Des leçons de la grève des enseignants de Chicago

2012/10/05 | Par Pierre Dubuc

Au sortir d’une confrontation riche en leçons, les 26 000 enseignantes et les enseignants de Chicago ont mis fin, après plusieurs journées de grève, à leur partie de bras de fer avec l’administration scolaire et municipale, mais non sans y avoir laissé des plumes.

Le syndicat a obtenu pour ses membres une augmentation de salaire de 17% en quatre ans, mais a dû céder sur l’évaluation et le temps de travail.

La nouvelle convention collective rend possible le licenciement d’un prof dont la classe ne progresse pas suffisamment. Les résultats des enfants à des tests compteront pour 25% dans la note attribuée à leur professeur pendant deux ans, puis pour 30% à partir de la troisième année.

De plus, le nombre d’heures quotidiennes de classe à l’école élémentaire va passer de 6 à 7 heures.



Des résonnances familières

Dans cette nouvelle convention collective imposée aux profs, on reconnaît les principaux volets de la proposition mise de l’avant par François Legault de la CAQ, lors de la dernière campagne électorale.

Legault proposait une hausse de 20% du salaire des enseignants, mais sans jamais spécifier le nombre d’années sur lesquelles s’étalerait l’augmentation. Il prônait également l’allongement de la journée d’école.

Mais, surtout, le chef de la CAQ voulait instaurer l’évaluation des profs à partir du résultat des élèves. Aux États-Unis, 31 des 50 États prennent en compte les résultats des élèves à des tests dans l’évaluation des enseignants.



Un projet Made in USA

Les concessions consenties par le syndicat des enseignants de Chicago s’expliquent par la faiblesse relative du mouvement syndical américain devant l’offensive patronale tous azimuts qui a cours chez nos voisins du sud.

Plusieurs facteurs expliquent ce rapport de force défavorable, mais le plus important est sûrement le déclin de la syndicalisation. En une trentaine d’année, le taux de syndicalisation est passé de 35% à 12%.

Une des causes de ce recul est la difficulté de syndiquer des nouveaux membres. Le Code du travail américain oblige les candidats à la syndicalisation dans une entreprise à un vote secret obligatoire. Bien évidemment, cela ouvre toute grande la porte aux tactiques d’intimidation patronale.

Au Québec, les choses se passent différemment. Selon les dispositions actuelles du Code du travail québécois, une accréditation syndicale est accordée automatiquement par la Commission des relations du travail (CRT), si 50% plus un des employés visés par la requête ont signé une carte d’adhésion syndicale.

Dans les cas où seulement 35% à 50% des signatures sont obtenues, la CRT organise un vote à scrutin secret auquel sont conviés l’ensemble des travailleurs visés par la requête. La majorité absolue des travailleurs visés doit se prononcer en faveur de l’accréditation pour qu’elle soit accordée.

Aux Etats-Unis, Barack Obama s’était engagé, auprès de ses alliés syndicaux, à modifier le code du travail américain en calquant le modèle québécois. Mais un puissant lobby patronal l’a obligé à retraiter.

Comble de l’ironie, c’est Legault qui veut plutôt importer au Québec la façon de faire américaine pour l’intégrer dans notre code du travail!



De l’importance d’une masse critique syndicale

Au Québec, le taux de syndicalisation avoisine les 40%. Dans la fonction publique, il dépasse les 80%. C’est cet héritage de la Révolution tranquille qui est remis en question par Legault et une trâlée d’éditorialistes et de chroniqueurs de droite, qui se font les porte-parole du patronat.

Comme plusieurs sont, comme Obélix, « tombés dedans à la naissance », nous ne réalisons pas toujours les avantages de la syndicalisation.

Aussi, il faut remercier ceux qui, à l’occasion de la Journée mondiale pour le travail décent, le 7 octobre prochain, nous en rappellent les bienfaits. Citons quelques chiffres forts éloquents.

Ainsi, le taux horaire moyen des personnes salariées syndiquées est supérieur de 22% à celui des non-syndiqués. L’écart est encore plus important chez les femmes. Les travailleuses syndiquées gagnent en moyenne 32% de plus que celles qui ne le sont pas.

Les trois-quarts (76,7%) des syndiqués disposent d’un régime de retraite collectif contre à peine le tiers (33,9%) des non-syndiqués.

Au-delà des avantages purement monétaires, être syndiqué, c’est surtout se donner des outils collectifs contre le favoritisme et l’arbitraire. C’est ne plus craindre de perdre son emploi au gré des caprices de son patron.

Enfin, une des grandes leçons qu’il faut tirer de l’expérience de nos collègues de Chicago est qu’il ne suffit pas d’être soi-même syndiqué. Il faut être syndiqué dans un environnement pro-syndical.

Dans ce sens, contribuer à la syndicalisation des non-syndiqués, c’est, bien sûr, contribuer à l’amélioration du sort des autres travailleuses et travailleurs, c’est faire notre part « pour le travail décent », mais c’est également défendre nos propres intérêts.

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