Libre échange : on connaît la chanson!

2012/10/04 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur québécois des TCA

Nos confrères TCA de l’Ontario viennent de terminer leur ronde de négociation avec les Trois Grands de l’automobile (GM, Ford et Chrysler). Comme je l’avais déjà écrit, les constructeurs américains tentaient de nous enfoncer dans la gorge des concessions à l’américaine, et plus particulièrement un système à double échelle salariale qui aurait fait en sorte que les nouveaux salariés auraient été embauchés à un salaire moindre et sans aucune possibilité de rejoindre celui des salariés déjà à l’emploi de l’entreprise.

Heureusement, cette disparité de traitement est prohibée au Québec par la Loi sur les normes minimales de travail. Mais, en Ontario, ce n’est malheureusement pas le cas. Les Travailleurs Unis de l’Automobile (TUA) aux États-Unis, ayant accepté cette façon de faire depuis quelques années, ont rendu la tâche encore plus difficile pour nos confrères de l’Ontario.

Il faut féliciter toute l’équipe de négociation syndicale dans le secteur de l’auto. Non seulement ils ont su faire face à des employeurs qui avaient comme objectif de nous imposer des concessions, mais ils devaient tracer le chemin des négociations à venir dans le secteur manufacturier au Canada.

Sans être chauvin, il faut reconnaître que les négociations des TCA dans le secteur de l’auto ont toujours eu un effet « bulldozer » et ont tracé le chemin pour beaucoup de négociations dans le secteur manufacturier au Canada. Encore une fois, on peut dire tâche accomplie. Alors, bravo à toute l’équipe!



Une vision du développement industriel

Aujourd’hui, comme syndicat, au-delà de tout ce que nous pouvons négocier dans une convention collective, nous devons avoir comme priorité le développement du secteur économique dans lequel nous œuvrons afin d’assurer un avenir à nos membres.

C’est l’approche globale en négociation que les TCA ont toujours privilégiée et qui est devenue une façon de faire incontournable.

Au Québec, au fil des années, nous avons participé au développement d’une industrie de l’aérospatiale forte et bien structurée. Des secteurs comme l’aluminium, l’énergie hydroélectrique, l’assemblage de véhicules lourds comme les camions et autobus, l’hôtellerie et j’en passe, où nous sommes également bien implantés, sont source de bons emplois qui doivent être protégés et multipliés.

Pour ce faire, il faut non seulement une vision du développement de ces secteurs économiques, mais également que cette vision soit partagée par tous les acteurs concernés, syndicats, employeurs et, surtout, nos gouvernements.



25 ans de libre-échange

Malheureusement, ce n’est pas cette vision qui prédomine. Depuis l’entrée en vigueur de la première entente de libre-échange entre les États-Unis et le Canada – il y a exactement 25 ans en ce mois d’octobre – la non-intervention dans l’économie est devenue – et est toujours – le credo des gouvernements.

Le bilan s’alourdit dramatiquement lorsqu’on ajoute dans la balance les politiques qui ont accompagné l’instauration du libre-échange : privatisation des sociétés d’État; déréglementation; abolition du pacte de l’automobile, qui a été le cœur de l’implantation de cette industrie au Canada, par l’OMC (Organisation mondiale du commerce); fragilisation des lois du travail; réforme de l’assurance emploi; plus grande intégration économique et militaire aux États-Unis.

Aujourd’hui, quelles leçons tirent nos dirigeants de ces 25 ans de libre-échange? Que proposent-ils pour contrer le ralentissement de l’économie? Davantage de libération des marchés, suppression des barrières tarifaires pour les biens et services entre le Canada et les autres pays.

Les travailleurs savent très bien qui sort gagnant de ce laissez-faire économique : les entreprises. Elles bénéficient alors d’une mobilité inespérée qui leur donne tout le loisir de dire aux travailleurs, comme nous venons de le voir lors des négociations de l’automobile, qu’ils doivent être en mesure de compétitionner avec les travailleurs des États-Unis.



Toujours plus de libre-échange

Après avoir étendu le libre-échange nord-américain au Mexique, le gouvernement canadien a signé des traités de libre-échange bilatéraux avec Israël, le Costa-Rica, la Colombie, la Jordanie et un traité similaire avec le Panama est présentement devant le Parlement canadien.

De plus, le gouvernement Harper projette de signer un traité majeur de libre-échange avec l’Europe avant la fin de l’année. Il espère également signer un traité avec l’Inde l’an prochain. Le Canada vient aussi d’être admis aux négociations du Partenariat Trans-Pacifique qui, s’il entrait en vigueur, constituerait le plus important bloc commercial au monde. Ajouter à cela que Paul Desmarais vient de déclarer qu’il souhaite une entente de libre-échange entre le Canada et la Chine!



Placer le politique au poste de commande

Pourtant, une vision alternative existe. D’autres politiques sont possibles. Par exemple, bien qu’ils soient liés par les dispositions de l’ALENA, les États-Unis ont instauré un « Buy America Act » qui protège leurs marchés publics en exigeant un contenu américain d’au moins 60 %, ce qui oblige les entreprises qui veulent obtenir des contrats publics à s’implanter aux États-Unis et donc y créer de l’emploi.

Le but n’est pas d’ériger des barrières hermétiques entre le Canada et les autres pays, mais seulement de s’assurer que les travailleurs du Canada compétitionnent à armes égales avec ceux des autres pays.

Pour ce faire, le politique doit être au poste de commande. Le politique doit se réapproprier l’économie, avec comme objectif la création de bons emplois au Québec.

Ainsi, dans le cadre d’une politique d’achats responsables des différents paliers gouvernementaux, l’État pourrait exiger un minimum de contenu québécois de toutes les entreprises qui veulent soumissionner pour offrir des biens et des services.

Une stratégie pour protéger notre industrie de l’aérospatiale de la délocalisation à l’intérieur même du Canada pourrait être élaborée, tout comme pourrait être imposée aux entreprises minières la 2e et 3e transformation des minerais.

Nous devons dire à tout prix aux tenants du libre marché : « On connaît la chanson! ». Cela fait 25 ans que vous nous la jouez!

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