Les « working rich » veulent notre chemise !

2012/10/31 | Par Pierre Dubuc

Vous avez trouvé le patronat, les chambres de commerce et les médias agressifs dans leur campagne contre l’abolition de la taxe santé par le gouvernement Marois. Vous n’avez encore rien vu! Le pire est à venir!

À moins que, par un concours de circonstances imprévisibles, le Québec fasse exception à une tendance mondiale, la salve patronale n’était qu’un hors-d’œuvre.


Un discours patronal unique

En France, à peine trois jours après que le président François Hollande eût, dans un discours prononcé devant 3 000 chefs d’entreprise, déclaré renoncer à un « choc de compétitivité », un puissant lobby patronal réclamait un tel « choc de compétitivité » sous la forme d’une réduction de 30 milliards d’euros de leurs charges sociales.

Aux États-Unis, Wall Street mène campagne tambour battant contre Barack Obama, bien que ce dernier ait appuyé, en début de mandat, le plan d’aide de 700 milliards de dollars pour sauver le secteur financier et qu’il ait abandonné la plupart des mesures progressistes promis lors de la campagne électorale de 2008.

Des multimilliardaires comparent aujourd’hui Obama à Hitler parce qu’il doit, selon eux, son élection à une population rendue insécure par la crise économique, comme ce fut le cas pour le führer.

Ces ultra riches sont sur un pied de guerre. Non seulement veulent-ils contrer toute hausse d’impôts, mais ils exigent une réduction de leur contribution fiscale. Les impôts et les taxes, plaident-ils, minent la relance économique.


Pas de lien direct entre impôts et santé économique

Un récent rapport de l’OCDE démontre pourtant qu’il n’y a pas de lien direct entre, d’une part, les recettes fiscales (impôts, taxes, etc.) d’un pays en proportion de son Produit intérieur brut (PIB) et d’autre part, sa santé économique.

Ce ratio des recettes fiscales par rapport au PIB est de 27,6% du Produit national brut pour le Japon et de 24,8% pour les États-Unis, deux économies mal en point.

Il est de 45,5% pour la Suède et 47,6% pour le Danemark, deux pays avec un faible taux de chômage, une bonne croissance économique, une situation fiscale stable et de solides programmes sociaux.

Cependant, la situation économique est totalement à l’inverse en France, où l’économie est mal en point avec un ratio de 43%.

L’Allemagne (36%) et la Grande-Bretagne (35%) ont des ratios de taxation quasi-identiques, alors que l’économie de la première est florissante et celle de la dernière croupissante.

Au Canada, le ratio est de 32%. Il a atteint 35,6% en 2000, mais a décliné depuis, résultat des baisses d’impôts.

Les taux de taxation ne sont donc par le facteur déterminant de la bonne santé d’une économie, comme veut nous le faire croire le patronat.


L’assiette au beurre au complet

Si l’opposition du monde des affaires aux hausses d’impôts n’est pas dictée par leur préoccupation pour la santé de l’économie, qu’est-ce qui la motive?

Les économistes américains Emmanuel Saez et Thomas Piketty ont démontré que 93% des gains de la reprise économique de 2009-2010 aux États-Unis ont été empochés par 1% de la population. Pire encore, le 0,1% du haut de la pyramide a encaissé 37% du butin.

Quand Obama propose qu’aucun millionnaire ne soit imposé à moins de 30% – le taux d’imposition de la classe moyenne – on a l’impression, d’après leurs réactions, d’entendre un cochon qu’on égorge.

Leur modèle est Mitt Romney dont le taux d’imposition est de 14%, avec une fortune personnelle qui le place dans le 0,1%!

Soulignons que, dans la période couvrant les années 1930 du New Deal jusqu’aux premières années de la présidence de Kennedy, il était de 90% pour les mieux nantis!

Le nouveau discours des nouveaux riches

Aux États-Unis, en France, au Québec et ailleurs dans le monde, les possédants se décrivent comme une « minorité opprimée ». Aux États-Unis, ceux qui continuent à soutenir Obama sont étiquetés comme souffrant du syndrome de la « femme battue », incapable de quitter son bourreau!

Les bien nantis propagent un nouveau discours pour justifier leurs privilèges qu’il vaut la peine de décortiquer pour en mesurer les conséquences politiques.

Ils se proclament des « working rich » par opposition au « 47% de la population qui vit aux crochets de l’État », pour employer l’expression utilisée par Mitt Romney lors d’une assemblée avec de riches donateurs à sa campagne électorale.

Ils accusent Obama de « n’avoir jamais vraiment travaillé » parce qu’il était un travailleur social, tout comme Pauline Marois d’ailleurs.

Des analyses rattachent ce discours au parcours particulier de ces nouveaux riches et aux caractéristiques de la nouvelle économie issue de la mondialisation.

Contrairement aux générations précédentes des riches les plus influents aux États-Unis, leur fortune ne découle pas de l’héritage. Ils ont édifié leur propre entreprise, souvent dans le domaine des nouvelles technologies, sont imbus d’eux-mêmes et croient ne devoir rien à personne.

D’autres, contrairement à Henry Ford qui avait compris qu’il devait rémunérer suffisamment ses employés pour qu’ils puissent acheter ses voitures, ont fait fortune dans le secteur financier, un milieu complètement coupé aujourd’hui du secteur industriel.

Ou bien, ils ont délocalisé leurs entreprises en Chine ou dans d’autres pays dits émergents où les coûts de main d’œuvre sont 10 fois inférieurs à ce qu’ils sont en Amérique du Nord.

Ces nouveaux riches n’ont donc aucune sympathie pour ce qu’ils appellent les « lamentations » de la classe moyenne nord-américaine qu’ils estiment « surpayée ».


Privatisation de la taxation

Ces nouveaux riches ne veulent pas être taxés, mais sont prêts à s’auto-taxer!

Déjà, une centaine d’entre eux ont répondu au Giving Pledge, l’appel de Bill Gates et Warren Buffet qui leur demande de verser la moitié de leur fortune à des fondations privées.

L’argent est distribué par ces fondations selon leurs valeurs et en fonction de leurs critères, alors que les impôts servent à des programmes élaborés par des gouvernements élus par la population.

La montée des fondations privées va de pair avec le rétrécissement du rôle de l’État. En éducation, c’est priorité au financement des écoles privées plutôt qu’aux écoles publiques. C’est la même approche en santé.

Le message est que ces nouveaux riches savent mieux que les gouvernements ce qui est bon pour la population, que leur « gouvernance privée » est mieux que la démocratie.

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