Libre-échange avec l’Europe : Marois promet des contrats publics « bien balisés »

2012/10/17 | Par Pierre Dubuc

Dans une entrevue accordée au journal Le Monde, lors de son voyage en France, la première ministre Pauline Marois a déclaré souhaiter l’aboutissement de la négociation de l’accord économique et commercial entre le Canada et l’Europe, auquel le Québec participe.

« Nous avons de grandes entreprises françaises qui ont investi au Québec et voulons continuer à favoriser ces échanges, a déclaré Mme Marois. Le futur accord renforcera notre accès au marché européen et en particulier au marché français. Nous espérons surtout avoir notre mot à dire sur des questions essentielles, comme l'exception culturelle, qu'il faut reconnaître. L'accord va aussi ouvrir davantage les contrats publics, ce qui est une bonne chose si tout est bien balisé. »

Il faut espérer, en effet, que ces contrats publics vont être « bien balisés ». Déjà, la Coalition Eau-Secours, Attac-Québec et Les AmiEs de la Terre, ont exprimé leurs inquiétudes face à une libéralisation des services de l’eau.

Suite aux propos tenus par le négociateur québécois, Pierre-Marc Johnson, ces organismes en déduisent que les services de l’eau ne sont pas exemptés dans l’Accord économique et commercial global (AÉCG).

Ainsi, dès qu’une municipalité décidera de confier au privé tout ou une partie de ses services de l’eau, par exemple dans un partenariat public-privé (PPP), l’AÉCG s’appliquera et les entreprises européennes pourront soumissionner lors des appels d’offres.

Bien plus, selon Pierre-Marc Johnson, une re-municipalisation des services d’eau serait impossible à moins de payer des indemnités exorbitantes.

Dans cette perspective, il est intéressant d’examiner d’un peu plus près la pratique de ces entreprises.



Un dossier du Canard enchaîné

Dans son édition du 29 août 2012, l’hebdomadaire français Le Canard enchaîné dressait un portrait des activités en France des trois principales entreprises dans ce domaine : Veolia, Suez, Saur. Selon le journal, sur les deux tiers du territoire français, la distribution et l’assainissement de l’eau est entre leurs mains.

Selon plusieurs études, rapporte le Canard enchaîné, le prix de l’eau « privée » est de 10 à 20% supérieur au prix de l’eau « publique ».

Cela explique le mouvement en cours pour une remunicipalisation de la gestion de l’eau dans plusieurs villes. (Une pratique, rappelons-le, qui serait impossible au Québec dans le cadre de l’AÉCG.)

Après les pionniers Paris et Grenoble où il y a eu retour en régie publique de l’eau, des Villes comme Toulouse, Lille et Bordeaux envisagent également le retour en régie.

Dans ce contexte, la simple menace d’une déprivatisation fait reculer les trois sœurs. Le Canard enchaîné cite l’exemple de Nantes où le maire a obtenu un rabais de 30%. À Biarritz, Suez-Lyonnaise a concédé 18%. La Saur 30% à Fleury-les-Aubrais. Veolia, 25% à Toulouse (en attendant le retour programmé dans le giron public). À Antibes, le maire a arraché de 43 à 78% de baisse, selon le volume consommé.

Le journal rapporte les propos de Jean-Luc Touly, le président de l’association Acme, qui milite contre la privatisation de l’eau : « Quand leurs élus obtiennent un allègement de 30%, ce qui est une bonne renégociation, les usagers se rendent compte qu’ils se sont faits avoir pendant des années ».

Bien entendu, il y a des maires qui défendent bec et ongles leur association avec les firmes privées.

« Si les groupes aquatiques ne financent plus ouvertement la vie politique, comme dans le bon vieux temps, écrit le Canard dans son style sarcastique habituel, cela n’exclut ni les sentiments ni les bonnes manières. »

Et le journal d’enchaîner avec des exemples de recrutement d’hommes politiques par les trois entreprises.

Il conclut : « Ces curieuses liaisons et cette concurrence faussée en France intriguent la Commission européenne. En janvier 2012, après des perquisitions au siège des trois groupes, elle a ouvert une ‘‘ procédure formelle en matière d’entente de position dominante’’. Son rapport s’annonce fort désagréable. »

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