche et plus offensante pour la raison que la violence occasionnelle, de dernier recours de la rue, des pancartes brandies, du carré rouge innocemment porté et des casseroles percutées dans un malhabile tintamarre.

Comme si, pour décider en ultime instance de la voie à prendre à un moment crucial de notre société en évolution trop tranquille, l'appel au peuple souverain était le comble de l'horreur et la pire des calamités.

Comme si, en démocratie, le référendum était le comble de l'aberration, la pire dépravation, l'abomination suprême et la faute capitale, en soi foncièrement condamnable et valant sans autre forme de procès l'excommunication à ses partisans et à ses promoteurs.

Comme si le Mal venait essentiellement de la femme. Et qu'en 2012 comme au temps des sorcières et de l'inquisition, sa place était encore au foyer: Kinder, Küche, Kirche. Et non pas à la tête de l'État.

Comme si nos outrances langagières, répandues inconsidérément par les clowns du débat politique, et repassées en boucle par les professionnels du léchage de bottes n'étaient pas la source même où s'abreuvent à l'envi les radicaux, les extrémistes et les déséquilibrés.

Comme si, au Québec comme ailleurs, la réalité de l'assassinat politique devait être voilée, niée jusqu'aux limites de l'insoutenable, parée qu'elle est encore, en nos âmes et consciences, du nom glorieux de crime d'honneur.

Comme s'il suffisait, l'irréparable étant commis, de le nier, de n'en parler qu'avec circonspection, de ne l'effleurer que du bout des lèvres pincées, de camoufler le crime et l'attentat politique sous l'appellation radio-canadienne de «fait-divers».

Et de décider qu'après tout, nous ne sommes pas si mauvais, en tant que société; et que s'il y a des pommes pourries, assez malhabiles qui plus est pour se faire poigner, il n'y a qu'à laisser la police s'en occuper.

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