Méthode Toyota : l’Agence de Montréal fait la sourde oreille

2012/11/06 | Par Jacques Fournier

L’auteur est organisateur communautaire retraité

Lors de la réunion du conseil d’administration de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, tenue le 30 octobre, quelques personnes ont posé des questions au sujet des effets négatifs de l’ « optimisation » (aussi appelée méthode Toyota ou, de son vrai nom, lean manufacturing – fabrication à coûts maigres ou faibles) en cours dans la réseau. Cette opération génère un stress important chez de nombreuses intervenantes, en particulier chez les travailleuses sociales. Dans plusieurs établissements, la qualité des services aux usagers s’est détériorée à la suite, entre autres, du minutage des actes professionnels.

Des faits précis ont été portés à l’attention du conseil. La PDG de l’Agence a minimisé ou nié ces effets. Elle a fait la sourde oreille. L’enjeu : le travail social a-t-il encore un sens dans une chaîne de production ?

Il serait pertinent que le nouveau ministre Réjean Hébert invite l’Agence de Montréal à se pencher de façon rigoureuse sur les effets réels de la méthode Toyota. Une abondante littérature scientifique est maintenant disponible sur ce sujet. Dans un premier temps, au congrès de l’Ordre des infirmières, le ministre a reconnu le problème posé par le lean maufacturing. Dans un deuxième temps, il a minimisé le problème. Enfin, dans un troisième temps, il a demandé un « état de situation » sur les activités de la firme Proaction qui, à fort prix, propose des mécanismes pour accélérer la cadence de travail. C’est ainsi que, sous la férule de cette firme, les travailleuses sociales n’ont pas le droit de rester trop longtemps chez l’usager, même s’il est en détresse. Le jugement professionnel des intervenantes est mis en péril.

Selon des informations colligées par le Syndicat APTS du CSSS Ahuntsic-Montréal-Nord, on aurait constaté un suicide au CSSS Dorval-Lachine-Lasalle : une gestionnaire sur l’optimisation se serait suicidée à la période des Fêtes l’an dernier et elle aurait laissé une lettre spécifiant, entre autres, qu’elle «  propose que les gestionnaires aient des cours sur la gestion ». Au CSSS Sud-ouest-Verdun, il y aurait eu deux tentatives de suicide. Cela fait réfléchir. On sait qu’en France, à la suite de la réingénierie de France Télécom, les suicides ont été nombreux. Des employées ont laissé des lettres ou des messages très clairs concernant des causes reliées au travail. Les motifs des suicides sont complexes et souvent multi-factoriels. Pour l’instant, dans le réseau de la santé à Montréal, il n’y a pas de corrélation d’établie mais il faudra rester vigilants, pour éviter que le problème ne s’aggrave.

Trois manifestations ont eu lieu récemment, deux à Montréal, une à Québec, pour dénoncer ce recul des services aux usagers, manifestations impliquant les syndicats APTS, CSN et FIQ, ainsi que des usagers.

Le CSSS de Québec Nord a, quant à lui, choisi d’écouter les travailleuses dans ce dossier. À la suite d’une conférence de presse de la CSN cet automne, ce CSSS a abandonné la partie du programme qui dérangeait le plus les employés et incluait un minutage de toutes leurs interventions. « Ils n’étaient pas confortables avec l’outil de suivi qui avait été mis en place, a expliqué Caroline Dallaire, adjointe à la direction des soins à domicile. On a choisi de le retirer d’un commun accord. » Ça vaut la peine de se mobiliser !

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