Chicago : 26 000 profs en grève contre le programme que veut implanter Legault

2012/09/12 | Par Pierre Dubuc

Des écoles ouvertes jusqu’à 5 heures et l’évaluation des profs, nous promettait François Legault de la CAQ lors de la dernière campagne électorale. Ces idées, il ne les a inventées. Elles ont cours aux États-Unis depuis plusieurs années et sont actuellement à l’origine d’une grève des 26 000 enseignantes et enseignants de Chicago, privant 350 000 élèves de cours.

La Commission scolaire accorde une augmentation de salaire de 16% - Legault promettait 20% - sur quatre ans, mais veut mettre en place un système d’évaluation et de rémunération des profs à partir, pour l’essentiel, des résultats des élèves.

Sur la base de cette évaluation, des profs pourraient être licenciés et des écoles fermées, sans que les enseignants victimes de telles fermetures puissent être rembauchés dans d’autres écoles.

Les syndicats d’enseignants soutiennent qu’il est totalement biaisé d’établir comme principal critère de la compétence d’un prof les résultats de ses élèves, en faisant abstraction du contexte familial et social, et plus particulièrement de la pauvreté. Plus de 80% des élèves de Chicago se qualifient pour le repas gratuit, étant donné l’indigence de leurs parents.



Grève politique

La grève prend un caractère politique particulier parce que les syndicats affrontent l’ancien chef de cabinet du président Obama, le maire Rahm Emanuel, responsable des politiques d’éducation.

Il faut dire que le président Obama a fait siennes les politiques mises en place par son prédécesseur, George W. Bush, dans le cadre du programme No Child Left Behind.

Rappelons les grandes lignes de cette réforme. Elle vise à appliquer les lois du marché au système scolaire. Les écoles sont mises en concurrence les unes avec les autres, leurs performances respectives sont jugées par les résultats des élèves, soumis à de multiples tests d’évaluation, et les enseignants sont évalués sur la base des résultats de leurs élèves.

Les écoles non performantes sont fermées. Les enseignants jugés incompétents sont congédiés et il y a une volonté d’instaurer la paie au mérite pour ceux qui demeurent en poste. Cela s’accompagne d’un vaste mouvement visant à remplacer les écoles publiques par des écoles à charte, c’est-à-dire des écoles gérées par des organismes privées – à but lucratif ou non – mais financées à même des fonds publics.



Une approche critiquée

Cette approche a été vivement critiquée par Mme Diane Ravitch dans son livre The Death and Life of the Great American School System.

Mme Ravitch a l’avantage d’avoir été sous-ministre de l’Éducation dans l’administration Bush et d’avoir eu la responsabilité de la mise en place du programme No Child Left Behind. Autrement dit, elle sait de quoi elle parle. Elle a appuyé le programme No Child Left Behind jusqu’au mois novembre 2006, alors qu’elle a pris connaissance d’études démontrant ses effets dévastateurs.

Mme Ravitch dénonce la fixation d’objectifs de performance – 100% d’élèves « compétents » en compréhension de textes et en mathématiques en 2014 – et l’obsession de l’évaluation qui en découle.

Elle a constaté que, pour rencontrer les objectifs d’étapes – et éviter que leur école soit placée sous tutelle ou carrément fermée –, les enseignants concentrent tous leurs efforts dans la préparation de leurs élèves à ces tests. Les matières comme l’histoire, la géographie ou les sciences sont mises de côté et, si les élèves développent une habileté à répondre à des tests multi-choix, ils sont incapables de rédiger un court commentaire sur le texte qu’ils viennent de lire.

De plus, le programme est une incitation à la tricherie, ce que de nombreux scandales ont confirmé au cours des dernières années.



Un modèle implanté en douce au Québec

La grève de Chicago, la première en 25 ans, est suivie de près par tous les syndicats d’enseignants des États-Unis, qui font face à la même offensive antisyndicale. Elle doit également nous intéresser, étant donné la volonté exprimée par les libéraux et la CAQ d’importer au Québec le modèle américain.

Au cours des dernières années, le ministère de l’Éducation a implanté un logiciel qui compile les résultats de tous les élèves du Québec et permet de suivre l’évolution de leurs résultats en temps réel, et donc d’« évaluer » les profs.

L’aut’journal a réuni une série d’articles sur cette question dans un Carnet, intitulé Éducation : Le virage américain. Suivi de L'école finlandaise. Pour se le procurer, cliquez ici.

Bookmark