Le parti de la peur a gagné

2012/09/12 | Par Alex Nado

Le peuple a parlé. Pauline Marois est élue et Jean Charest vient d'annoncer sa démission. Pour la première fois, une femme dirigera le Québec, deux chefs de parti sur quatre à l'Assemblée nationale seront de sexe féminin, et un jeune homme de 20 ans siègera parmi les élus. Un parti fondé il y a à peine 9 mois, la Coalition de François Legault, a même réussit à faire élire 19 députés un peu partout dans la province. Il n'en faillait pas plus pour que certains parlent d'un paysage politique québécois nouveau, changé, rajeunit. On a même entendu des gens dire que les Québécois ont finalement mis leur point sur la table! Vraiment?

Le gouvernement facilement le plus usé depuis Maurice Duplessis peut se flatter d'avoir sauvé et les meubles, et la maison! Le Parti libéral a non seulement réussit à se maintenir à l'opposition officielle, mais il est parvenu contre toute attente à faire élire 50 députés. Il a réussit à aller chercher 31% du vote populaire! Jean Charest avait bien raison de dire qu'il a encore une fois fait mentir tous les sondeurs. La recette? D'abord, un vote anglophone et allophone assuré, année après année, mandat après mandat. Et dans des proportions digne des régimes totalitaires: dans Jacques Cartier, le candidat libéral l'a emporté avec 73% des voix. Dans D'Arcy-McGee , c'est 85% des électeurs qui ont voté PLQ! Évidemment, il s'agit de circonscriptions où moins du quart de la population est francophone... C'est quand même paradoxal quand on se souvient de toutes les fois où les Canadiens-français ont été accusés d'avoir une mentalité de troupeau. Allez trouver une circonscription francophone où l'appui à un candidat dépasse les 75%!

Vrai: des centaines de milliers de francophones ont aussi voté libéral. Malgré les scandales, malgré la mafia, malgré la collusion et la corruption. Aucun gouvernement n'est parfait mais le parti de Jean Charest a quand même repoussé les limites pour ceux qui tiennent à exercer leur capacité de pardonner. C'est troublant. Presqu'incompréhensible, pour qui considère l'être humain fondamentalement bon. Ça l'est moins pour qui le considère foncièrement égoïste.

Mais, et la CAQ? C'est du nouveau ça? Parlons-en de la Coalition. François Legault est un politicien de carrière qui n'a rien d'un modèle de sang neuf. Il a siégé plus de dix ans comme député. Sans compter que la moitié de son équipe parlementaire a simplement retourné sa veste pour obtenir sa carte de membre. Adéquiste convertis? Péquistes déçus? Ça suffit! Faut que ça change! Et les idées? Réduction du fardeau fiscal des entreprises? Moins d'impôts pour les contribuables? Réduction de la taille de l'État? C'est du nouveau ça? Non seulement le discours est un verre d'oreille tellement on le chante partout sur la planète, mais il domine l'Assemblée nationale depuis Lucien Bouchard.

Non. Le véritable vainqueur de ces élections ce n'est pas le parti québécois, et encore moins le changement: c'est le parti de la peur. La peur appuyée aux bras de l'opportunisme et, disons-le, de l'ignorance. Une veine bien exploitée par les partis durant la campagne. Et à ce niveau, Jean Charest récolte la palme, en brandissant le référendum et la rue comme deux cavaliers de l'Apocalypse. Les médias ont pris le relais, et hop! Pauline Marois a dû se défendre jusqu'au 4 septembre de vouloir commettre ce qui semblait presque un crime: donner la parole à la population en lui demandant, à travers un référendum, ce qu'elle souhaite pour son avenir.

C'est facile de commenter des élections comme une partie de hockey. Bien des analystes en ont fait une spécialité. C'est encore plus facile de se faire croire que les Québécois se sont comportés en bons citoyens raisonnables. Mais 50 députés libéraux à l'Assemblée nationale, après 9 ans de gouvernement marqué par tant de scandales qu'on ne les compte plus, c'est tout sauf un témoignage de bon sens. Pire: on serait tenté de donner raison à Baudelaire lorsqu'il disait que la démocratie est la tyrannie des imbéciles!

Reste que tous les partis n'avaient qu'un seul mot en bouche durant les élections: le changement. Et ils ont été des masses à se joindre à la danse. Oui, faut que ça change! Non, ça plus de bon sens! Combien de fois avez vous entendu votre oncle répéter que les politiciens sont tous pareils? Qu'il est temps de faire le ménage? Et combien de faiseurs d'opinion ont parlé du désenchantement du peuple face à sa classe politique?

Des mois de sainte colère et regardez le résultat: le PQ formera un gouvernement minoritaire, le PLQ sera à l'opposition avec 4 députés de moins et la CAQ - héritière légitime de l'ADQ- aura la balance du pouvoir. Québec Solidaire? Deux députés malgré une performance historique de Françoise David au débat des chefs. 3 mois de casseroles pour ça?

Sans la peur, sans l'opportunisme et sans l'ignorance, le paysage politique serait cette fois complètement différent au Québec. Les politiciens de carrière ne mentaient pas durant la campagne électorale lorsqu'ils se pavanaient en parlant du désir de changement des Québécois. Mais pour la plupart d'entre eux, c'est bien la dernière chose qu'ils veulent voir, un véritable changement. Le système actuel, où ils s'échangent gentiment le pouvoir, se renvoient l'ascenseur, travaillent dans les mêmes conseils d'administration d'entreprise et reçoivent les mêmes dons des mêmes corporations, ce système là, il leur convient parfaitement.

Un véritable changement, sans peur, aurait été l'élection d'un nouveau parti à l'opposition officielle. Au moins 2 députés d'Option nationale; 15 de Québec solidaire. Suffit la complaisance! Sans la peur, la filature d'Eddy Brandone ne se serait jamais terminée, et Antonio Accurso se serait déjà expliqué au juge. Et oui, sans la peur, les Québécois et les Québécoises n'auraient jamais accepté que Jean Charest les regarde dans les yeux et leur dise pendant 3 ans, sans sourciller, que le Québec n'a pas besoin d'une commission d'enquête.

Celles et ceux qui rêvent d'autre chose pour le Québec devront revoir leur stratégie. Il leur faudra aller plus loin; être plus audacieux. Leur adversaire est terriblement efficace: il connaît le talon d'Achille du peuple -la peur- et il ne se gêne pas pour le frapper. La force des conservateurs et de la droite en général repose d'ailleurs en grande partie sur cette faiblesse des électeurs.

Hélas, en démocratie, ce ne sont pas les plus valeureux qui ont le dernier mot dans l'isoloir. C'est pourtant là que se joue l'avenir du pays.

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