Si René Lévesque avait prononcé le discours inaugural…

2012/11/02 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur québécois des TCA

Cette semaine, j’hésitais entre deux sujets pour mon édito : le 25e anniversaire du décès de René Lévesque ou le discours inaugural de la Première ministre. Puis, je me suis mis à imaginer ce que René Lévesque aurait dit aujourd’hui s’il avait eu à conseiller Mme Marois.

Je ne suis pas un spécialiste de René Lévesque. Mes héros sont des syndicalistes. Mais, comme ton bon Québécois, je connais ses grandes réalisations. Et, comme syndicaliste, membre des TCA, je sais qu’il a joué un rôle important dans deux grandes grèves qui ont marqué l’histoire du Québec.

Sans prétention aucune, essayons donc d’imaginer ce que René Lévesque aurait pu dire sur les quatre grands thèmes du discours inaugural.
Intégrité

Aujourd’hui, tous les commentateurs, qui commémorent son décès, relèvent avec raison sa loi sur le financement des partis politiques.

Je mesure le chemin accompli au Québec quand je lis dans le Globe and Mail que le propriétaire des Oilers d’Edmonton a fait parvenir au Parti conservateur de l’Alberta, dans les derniers jours de la campagne, un chèque au montant de 430 000 $. (Vous avez bien lu, il n’y a pas de zéro de trop.)

Mais, quand j’écoute la Commission Charbonneau, je vois qu’il y a encore du chemin à faire. J’attends donc avec impatience le dépôt du projet de loi 1 sur l’intégrité, promis par Mme Marois. J’ai également hâte de voir celui de Bernard Drainville sur le financement des partis politiques.

Dans son discours inaugural, Mme Marois a lancé l’idée de publier un état des finances publiques un mois avant les élections, qui auraient lieu à date fixe. J’ajouterais une interdiction des sondages dans les semaines précédant le scrutin, pour éviter les manipulations de l’électorat.

Mme Marois a rendu hommage à la fonction publique. Je pense que René Lévesque serait entièrement d’accord avec l’idée de rapatrier dans la fonction publique l’expertise perdue avec les privatisations et la sous-traitance. Il a été un des pères de la fonction publique moderne lorsqu’il était membre du gouvernement Lesage, lors de la Révolution tranquille.


Prospérité

Avec la nationalisation de l’électricité, René Lévesque a jeté les bases de l’indépendance énergétique et économique du Québec. Aujourd’hui, dans son discours inaugural, Mme Marois propose « un nouveau chantier qui jettera les bases de l’économie québécoise du 21e siècle en lançant une stratégie industrielle pour le développement des transports et des énergies propres ».

Je suis totalement d'accord avec sa vision « d'un développement moderne, durable, responsable et rassembleur » et aussi lorsqu’elle parle d’un « développement économique aux exigences du XXIe siècle et non à celles du profit à tout prix et à courte vue ».

Cependant, si les mots ont un sens, « un développement rassembleur » doit intégrer les besoins et les aspirations de travailleurs et les représentants des travailleurs doivent être mis à contribution.

Il me semble évident qu’un gouvernement minoritaire qui aspire à s'attaquer « au profit à tout prix et à courte vue » risque l’échec, devant les attaques du patronat et des médias, s’il n’a pas comme alliés les travailleurs et leurs représentants.


La solidarité


Je salue les mesures en éducation (maternelles 4 ans dans les mieux défavorisés, plus de places en garderie), en santé (accès à un médecin de famille pour 750 000 Québécois de plus) et toutes les mesures favorisant l’égalité des chances du discours inaugural.

Cependant, je regrette l’absence d’annonce de modernisation de la loi antiscab, une loi adoptée par le premier gouvernement de René Lévesque.

Nous avons été, les TCA, à l’origine de cette loi. C’est au cours du long conflit à la United Aircraft, aujourd’hui Pratt & Whitney, que René Lévesque avait promis une loi anti-scab. Une fois au pouvoir, il a tenu promesse. Il fait adopter la loi antiscab et a intégré la Formule Rand dans le code du travail.


Identité

La promesse de Mme Marois de présenter une nouvelle mouture de la Charte de la langue française  me renvoie encore à René Lévesque et au rôle joué par notre syndicat dans l’adoption de la Loi 101.

L’instauration du français comme langue de travail était un des enjeux de la grève de 3 mois des 2 300 ouvriers de l’usine de montage de la General Motors à Sainte-Thérèse en 1970.

René Lévesque avait déclaré aux grévistes : « Vous n’avez pas à porter le poids d’un pays sur vos épaules. Une fois au pouvoir, nous adopterons une loi. » Ce qui fut fait avec la loi 101.


Deux approches possibles


Dans son premier mandat, René Lévesque parlait d’un « préjugé favorable aux travailleurs ». Dans le premier discours inaugural de Mme Marois, les mots « travailleurs et travailleuses » n’apparaissent nulle part!

Pourtant, il y a des faits incontournables. Mme Marois est à la tête d’un gouvernement minoritaire et elle aura besoin de l’appui d’au moins un des partis d’opposition pour faire adopter les propositions de son discours inaugural.

Si elle ne veut pas être obligée de les dénaturer, elle devra compter sur l’appui et la mobilisation de la principale force organisée de notre société, le mouvement syndical.

L’épisode de la taxe santé doit servir d’exemple. Le gouvernement a tenté de faire plaisir à tout le monde avec une solution mitoyenne et le résultat est une perte de confiance des travailleurs envers le gouvernement.

Ce n’est pas inévitable. Tirons les leçons de l’histoire. René Lévesque n’aurait pu faire adopter les grandes législations de son premier mandat, sans le soutien militant du mouvement syndical et de ses leaders.

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