Libre-échange: Quand la pratique contredit la théorie !

2012/11/09 | Par Marc Laviolette, Pierre Dubuc, Alain Lampron et Sylvain Martin

La grève à l’usine Bombardier de La Pocatière illustre bien comment le secteur industriel québécois est victime du Buy America Act, malgré le traité de libre-échange avec les États-Unis. L’exemple de Bombardier porte à réfléchir quant aux risques potentiels découlant de la signature de l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Europe, prévu pour la fin de 2012.

Les travailleurs de La Pocatière ont dressé des lignes de piquetage parce qu’ils sont à peine 200, sur les 540 employés de l’usine, à fabriquer les voitures pour le métro de Montréal, alors qu’en 2010, lors de l’obtention du  contrat, Bombardier Transport faisait miroiter la création de nombreux emplois à son usine du Bas-du-Fleuve.

De nombreuses pièces sont données en sous-traitance, dont les toits des voitures  du métro. Elles devaient être fabriquées en acier inoxydable à La Pocatière, mais elles le seront en aluminium aux États-Unis « où se trouve la technologie », affirment les dirigeants de l’entreprise. 

Le Québec est un grand producteur d’aluminium et Bombardier Transport est un des plus importants fabricants de matériel roulant au monde, mais les toits sont fabriqués aux États-Unis!


Le Buy America Act


Le Buy American Act exige 60% de fabrication locale dans les équipements de transport en commun. Pour satisfaire à ces exigences, Bombardier Transport a dû construire une usine à Plattsburgh pour soumissionner sur les marchés publics américains.

L’expertise de l’usine de La Pocatière a donc été transférée à l’usine de Plattsburgh pour les contrats de construction des 300 voitures du métro de New York et les 410 wagons du métro de San Francisco. 

Malgré l’accord de libre-échange avec les États-Unis, le Québec fait les frais du protectionnisme américain. André Navarri, le pdg de Bombardier Transport, résumait ainsi la situation : « Si les contrats de libre-échange permettent aux fabricants installés aux États-Unis de venir vendre au Canada alors que nous, si on veut vendre aux États-Unis et qu’on se heurte au Buy America Act, quel est l’intérêt du libre-échange » (La Presse, 9 mai 2012).


Le libre-échange Canada-Europe

À la fin des années 1970, Bombardier développait une expertise dans le matériel roulant avec l’acquisition de MLW Worthington. La division ferroviaire de Bombardier a pris son envol avec le contrat de construction de voitures pour le métro de Montréal, ce qui lui a permis, en plus de créer des emplois au Québec, de développer un savoir-faire qui a pu être exporté à l’étranger.

Au printemps 2006, Bombardier Transport était tout naturellement sur les rangs pour le contrat de renouvellement des voitures du métro. Le gouvernement Charest optait pour une négociation de gré à gré, mais les tribunaux invalidaient cette approche et une nouvelle proposition fut déposée par un consortium formé de Bombardier et de l’entreprise française Alstom.

Mais la société espagnole Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF) a contesté l’octroi du contrat au consortium sans appel d’offres, en affirmant que « l’attitude du gouvernement du Québec, principal promoteur d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne, envoie le signal à ses partenaires internationaux que la province n’hésite pas à recourir au protectionnisme pour écarter un concurrent étranger ». Le gouvernement espagnol appuyait l’entreprise CAF par des représentations auprès du gouvernement du Québec.

Le gouvernement Charest a répliqué que « les achats effectués par les sociétés de transport ne sont pas assujettis par les règles régissant le commerce international et qu’à titre de fournisseur unique au Canada, le consortium n’est pas visé par les lois applicables et les accords commerciaux auxquels le Québec est lié ».

Néanmoins, pour protéger le contrat, le gouvernement a déposé le projet de loi 116 pour encadrer cette entente et il a imposé au consortium une exigence minimale de 60% de « contenu canadien » – et non pas québécois – dont on doute aujourd’hui du respect.

