Couche-Tard : un an plus tard

2012/09/11 | Par Maude Messier

Il y aura un an, samedi prochain, le 15 septembre, Couche-Tard fermait subitement les portes du dépanneur situé à l’angle des rues d’Iberville et Jean-Talon.

Il s’agissait du premier établissement syndiqué de la chaîne. Le syndicat et l’employeur négociaient les termes d’une première convention collective depuis sept mois puis, abruptement, Couche-Tard mettait la clef dans la porte pour cause de non rentabilité.

« Il était rentable à 150% ce magasin-là. Au coin des rues, ouvert 24 heures sur 24, en face du métro. Jour, soir et nuit, il y avait toujours quelqu’un au magasin. On a toujours dépassé les objectifs financiers », indique Luis Donis, aujourd’hui président du Syndicat des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard de Montréal et Laval. Il y a travaillé pendant six ans, dont trois comme assistant-gérant. Faire entrer le syndicat dans ce dépanneur, c’était son initiative.

Sur le plan des négociations, Luis Donis soutient que le normatif était pratiquement réglé. « C’est sur le monétaire que ça a bloqué. » Il explique que, le 15 septembre, deux cadres de l’entreprise sont entrées dans le magasin et ont annoncé aux employés la fermeture immédiate de l’établissement.

«Il y avait des gardiens de sécurité avec elles qui empêchaient les clients d’entrer. On nous a dit qu’on avait deux minutes pour ramasser nos effets personnels. Les gardiens nous ont surveillés et talonnés, comme si on allait voler de la gomme! Ils nous ont traités comme des sauvages. »

L’ironie du sort a voulu que cette journée soit aussi le premier jour de moyen de pression des employés désireux de faire avancer les négociations. Ils portaient un macaron avec l’inscription : « Se faire respecter est un droit ».



Pratiques douteuses

Rappelons que, quelques mois plus tôt, Couche-Tard avait évoqué les mêmes raisons pour justifier la fermeture d’un autre dépanneur à Montréal, situé sur la rue St-Denis, au coin de Beaubien. « Même cadre, même procédure. Dans la journée, c’était fermé, placardé et vidé. »

Depuis le tout début, le processus de syndicalisation chez Couche-tard est houleux et ponctué de pratiques antisyndicales. La CSN avait même mis la main, il y a un peu plus d’un an, sur une vidéo que l’on présentait aux employés, dans laquelle Alain Bouchard, le président de Couche-Tard, mettait en garde les travailleurs qui souhaitaient se syndiquer, les menaçant de représailles à peine voilées.

Pour Luis Donis, les pratiques déloyales de son employeur sont bien réelles. « Au départ, ils voulaient fermer les établissements qui se syndiquaient. Mais c’est trop évident, et illégal. Ce n’est pas bon pour leur image. Maintenant, ils renvoient plutôt les employés. Avec du roulement de personnel, ils espèrent certainement contester les accréditations syndicales plus tard. »

Mais les travailleurs ne sont-ils pas protégés contre de telles représailles? « Oui, et la CSN fait bien son travail là-dedans et dépose des plaintes. Mais ils gagnent du temps. »

Il cite en exemple le cas du dépanneur de Saint-Hubert, sur la Rive-Sud de Montréal. « Il y a six employés là-bas. Bien, depuis le début du processus de syndicalisation, il y a eu dix mises à pieds! »

Bien entendu, d’autres motifs sont évoqués pour les mises à pied. « Ils se servent des caméras de surveillance pour espionner les employés. Au moindre faux pas… » La CSN a d’ailleurs dénoncé à maintes reprises l’intimidation exercée par l’employeur à l’endroit des travailleurs.

Avec une requête en accréditation syndicale déposée la semaine dernière par les travailleurs du dépanneur de Boisbriand, sept établissements Couche-Tard sont maintenant syndiqués, ce qui représente une centaine de travailleurs : Victoriaville, Saint-Liboire, Saint-Hubert et trois dépanneurs à Montréal (Roxboro-Pierrefonds, St-Denis et Iberville).

En ce qui concerne les deux établissements fermés par mesure de représailles, les audiences ont repris le 5 septembre à la Commission des relations du travail. Il faudra cependant attendre encore plusieurs mois pour connaître le jugement.

La volonté d’un groupe de travailleurs, déterminés à faire respecter leurs droits, s’est transformée en véritable bataille syndicale. Ils souhaitent que leur employeur respecte les normes du travail, ce qui ne serait pas toujours le cas, selon la CSN. Ils réclament des améliorations aux conditions de santé de sécurité au travail, des augmentations de salaire allant jusqu'à 12,80 $ l'heure, pour les préposés, ainsi que quatre journées de maladie payées.

« Aux tables, ils n’arrêtent pas de nous dire que ce n’est pas possible de hausser les salaires, qu’ils n’ont pas les moyens, que les magasins sont petits, que ce n’est pas payant. Couche-Tard allègue que, de toute façon, ce sont des emplois d’étudiants pour justifier les conditions de travail, ce qui est totalement faux », s’indigne Luis, lui-même jeune père de famille.

Il ajoute que l’entêtement de Couche-Tard à barrer le syndicat à tout prix lui coûte certainement plus cher en frais d’avocats que d’en arriver à une entente négociée avec ses employés.

Malgré l’acquisition du détaillant norvégien Statoil Fuel & Retail, ce qui a engendré une hausse des frais de financement, Alimentation Couche-Tard a enregistré un bénéfice net de 102,9 millions de dollars américains au cours de la période qui a pris fin le 22 juillet 2012.

La CSN précise que c’est notamment grâce au travail des salariés québécois que l'entreprise acquiert de nouveaux dépanneurs un peu partout dans le monde. Elle souligne à cet effet que les établissements de la chaine Statoil sont syndiqués et que les syndicats sont représentés au conseil d'administration de la filiale locale.



Rassemblement festif des travailleurs à la rue

Samedi prochain, dès 11 heures, les travailleurs à la rue organisent un grand rassemblement dans le stationnement du dépanneur au coin d’Iberville et de Jean-Talon pour souligner l’année qui vient de passer.

« Il y aura un grand barbecue, de la musique, des jeux pour les enfants. C’est une sorte de fête de quartier pour revoir notre clientèle, leur donner des nouvelles. Les gens posent des questions, plusieurs ne sont pas d’accord avec cette fermeture et surtout de la façon dont ça s’est fait. »

Le syndicat invite la population à se joindre à eux pour dénoncer les pratiques antisyndicales d’une entreprise pourtant qualifiée de « fleuron » du Québec.

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