Projet Montréal évacue le scrutin proportionnel

2012/10/04 | Par Paul Cliche

Membre fondateur de Projet Montréal et ex-conseiller municipal du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM)

Le 24 septembre dernier, Projet Montréal s’est engagé, s’il est élu en novembre 2013, à tenir un débat sur la gouvernance de Montréal en vue d’effectuer une réforme majeure du cadre électoral de la ville pour les élections de 2017. Mais le deuxième parti d’opposition ne s’attaque qu’à la carte électorale ignorant la réforme du mode de scrutin qui est la composante la plus importante de tout système électoral.

À l’instar de ses adversaires, Union Montréal et Vision Montréal, il opte de facto maintenant pour le statu quo: le scrutin majoritaire. Fondée en 2004 la formation, qu’on a reliée jusqu’ici à la mouvance progressiste à cause de ses objectifs écologistes, fait ainsi fi des engagements qu’elle a pris en faveur de l’instauration d’un scrutin proportionnel dès les premières élections auxquelles elle a participé en 2005.

Les propositions de Projet Montréal visent à simplifier et à rationaliser les structures politiques de la ville. C’est ainsi que le parti suggère l’abolition des 19 mairies d’arrondissement, ainsi que des 38 postes de conseillers d’arrondissement pour revenir à une carte électorale formée de 64 districts; ce qui réduirait le nombre d’élus de 103 à 65 en comptant le maire de la ville. Le nombre d’arrondissements serait aussi réduit de 19 à 13 ou moins. Ces mesures seraient certes les bienvenues.


L’étiolement de la volonté politique

Dans son programme de 2005, Projet Montréal présentait le scrutin proportionnel «comme une étape prioritaire et incontournable d’un processus de réforme des institutions politiques visant à réduire le déficit démocratique».

Il voulait aussi que «ce mode de scrutin respecte le plus fidèlement possible la volonté populaire exprimée par les électeurs afin que tous les partis en lice soient représentés équitablement et que le vote de chaque électeur compte». Comme l’écrivain-essayiste Gil Courtemanche, les militants de Projet Montréal considéraient alors que le mode de scrutin, «ne constitue ni plus ni moins que le sang et l’air de notre corps démocratique».

Après les élections de 2005, le parti devait organiser une campagne d’éducation populaire. Cette dernière n’a jamais eu lieu même si des militants, experts dans le domaine, avaient préparé un document de réflexion bien étayé proposant deux formes possibles de scrutin proportionnel qui auraient été bien adaptées aux besoins de Montréal. Après une couple de séances d’information, les dirigeants ont conclu hâtivement que cet enjeu n’intéressait pas les gens.

Par la suite, les instances du parti n’ont pas discuté non plus de la réforme du mode de scrutin. Pis, la plateforme de Projet Montréal pour les élections de 2009 a passé l’enjeu sous silence. L’auteur de cet article a alors signalé cette omission au président du parti, Richard Bergeron; mais il n’a eu droit qu’à une réponse évasive de la part de ce dernier. Il semble donc évident que la démarche que vient de la lancer le parti pour réformer le cadre électoral de la ville constitue le dernier clou dans le cercueil du projet d’instaurer un scrutin proportionnel.

En tant que pionnier à Projet Montréal de ce chantier de la réforme des institutions démocratiques, auquel j’ai consacré d’innombrables heures de travail et de réunions, je ne peux donc aujourd’hui qu’exprimer mon désaccord et ma déception.


Dans le paysage politique montréalais depuis près de 100 ans

Même s’il n’y a jamais été instauré, le scrutin proportionnel fait partie du paysage de la vie politique de Montréal depuis bientôt 100 ans. En 1921, le gouvernement québécois a décrété un référendum à ce sujet. La représentation proportionnelle a alors obtenu 38% d’appui.

Dès sa fondation en 1974, le Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal (RCM) s’est prononcé en faveur du scrutin proportionnel. Le premier groupe d’élus a suscité des débats à ce sujet au conseil municipal, mais il n’a pu convaincre l’administration Drapeau.

Toutefois, favorisée par le scrutin majoritaire en 1986 et 1990, l’administration Doré a mis sous le boisseau l’engagement de son parti à ce sujet. En fait, le parti Montréal écologique a été la seule formation municipale à poser un geste officiel en proposant une forme de représentation proportionnelle à la Commission de la représentation électorale qui a révisé la carte de Montréal en 1993.

À Québec, en 1978, le ministre responsable de la réforme électorale dans le gouvernement Lévesque, Robert Burns, a recommandé au cabinet de faire l’expérience de la proportionnelle dans les quatre principales villes du Québec (Montréal, Québec, Laval, Longueuil) avant de réaliser l’engagement du Parti québécois de l’instaurer au niveau provincial. Il s’est toutefois buté à une fin de non-recevoir sans équivoque de la plupart de ses collègues et des organisateurs du parti.


Jouer son avenir à la roulotte russe

Lors des deux élections auxquelles il a participé en 2005 et 2009, Projet Montréal a été, des trois principaux partis en lice, celui qui a été le plus maltraité par le scrutin majoritaire.

En 2005, ayant recueilli 10,9% des suffrages, il n’a fait élire qu’un conseiller (son chef); ce qui représentait 2,2% de la représentation à l’Hôtel de ville.

En 2009, il a récolté 25,3% des votes mais n’a fait élire que 10 conseillers, soit 15,4% de la représentation. En contrepartie, le parti vainqueur, Union Montréal, n’a obtenu que 39% des voix en 2009, mais il a fait élire 39 conseillers, soit 60% des sièges.

Les résultats de ces élections illustrent bien la règle d’airain du scrutin majoritaire qui est d’assurer une forte surreprésentation au parti vainqueur et, à l’inverse, d’infliger une sous-représentation aussi importante aux partis d’opposition; les tiers partis étant de loin les plus pénalisés.

Selon toute apparence, les dirigeants de Projet Montréal misent maintenant sur le scrutin majoritaire pour porter leur parti au pouvoir. Le fait que René Lévesque ait décrit ce mode de scrutin comme «démocratiquement infect» ne les touche pas.

Devant ce calcul électoraliste, on peut donc se poser des questions sur leur fibre progressiste. Il est clair que la stratégie de Projet Montréal vise à supplanter Vision Montréal en 2013 – s’il n’y a pas alliance entre les deux d’ici là- pour devenir tout au moins l’opposition officielle et, qui sait, prendre peut-être le pouvoir en défaisant Denis Coderre, successeur probable de Gérald Tremblay.

Cet objectif est loin d’être condamnable, car la prise du pouvoir est la raison d’être de tout parti politique. Mais il le devient si, dans sa démarche ascensionnelle, une formation sacrifie ses idéaux démocratiques.

L’expérience prouve d’ailleurs que le scrutin majoritaire – véritable boîte à surprises - est souvent impitoyable envers les formations qui manifestent le «syndrome du parti en mal de pouvoir».

En voici deux exemples parmi d’autres. Le RCM de Jean Doré, ne s’étant pas remis de sa défaite de 1994, a été absorbé par Union Montréal en 2001. Pourtant ce dernier, vainqueur en 1986 et 1990, avait alors été fortement surreprésenté. Récemment, l’Action démocratique de Mario Dumont, qui a frôlé le pouvoir à Québec en 2007, a été avalée par la Coalition avenir Québec.

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