PKP se fait sonner les cloches devant le CRTC

2012/09/14 | Par Pierre Dubuc

Pierre-Karl Péladeau a l’habitude de faire le fanfaron et d’en mener large au Québec. On l’a vu lors des lock-out au Journal de Québec et au Journal de Montréal. Il ne manque pas, non plus, une occasion de s’en prendre à Radio-Canada en critiquant la « concurrence déloyale » que lui ferait la télé publique.

Le ton a changé depuis que Québecor se fait sonner les « cloches » avec l’offre d’achat d’Astral par Bell. Concurrence déloyale, création d’un empire à la Berlusconi, Pierre-Karl Péladeau n’est pas à court de qualificatifs pour dénoncer cette transaction.

Un plus gros empire menace son empire et l’arbitre ultime, le CRTC, siège sur le territoire de l’autre empire et prendra sa décision en fonction de règles établis par un gouvernement dominé par une autre nation.

Au cours des dernières années, PKP s’est fait « copain-copain » avec Stephen Harper. Ses acquisitions au Canada anglais, regroupées dans Sun Media, ont fait campagne tambour battant pour le Parti conservateur lors de la dernière campagne fédérale. Ils n’hésitent pas non plus à attiser le sentiment anti-Québec avec du « Quebec bashing ».

PKP a également été au cœur des grandes manœuvres fédéralistes pour diviser le vote du Parti Québécois en faisant la promotion de la CAQ de François Legault. En fait, la CAQ a été enfanté, allaité et materné par les médias de Québecor, à coups de pages frontispices dans le Journal de Montréal et de Québec, de reportages complaisants à TVA et de sondages biaisés de Léger Marketing. La très grande majorité des chroniqueurs du Journal de Montréal ont appuyé ouvertement ou à mots couverts la CAQ lors des dernières élections.


Un réalignement tardif

Étant donné l’alignement pro-CAQ de PKP, ce fut une surprise pour plusieurs de voir sa conjointe, Julie Snyder, participer à la grande assemblée publique de fin de campagne du Parti Québécois. Mais, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que la photo de Mmes Snyder et Marois fasse la manchette du Journal de Montréal, il n’en fut rien. Elle fut reléguée loin dans les pages intérieures.

La présence de Mme Snyder à cette activité s’explique sans doute par ses convictions féministes et souverainistes bien connues, mais il n’est pas interdit non plus d’y déceler les intérêts de son conjoint.

PKP a, de toute évidence, pris note de la très forte probabilité de l’élection d’un gouvernement péquiste et de l’occasion qui lui était offerte de se trouver des alliés dans la partie de bras de fer qui l’oppose à Bell devant le CRTC pour faire échouer la prise de contrôle d’Astral par Bell. L’amitié avec Harper a ses limites, surtout lorsque le concurrent fait aussi parti des intimes du premier ministre.

Il est de bonne guerre, dans ces circonstances, de laisser planer la possibilité d’une infidélité, ce que Mme Marois n’a pas manqué d’exploiter en mentionnant les communications, comme étant un des pouvoirs qu’elle s’empressera de réclamer du gouvernement Harper au lendemain de son élection.

L’approche de Mme Marois est la bonne. Il faut revendiquer les pleins pouvoirs du Québec dans le domaine des communications. Non pas pour plaire à PKP et se porter à la défense de ses intérêts privés, mais surtout pour être en mesure, comme l’affirme la plate-forme électorale du Parti Québécois, « de donner à Télé-Québec les ressources nécessaires pour mettre en place une mission d’information régionale et nationale afin d’assurer la diversité de l’information dans les régions du Québec ».


Une revendication traditionnelle du Québec

Le Québec a toujours réclamé pleine juridiction sur le contrôle des ondes de radio et de télévision. En fait, le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau fut le premier au Canada à légiférer dans ce secteur en adoptant dès 1929 une Loi sur la radio. Mais, en 1931, la Cour suprême du Canada, puis le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres, ont invalidé cette loi en déclarant que la radiodiffusion était de compétence exclusivement fédérale.

Quand Maurice Duplessis crée Radio-Québec en 1945, Ottawa lui signifie clairement qu’il lui refusera tout permis d’exploitation. Ce n’est qu’en 1970 que Radio-Québec deviendra opérationnel, mais uniquement comme télévision éducative, après que le gouvernement du Québec eût obtenu en 1968, dans le cadre de pourparlers constitutionnels, le droit de légiférer en matière de télévision éducative. Aujourd’hui, Télé-Québec ne peut toujours pas produire son propre bulletin de nouvelles.


La Cour suprême penche toujours du même côté

Au cours des années 1970, dans le cadre de l’objectif de la « souveraineté culturelle » du gouvernement Bourassa, le ministre Jean-Paul L’Allier réclamera l’ensemble des pouvoirs en matière de communication. Il demandera que la câblo-distribution – nouvelle technologie non couverte par la décision de la Cour suprême de 1931 – relève de sa compétence. Encore une fois, la Cour suprême confirmera la compétence du fédéral.

Au début des années 1990, le Québec revendiquera pleine compétence en matière de télécommunications, jugeant celles-ci essentielles à son épanouissement culturel. Une nouvelle fois, en 1994, la Cour suprême rabrouera les prétentions québécoises et réaffirmera la compétence exclusive du fédéral.

C’est donc en vertu de jugements de la Cour suprême que le mandat de Radio-Québec est circonscrit au domaine éducatif et que le CRTC peut fermer des postes de radio ou de télévision au Québec, en attribuer la propriété à des intérêts étrangers et en modifier le mandat.


Un droit de désaveu déguisé

Les jugements de la Cour suprême ont remplacé, dans les faits, le droit de désaveu qui permettait, dans la constitution canadienne, au gouvernement fédéral d’invalider des lois provinciales, avec le désavantage politique évident d’instaurer une hiérarchie entre les niveaux de gouvernement au profit, bien entendu, du gouvernement fédéral. Avec la Cour suprême, l’illusion est parfaite d’une autorité supra-gouvernementale, indépendante voire au-dessus des pouvoirs politiques et économiques.


Pleins pouvoirs au Québec et Télé-Québec comme télé nationale

Dans la perspective du combat pour la souveraineté, nous ne pouvons-nous permettre d’être à la merci des chaînes de télévision du gouvernement fédéral, des journaux fédéralistes, ni des médias de l’empire Péladeau.

Il faut dès maintenant informer la population de ces enjeux et mobiliser l’opinion publique pour exiger le rapatriement au Québec de l’ensemble des pouvoirs en matière de radiodiffusion et télécommunications.

Dans la perspective de la gouvernance souverainiste, il serait tout à fait indiqué que le gouvernement n’attende pas le résultat d’éventuelles négociations avec Ottawa et qu’il prenne dès maintenant l’initiative, en investissant dans Télé-Québec et qu’il en revoie le mandat pour l’autoriser à diffuser des bulletins d’informations complets avec des volets internationaux, nationaux et régionaux.


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