Lait en poudre et bien commun

2012/10/25 | Par Michel Rioux

Le coup de la Brink’s. Pour les moins jeunes, ce nom rappellera les neuf camions de cette compagnie transportant soi-disant des certificats de valeurs mobilières d’une valeur de 50 millions chacun. Ils avaient été mobilisés par le Royal Trust et photographiés au petit matin par The Gazette, en route pour Toronto.

C’était trois jours avant l’élection du 29 avril 1970. Il fallait faire peur au monde pour s’assurer que le jeune Parti Québécois, qui avait le vent dans les voiles, ne prendrait pas le pouvoir. La richesse va fuir le Québec si le PQ est élu. C’est ce que disait le mode d’emploi.

Sautons quelques autres coups fumants pour arriver au référendum de 1980. L’arme de destruction massive des fédéralistes contre le projet souverainiste : convaincre les personnes âgées qu’elles perdraient leur pension de vieillesse en cas de victoire du OUI.

J’ai souvenance que le député libéral de Lac-Saint-Jean au fédéral, un certain Pierre Gimaïel, avait fait le tour des CHSLD du comté pour intimider ces personnes particulièrement fragiles.

Gimaïel ayant été particulièrement persuasif, une personne âgée de mes connaissances, terrorisée à l’idée de perdre son seul et unique revenu, a voté NON alors que ses douze enfants votaient OUI.

C’est durant la campagne de 1995 qu’un collègue de la région de Charlevoix, entendant à nouveau les arguments de peur véhiculés par les fédéralistes, avait affirmé, en souvenir des sept plaies d’Égypte, qu’il ne restait plus qu’une plaie à frapper le Québec si le OUI l’emportait : les vaches se mettraient à donner du lait en poudre !

Depuis l’élection du Parti Québécois en position minoritaire, l’artillerie lourde de la peur a repris du service.

Que n’a-t’on entendu au sujet de la hausse des impôts des mieux nantis ? Qu’une saignée inévitable frapperait le Québec, la fuite des cerveaux causant autant de dommages collatéraux au petit peuple que la fuite des capitaux qui ne manquerait pas de survenir si les riches prenaient la poudre d’escampette pour sauver quelques dollars convoités par un fisc trop gourmand à leur goût.

C’est bien connu en effet que l’avenir du Québec ne tient qu’à un fil, un fil doré qui court de Côte-Saint-Luc à Town of Mount-Royal, en passant par Westmount et Outremont. C’est en effet en ces lieux que se tiennent ceux qui soutiennent qu’ils nous entretiennent, nous, les entretenus que nous sommes à leurs yeux.

Jarislowski a tonné, comme d’habitude, urbi et orbi, du haut de sa milliardaire Olympe. La Presse éditoriale s’est comme d’habitude excitée le poil des jambes, comme on disait dans le temps.

Les Chambres de commerce ont sonné le tocsin, cette chère Françoise Bertrand déchirant sa robe prétexte sur la place publique pour que le menu fretin comprenne que c’était rien de moins qu’une question de vie ou de mort dont il s’agissait ici.

Le Conseil du patronat s’est étouffé d’indignation. Les médecins allaient en masse déménager en Ontario, où l’herbe serait bien plus verte, de la couleur, tiens, des dollars.

Les investisseurs feraient la grève. Faute de moyens désormais, les écoles finiraient par fermer, comme les hôpitaux. Si, en effet, il n’y a plus personne pour payer des taxes, comment l’État réussira-t-il à assumer ses responsabilités ?

Encore heureux qu’on ait annoncé la fermeture de Gentilly-2. C’est Fukushima, Three Miles Island ou Tchernobyl qui nous attendaient !

Heureusement, l’Hallowee’en est passée. Et grâce à des personnes engagées du côté du bien commun, le bon sens et les faits ont des chances de prévaloir. Le docteur Alain Vadeboncoeur est de ces personnes animées de convictions généreuses, mais appuyées par une argumentation sans faille.

Il vient de publier chez Lux éditeur Privé de soins. Dans lequel les « lucides » en prennent pour leur rhume !

Il est réconfortant, et rassurant, de voir déboulonnés ces mythes qu’une propagande aussi puissante qu’efficace tente et réussit souvent à nous imposer : le poids de la dette, les PPP, le privé en santé et en éducation, l’incontournable dégraissage des services publics.

Dans la préface, Bernard Émond écrit que « Vadeboncoeur reconnaît sa croyance en l’idée du bien commun. C’est une croyance, n’en doutons point : on peut tout aussi bien croire au bien commun qu’à l’égoïsme et à la main invisible ; mais c’est une croyance qui se donne pour telle, contrairement à l’autre, qui se présente comme un constat. Par contre, une fois sa croyance affirmée et revendiquée, Vadeboncoeur se range ensuite résolument du côté des faits. Il apparaît alors de manière répétée cette chose extraordinaire : nous découvrons à quel point les lucides s’illusionnent et à quel point ils sont aveugles aux faits les plus avérés. »

Les faits sont durs, mais ce sont les faits, comme disait l’autre.

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