Le dossier « Qui sont les riches au Québec ? »

2012/11/16 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur québécois des TCA

La semaine dernière, sous le titre « Qui sont les riches au Québec? », le réseau TVA, le Journal de Montréal et le Journal de Québec ont présenté une série de reportages sur les conditions de travail du secteur privé  (salaires, avantages sociaux, etc.) comparées à celles du secteur public.
Journalisme d’enquête ou publi-reportage ?

Vérité oblige, le journaliste reconnaît que les salaires sont plus élevés au privé qu’au public, mais il s’empresse d’ajouter que cette statistique est contestée par l’Association des entreprises indépendantes du Canada parce qu’elle ne tient pas compte des entreprises de moins de 200 salariés.


Donc, il ne faut pas comparer des pommes avec des pommes!

Autre avantage accordé au privé par le journaliste, le travail y serait plus stimulant et le nombre de défis à relever plus important.

Mais les portes du paradis se referment là.

Tout le reste est à l’avantage du secteur public. Sécurité d’emploi, retraite dorée et même meilleur salaire, si l’on tient compte de toutes les entreprises privées et non seulement celles de plus de 200 salariés.

De façon astucieuse, la série de reportages se termine sans conclusion. Au lecteur de répondre à la question posée au début du reportage : « Qui sont les riches au Québec »!

Le procédé est habile. Le tout est présenté comme une « série d’enquêtes sur les riches », alors qu’on ne parle jamais des vrais riches.

Je veux bien reconnaître aux médias de Pierre-Karl Péladeau le droit d’avoir une ligne éditoriale. Mais on ne me fera pas passer pour du « journalisme d’enquête » un publi-reportage! Qui, par hasard, est publié à la veille du dépôt du budget du gouvernement Marois.


Faut pas nous prendre pour des imbéciles


Je suis toujours étonné de voir comment la droite a toujours tendance à nous prendre pour des imbéciles.

Comme si nous ne savions pas que la sécurité d’emploi est un avantage négocié! Qu’elle a été instaurée au début des années 1960 pour éviter des congédiements massifs à chaque changement de gouvernement! Qu’elle est toujours de mise pour empêcher le patronage!

Nous savons faire la différence entre la fonction publique dont les employés ont pour mission d’être au service de la population et des entreprises privées qui offrent des services à une clientèle particulière.

Si nous avons de la famille dans la fonction publique, nous savons qu’on n’y retrouve pas uniquement des employés à temps plein. Plusieurs occupent des emplois temporaires ou sont à contrat.

Depuis plusieurs années, le gouvernement n’a pas l’obligation de remplacer tous les salariés qui partent à leur retraite. Il a plutôt pour politique de n’en remplacer qu’un sur deux.

Alors, d’accord que la sécurité d’emploi est un avantage indéniable du secteur public. Mais, si on est honnête, il faut y mettre des bémols.


Une cible de prédilection : les caisses de retraite

La cible principale du publi-reportage est – curieux hasard, encore une fois – la même que la droite, ce sont les caisses de retraite.
Bien entendu, le journaliste s’est gardé de rappeler quelques notions de base.

Comme, par exemple, que les employés de l’État y contribuent à hauteur de 50%.

Qu’un régime de retraite n’est rien d’autre que du salaire différé. Tout au long de leur vie active, les salariés consentent à encaisser moins en salaires pour pouvoir toucher des prestations une fois à la retraite.

Plutôt que d’opposer les caisses de retraite du privé à celles du public, j’aurais aimé que l’on pose les vraies questions : pourquoi acceptons-nous que des retraités vivent dans la pauvreté? Pourquoi la solution serait le nivelage par le bas? Comment se fait-il que nous n’ayons pas un régime des rentes du Québec plus généreux?
Le régime des rentes, c’est notre caisse collective. Elle appartient à toutes les Québécoises et à tous les Québécois.

Des rentes publiques plus généreuses auraient pour effet d’enlever une énorme pression financière sur les régimes privés, mais également sur celui des employés de l’État.

Avec un régime public plus généreux, toutes les travailleuses et tous les travailleurs du Québec auraient droit à une retraite décente et sécuritaire.

En passant, savez-vous quelle est la rente moyenne des retraités du RREGOP, la caisse de retraite des employés du secteur public? Non! En 2010, elle s’élevait en moyenne à 17 767 $. J’ai déjà vu des « gras durs » mieux nourris!


Toujours les mêmes préjugés…

Que dire de l’affirmation du publi-reportage que le travail serait plus stimulant au privé qu’au public, sinon qu’on veut alimenter le préjugé selon lequel les fonctionnaires « dorment sur la job » !

J’invite ceux qui pensent qu’on « se la coule douce » dans le secteur public à suivre ma conjointe, ses consoeurs et ses confrères dans leur travail quotidien à l’hôpital.
Pas seulement pendant le temps où elles prodiguent des soins aux malades, mais également lorsqu’elles cherchent avec l’employeur des solutions aux problèmes d’organisation du travail. Que d’heures et d’énergies elles y consacrent! (Et, c’est sans compter le temps qu’on prend, dans notre couple, à en discuter!)

Vous connaissez des enseignantes et des enseignants! C’est la même chose! (Là aussi, on dit que celui qui a marié une enseignante a marié une école!)

Michel Chartrand avait coutume de dire que les travailleuses et les travailleurs du secteur public étaient les plus importants, parce qu’ils s’occupaient de la personne humaine. Il faisait référence, bien entendu, à celles et ceux qui éduquent nos enfants, s’occupent des personnes âgées et nous soignent lorsque nous avons la malchance d’être malades.

Je ne m’aventurerai pas à faire de telles distinctions. Je pense que toutes les travailleuses et tous les travailleurs, tant du public que du privé, méritent le respect. 
Les vrais riches

Si on en revient à la question « Qui sont les riches au Québec? », je pense que le publi-reportage est passé (intentionnellement) à côté de la question.

Vous avez entendu, comme moi, parler du 1% de la population versus le 99%. Selon une étude de l’Université de la Colombie-Britannique, le 1% empochait 8% de l’ensemble des revenus du pays en 1970. En 2006, c’était 14%. C’est sans doute encore plus aujourd’hui.

Pour faire partie de ce 1%, il faut gagner au moins 230 000 $ par année. Le revenu moyen de ce groupe de privilégiés est de 450 000 $, alors que le revenu moyen des Canadiens est de 36 000 $.

Dernièrement, en Grèce, un journaliste s’est retrouvé en prison pour avoir rendu publique une liste comprenant les noms de 2 059 Grecs soupçonnés de posséder des comptes en Suisse.

Au moment de son arrestation, il a déclaré : « Au lieu d'arrêter les voleurs et les ministres violant la loi, ils veulent arrêter la vérité. »

Ce sont eux les vrais riches, les mieux nantis et c’est à eux que l’on doit demander de faire leur juste part à la veille du dépôt du budget du gouvernement Marois. 

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