Une Québécoise en Palestine

2012/09/26 | Par Ginette Leroux

Rencontrée dans un restaurant du quartier Villeray à Montréal, Évelyne Brochu, la comédienne phare du film « Inch’Allah », dernier opus d’Anaïs Barbeau-Lavalette, m’accueille à sa table avec un grand sourire et une poignée de main chaleureuse. Élancée, élégante, les traits délicats, le teint resplendissant, la jeune femme dégage un charme fou. Elle interprète le rôle principal de Chloé, une obstétricienne québécoise qui travaille dans une clinique de santé située dans un camp de réfugiés proche de Ramallah, en Palestine.

« Le personnage de Chloé est un rôle exigeant, me dit d’emblée Évelyne Brochu. Quand on vit d’un métier qui nous passionne et qu’on a la chance de s’attaquer à un personnage si beau, si vaste et nuancé et que le rapport avec les autres acteurs du film est tellement intense, oui, c’est exigeant.  Certains le qualifieraient de difficile. »

« Au contraire, précise-t-elle, un rôle comme celui-là, je l’ai souhaité depuis si longtemps au point où il représentait pour moi un bonheur absolu, une chance inouïe. J’étais portée par le souffle du désir et le plaisir de dépassement a réduit à rien la fatigue que la somme de travail comportait. »

L’étape de préparation a été particulièrement heureuse pour la jeune actrice. Invitée par les producteurs du film Luc Déry et Kim McCraw, de chez micro_scope, Évelyne a accompagné l’équipe de repérage à Jérusalem et à Ramallah, lieux où se situe l’action.

« Ce contact physique m’a aidée à ressentir dans ma chair les lieux où le personnage allait évoluer. Ce qui m’a permis, ensuite, de les transposer à Amman, en Jordanie, où l’essentiel du film a été tourné. Par la même occasion, j’ai côtoyé des figurants palestiniens choisis pour jouer leur propre rôle dans les camps de réfugiés reconstitués pour les besoins du film », m’explique-t-elle. Il y a, bien sûr, une part d’imaginaire dans tout travail de préparation, « mais avoir la chance d’être sur place, immergée dans le milieu, deux mois sans rentrer chez soi, m’a permis d’enrichir le personnage ».

De retour à Montréal, elle a rencontré une obstétricienne afin de mieux saisir de l’intérieur la pratique médicale de son personnage, à mieux comprendre ce qui motive une personne à devenir médecin, sa détermination et, surtout, le courage qu’il faut pour intervenir dans un contexte de guerre.

Il fallait aussi que le personnage ait une bonne connaissance de la langue du pays. Ainsi, consciencieuse jusqu’au bout, la comédienne s’est lancée dans l’apprentissage de l’arabe, mais elle s’est vite rendue compte que son projet était trop ambitieux.

« Je me suis tournée vers Ruba Ghazal, une Palestinienne de Montréal, qui m’a appris la résonnance particulière de la langue arabe, formant ainsi la musculature dont j’avais besoin pour donner à mes répliques tout le naturel du personnage installé dans sa routine de travail. »

« J’ai rêvé à ce personnage, me dit Évelyne, j’ai puisé dans mes propres expériences de vie, j’ai visionné des films, lu des romans, écouté de la musique, des chansons, mis à profit impressions et sensations accumulées en cours de route. »

Quand commence le tournage, « il ne me reste plus qu’à me connecter au jeu des autres, faire confiance à ce qui m’entoure, ce qui est toujours mieux que ce que l’on pouvait imaginer ».

J’ai demandé à l’interprète de Chloé de me raconter la scène la plus saisissante du film, celle où elle doit procéder à un accouchement dans des circonstances extrêmes. « C’est comme un train qui part, l’émotion monte. Ça part tout seul. Je me suis arrimée à Sabrina Ouazani (Rand) et à Yoav Donat, le soldat du checkpoint, la chaleur m’enveloppait. Une scène très physique qui me transportait. On sait que ce n’est pas réel, mais d’une certaine manière, on le ressent si fort que ça le devient. » La connaissance de l’expérience humaine que chacun possède va au-delà de sa propre expérience, il faut s’y fier m’a-telle précisé.

Traverser un checkpoint n’est pas aussi banal que de passer une frontière. « Pour nous, Nord-Américains, il suffit de montrer un passeport, de ne pas avoir d’arme sur soi et d’avoir un peu de patience pour traverser un checkpoint. Une expérience à la fois confrontante et froide », avoue-t-elle.

Évelyne croit qu’attendre en ligne son droit de passage est un procédé inhumain. Elle raconte qu’une jeune dentiste, qui avait accompagné l’équipe du film à Ramallah, ne s’était vue accorder qu’un permis de 24 heures en sol palestinien, malgré le fait qu’elle n’y avait pas mis les pieds depuis 3 ans.

« C’est dérangeant, avoue la comédienne québécoise, surtout lorsqu’on reconnaît notre chance de pouvoir circuler entre les deux pays à volonté, sans contraintes. », me dira Évelyne, dont le trouble était encore palpable lors de l’entrevue.

De retour à Montréal depuis décembre 2011, une partie d’elle-même est restée longtemps accrochée aux images de souffrance et de misère, enregistrées dans sa mémoire affective. Une expérience marquante qui l’a menée à prendre la mesure de la liberté de la femme québécoise, « acquise au point où on l’oublie ». « Je peux voyager partout dans le monde, je ne connais pas la guerre. Ces rapprochements humains de collaboration font en sorte que notre empathie devient encore plus profonde », conclut Évelyne Brochu.

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