Harper veut privatiser les services sociaux

2012/11/12 | Par Pierre Dubuc

Dans son édition du 9 novembre, La Presse nous informe que le gouvernement Harper lance un « Appel national d’idées sur la finance sociale. »

L’article fait écho à un texte plus étoffé paru dans le Globe and Mail la veille. L’« appel » vise les organismes de charité, à buts non-lucratifs et aux investisseurs privés qui sont intéressés à devenir des sous-traitants pour des services sociaux.

Le dossier relève de la ministre des Ressources humaines Diane Finley. Selon le Globe, le gouvernement s’inspire de projets semblables mis en œuvre en Australie et aux États-Unis, mais plus particulièrement de la « Big Society » du gouvernement Cameron en Grande-Bretagne.

Selon le Globe, plusieurs des grosses corporations canadiennes ont déjà répondu à l’« appel » du gouvernement fédéral. La Banque Royale, par exemple, vient d’annoncer un investissement d’un million de dollars dans un projet. La firme KPMG se dit prête à soutenir concrètement toutes les entreprises intéressées.


De quoi s’agit-il ?

Pour comprendre l’approche du gouvernement Harper, il faut retourner à un article paru dans l’édition du 28 octobre 2011 du Globe and Mail. Le journal nous apprenait que le gouvernement Harper était en train de revoir la façon dont il finance les fondations privées et les organismes sans but lucratif.

Selon le quotidien torontois, le gouvernement veut rendre conditionnelles les subventions à l’atteinte d’objectifs précis, tout en permettant aux organismes de recueillir de l’argent par le biais d’activités commerciales et une augmentation des déductions personnelles pour les dons de charité.

La nouvelle politique s’inspire de l’approche développée par le gouvernement britannique de David Cameron sous le nom de « Big Society ». La ministre Diane Finley, nous apprenait le journal, s’est rendue à Londres pour voir le fonctionnement des projets mis en œuvre dans le cadre de la « Big Society » dans le but de favoriser le bénévolat.

En plus des membres du gouvernement responsables du dossier, la ministre a rencontré des dirigeants de think tanks, de fondations privées et des fonds d’investissements sociaux Big Society Capital et Social Finance UK.

L’approche de la Big Society, rappellait le Globe and Mail, est d’inciter des bénévoles et le secteur privé à fournir des services jusqu’ici assumés par des employés du gouvernement, par exemple, dans les écoles, les hôpitaux et les bibliothèques.

Mme Finley a déclaré l’an dernier que l’implantation de ce modèle au Canada figure en tête de liste de ses priorités. Selon le Globe and Mail, plusieurs des idées qu’on cherchera à mettre en œuvre sont tirées d’un récent rapport du National Task Force on Social Finance. Le Rapport recommande au gouvernement de « tirer profit du capital privé pour le bien public ».

Pour montrer l’importance de ce rapport pour le gouvernement, le Globe révèlait que le ministre des Finances Jim Flaherty a participé aux travaux du comité chargé de sa rédaction.

Pour comprendre de quoi il en retourne, nous publions ci-dessous un extrait d’un chapitre de notre livre « Pour une gauche à gauche ».


Après le Thatchérisme, la Big Society?

Le modèle de ce mouvement d’« innovation sociale » est d’inspiration britannique. Tony Blair a créé le Social Investment Taskforce et l’Office of the Third Sector avec pour mandat de développer un secteur social privé, déguisé en « chantier de l’économie sociale ».

Aujourd’hui, le premier ministre conservateur David Cameron poursuit l’œuvre du « New Labour » avec la création d’une Big Society Bank. Le mandat de la banque sera « d’aider au financement d’entreprises sociales et d’organismes de charité afin qu’ils deviennent pourvoyeurs de services publics avec des projets novateurs, en collaboration avec l’entreprise privée ».

Une des innovations discutées actuellement est la création de « social-impact bond », des investissements liés à la performance des groupes sociaux. Par exemple, des groupes chargés de réduire le taux de récidive de jeunes prisonniers pourraient bénéficier d’investissements à long terme d’investisseurs privés ou des philanthrocapitalistes. Selon la performance du groupe, le gouvernement verserait un dividende de 7,5% à 10% sur l’investissement, ou rien du tout si l’objectif n’est pas atteint.

Mais les « entrepreneurs sociaux » ne se contentent pas de l’argent du privé ou des fondations. Des groupes d’« entrepreneurs sociaux » font actuellement pression pour que l’État force les agences gouvernementales à verser 1% de leurs budgets dans ces fonds d’innovation.

La Big Society est le thème central de l’action du gouvernement de David Cameroun. Dans un article du New Yorker du 25 octobre 2010 (All TogetherNow ! What’s David Cameron’sBig Society about?), la journaliste Lauren Collins la résume ainsi: réformer les services publics (diminuer la bureaucratie), donner le pouvoir à la communauté (transférer le pouvoir au nouveau local) et l’action sociale (encourager le volontarisme et la philanthropie ou inciter les gens à faire gratuitement des choses pour lesquelles ils étaient payés auparavant).

Selon Lauren Collins, les employés du secteur public qui pensent pouvoir faire mieux que le gouvernement auront le droit de convertir leurs unités de travail en entreprises sociales (tiens! voilà une des propositions proposition de Jean-François Lisée!).

Habilement, David Cameron prend le contrepied du célèbre slogan de Margaret Thatcher « There Is no Such Thing as Society » et déclare : « There is Such Thing as Society » en invitant les Britanniques à assumer bénévolement les services jusqu’ici rendus par l’État.

C’est le retour à la première étape de la typologie historique de Goldsmith. Le retour à la prise en charge par les familles et les organismes de charité. C’est la négation de l’État-providence, qui était la négation des services privés. Drôle de dialectique de l’Histoire!

Dans son supplément The World in 2011, la revue britannique The Economist écrit que « l’année qui vient démontrera si cette idée de Big Society est assez forte pour devenir une exportation idéologique britannique comme l’a été le Thatchérisme ». Ça promet !

Extrait de Pour une gauche à gauche, Critique des propositions sociales et linguistiques de Jean-François Lisée, Éditions du Renouveau québécois, 2011.

On peut se procurer le livre en cliquant ici.


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