Une telle législation serait-elle possible dans le cadre de l’AÉCG? Le pdg de Bombardier, Pierre Beaudoin, en doute. Dans une entrevue accordée au journal La Presse, (15 février 2012), il  s’inquiétait de l’impact des dispositions du futur accord de libre-échange sur la fabrication locale.  « Je trouverait ça malheureux qu’on ne mette pas en place un environnement qui permet de développer une industrie au Canada, comme les États-Unis le font avec le Buy America Act. »


L’absence d’une politique nationale d’achat


Bombardier n’est pas la seule entreprise confrontée au Buy America Act. Nova Bus, une filiale de Volvo, s’est également vue obliger, pour desservir le marché américain, de construire une usine à Plattsburgh, qui est un copié-collé de son établissement québécois.

Le gouvernement québécois accorde des subventions de 700 millions $ aux municipalités pour l’achat d’autobus, mais sans aucune exigence de contenu québécois. Elles pourraient acheter des autobus Nova Bus fabriquées à Plattsburgh.

Suite à des représentations syndicales, le gouvernement a fixé une exigence de contenu canadien à l’Association du transport urbain québécois (ATUQ) pour ses achats d’autobus. Le taux a été fixé à 35% afin de permettre à la compagnie New Flyer de Winnipeg de se qualifier.

Mais cela ne signifie pas que les municipalités vont préférer passer leurs commandes à une entreprise établie au Québec. Ainsi, les municipalités de Varennes et Sorel ont acheté 15 autobus à New Flyer plutôt qu’à Nova Bus, à même la subvention de 50% du gouvernement québécois, l’argent de leurs contribuables et de leurs usagers.

L’absence d’un « Buy Québec Act » fragilise le tissu industriel québécois. Par exemple, le constructeur de camions Paccar – autrefois Kenworth – établi à Ste-Thérèse fabrique le type de camions utilisés par Hydro-Québec et les municipalités. Mais la société d’État et les villes préfèrent acheter des camions de marque International produits aux États-Unis.

Depuis la réouverture de l’usine en 1999-2000, Paccar a profité d’installations neuves, de la productivité de sa main d’œuvre et d’un taux de change favorable pour écouler 85% de sa production sur les marchés privés américains.

Mais le taux de change joue maintenant en défaveur du maintien de la production au Québec. À terme, seule une politique nationale d’achat par les institutions publiques permettrait de stabiliser la production.

 Pour ce faire, il faut, premièrement, une volonté politique. Et, deuxièmement, que celle-ci ne soit pas entravée par les dispositions d’un traité de libre-échange.


Libre-échange : où est le bilan?


On célèbre cette année le 25e anniversaire du libre-échange avec les États-Unis. Plusieurs commentateurs en ont vanté les mérites. Mais leur satisfaction est l’expression d’un credo idéologique plutôt qu’une analyse basée sur des faits. Car, à notre connaissance, il n’existe aucun véritable bilan de cette expérience pour le Québec.

 Au Canada anglais, l’économiste Jim Stanford a démontré que la valeur des exportations canadiennes vers les États-Unis était aujourd’hui la même que lors de la signature de l’accord, soit 19% du PIB. Par contre, leur composition a changé. Les ressources naturelles et les produits peu ou pas transformés ont remplacé les biens manufacturés.

Au cours de la même période, le niveau de productivité des entreprises canadiennes a chuté de 90% à 72% de celui des entreprises américaines. Le libre-échange devait être une corne d’abondance, mais le revenu familial médian, corrigé en fonction du taux d’inflation, est le même qu’en 1980!
Dans ces conditions, il nous semble pour le moins imprudent pour le Québec d’adhérer au traité de libre-échange avec l’Europe sans un examen approfondi. C’est dans cette perspective que le SPQ Libre organise une assemblée publique sur le libre-échange Canada-Europe, lundi, le 12 novembre, au 9650, rue Papineau à Montréal.

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