Couche-Tard réinventent les pratiques pour « casser » le syndicat

2012/10/18 | Par Maude Messier

Deux nouvelles accréditations ont été accordées à la CSN au cours des dernières semaines dans deux établissements de Couche-Tard à Victoriaville et à Boisbriand. Le compte est donc à sept dépanneurs syndiqués, comptant au total une centaine d’employés.

Certains événements ont révélé l’attitude antisyndicale de la direction de Couche-Tard, telles que la fermeture de deux établissements nouvellement syndiqués à Montréal et une vidéo présentée aux employés dans laquelle le président de la direction, Alain Bouchard, adressait des menaces à peine voilées à ceux qui souhaiteraient se syndiquer.

À la CSN, on soutient que ce n’est que la pointe de l’iceberg et que les employés des dépanneurs sont sous haute surveillance. En entrevue à l’aut’journal, le vice-président de la Fédération du commerce-CSN, David Bergeron-Cyr, confirme que l’entreprise multiplie les pratiques antisyndicales.

« Ils utilisent les caméras de surveillance pour surveiller les employés, ils congédient impunément des employés favorables au syndicat, ils trient à l’embauche en demandant aux candidats s’ils sont pour ou contre le syndicat, ils font signer des décharges qui n’ont aucune valeur pour empêcher les travailleurs de se syndiquer. Bref, on en voit de toutes les couleurs! »

La CSN met tout en œuvre pour protéger les droits des travailleurs qu’elle représente, ce qui ajoute une dimension juridique à la bataille sur le terrain que mène l’organisation syndicale.


La vache à lait, c’est Saint-Liboire

Malgré tout, des négociations en présence d’un arbitre sont en cours à Saint-Hubert et à Saint-Liboire. Pour la CSN, l’obtention d’une première convention collective chez Couche-Tard est cruciale. « Ça va en quelque sorte tracer la voie pour les autres ensuite, placer les balises financières, notamment. »

Saint-Liboire constitue le plus gros établissement de l’entreprise : 40 employés, des pompes à essence, six caisses et une aire de repos pour les camionneurs. Situé stratégiquement sur l’autoroute 20, c’est une « vache à lait » pour l’entreprise.

Les négociations entre le syndicat de Saint-Liboire et Couche-Tard ont débuté en avril dernier. À la fin du mois de juin, l’entreprise annonce que Gestion Alexandre Germain inc. exploiterait désormais l’entreprise. Alexandre Germain est le seul administrateur et l’unique actionnaire de cette entreprise.

« C’est un ancien coordonnateur régional de Couche-Tard, explique David Bergeron Cyr. Depuis environ cinq ans, Couche-Tard a racheté tous les franchisés. Pourquoi alors vendre, après coup, la plus grosse? »

À la CSN, on considère cette manœuvre d’autant plus douteuse que Couche-Tard figure toujours comme employeur désigné par la Commission des relations du travail (CRT) sur le certificat d’accréditation. Elle n’a jamais présenté de requête pour faire reconnaître Gestion Alexandre Germain inc. comme employeur successeur.

Dans une requête déposée à la CRT en septembre par la CSN pour faire déterminer l’employeur véritable, la centrale syndicale affirme que Couche-Tard « agit de façon déterminante sur des éléments fondamentaux de la négociation collective », ajoutant qu’elle ne laisse pratiquement aucune marge de manœuvre à Gestion Alexandre Germain inc.

Selon la centrale syndicale, Couche-tard serait toujours le véritable opérateur de l’établissement de Saint-Liboire.

La CSN a demandé à Gestion Alexandre Germain inc. de fournir les documents prouvant qu’il exploite indépendamment son entreprise et qu’il n’est pas assujetti aux « diktats » de Couche-Tard, ce qu’il a refusé de faire.

Pour David Bergeron-Cyr, c’est la question de la perte partielle du droit de gérance qui soulève les passions chez la direction de Couche-Tard, pas vraiment les questions financières. Rappelons qu’Alimentation Couche-Tard a enregistré des bénéfices nets de 173 millions $ pour le dernier trimestre seulement.

« Ils veulent gagner du temps et ralentir le processus de négociation. Ce n’est pas une question d’argent, c’est idéologique. C’est une guerre de pouvoir. »

À son avis, une convention collective constitue pourtant une façon plus humaine, plus juste et plus fonctionnelle de travailler.

« Les employés de Couche-tard qu’on rencontre aiment leur travail, leur clientèle. C’est l’arbitraire et les conditions de travail qui posent problème. Ils souhaitent se syndiquer plutôt que de partir. Le meilleur argument pour signer une carte, c’est le boss qui le donne, pas nous! »

Les travailleurs réclament la création d’une échelle salariale dont le dernier échelon serait fixé à 12,80$ de l’heure, quatre journées de maladie payées par année, des règles objectives dans l’attribution des horaires, des congés et des postes, de meilleure conditions en santé et sécurité du travail, dont plus de protection contre les vols armés de même que du soutien pour les employés victimes de ces agressions. Finalement, ils demandent le respect intégral des normes du travail.

« Parce que non, Couche-Tard ne respecte pas toujours la loi; ils sont d’ailleurs les champions des plaintes aux normes du travail. Par exemple, on a su que, dans certains cas, des sommes étaient prélevées directement sur la paie des employés quand des vols d’essence surviennent pendant leurs heures de travail. C’est complètement illégal! »


Adopter un Couche-Tard

La CSN a lancé la campagne de syndicalisation des employés des dépanneurs Couche-Tard, il y a deux ans. Elle a volontairement choisi de le faire à visière levée, annonçant clairement ses intentions.

« C’est fou de dire ça, mais même au Québec, une campagne de syndicalisation, ça se fait le plus souvent dans la clandestinité. Chez Couche-Tard, on a voulu jouer ça autrement. Pour une entreprise qui dit qu’elle doit son succès à ses employés, il me ressemble qu’elle pourrait leur démontrer plus de respect. »

Pour contrer les tactiques de la direction de Couche-Tard, la CSN réplique par une proximité avec les travailleurs sur le terrain et des pratiques originales.

D’ailleurs, près de 500 dépanneurs Couche-Tard ont été adoptés par des syndiqués de la CSN dans le cadre de la campagne « Adopter un Couche-tard ». Une visite est prévue toutes les deux semaines pour discuter avec les employés, quand c’est possible, démontrer une forme de solidarité et distribuer un tract.

« Ce n’est pas de la sollicitation, on donne de l’information. On ne reste généralement pas longtemps parce que les employés sont surveillés et qu’ils ont été bien prévenus qu’ils n’ont pas le droit de nous parler », explique en riant David Bergeron-Cyr.

Cette forme de « parrainage » vise à informer les employés des établissements de leurs droits et les façons de les faire respecter. Ultimement, ça fait évident parler de la campagne de syndicalisation en cours.

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