Ressources naturelles : Planification, puis redevances et participation de l’État

2012/11/23 | Par Renaud Lapierre

L’auteur est ex-sous-ministre adjoint au ministère des Ressources naturelles et homme d’affaires

Il est on ne peut plus heureux que la nouvelle ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, ait le souci de ne pas précipiter ses décisions relatives au développement de nos ressources naturelles. Et que la première ministre, Pauline Marois, ait, pour sa part, explicitement indiqué le projet de son gouvernement de faire des consultations et de donner son appui à l’exploitation du pétrole dans notre sous-sol, le tout encadré des meilleures pratiques.


L’exploitation de nos ressources enfin aux bénéfices de tous. Voilà le défi!


Pour ce faire, il est nécessaire que, pour démontrer un véritable effort de planification et de vue d’ensemble, le gouvernement rende public un document de consultation (livre blanc ou vert) qui annonce sans ambiguïté aucune ses choix. Ce texte devrait, quant à moi, avoir au moins les éléments suivants, qui sont au nombre de six :

  • différencier l’importance des ressources;

  • rebâtir l’expertise de l’État;

  • prévoir un financement incluant l’apport des Québécois;

  • favoriser la création d’un Québec inc. des ressources naturelles, tant sur le plan de l’exploration et de l’exploitation que celui de la fabrication des équipements;

  • construire des infrastructures dans le Nord qui portent un développement à long terme;

  • mener à bien quelques autres défis (une politique de formation de la main-d’œuvre spécialisée; une intégration de la composante développement durable et, enfin, une analyse de la rentabilité globale pour la collectivité).

En deux mots, nous visons ni plus ni moins une politique d’ensemble.


  1. Différencier l’importance des ressources

Il faut éviter l’approche utilisée jusqu’à ce jour, qui ne comporte aucun choix différencié des diverses ressources, et qui tend, particulièrement en regard des ressources minières, à vouloir leur appliquer des règles identiques.

Parmi les ressources disponibles, il importe, de prime abord, que des choix éclairés soient faits pour en définir leur degré d’importance pour le développement économique du Québec. C’est pourquoi je suggère de classer leur potentiel en fonction des critères ci-dessous :

    1. Ressources pouvant amener une deuxième et troisième transformation :

Dans cette catégorie, je range, outre la forêt, le fer, et peut-être le nickel et le cuivre, pour les mines; le pétrole et l’éolien, pour l’énergie.

Dans chaque cas, le gouvernement doit, me semble-t-il, indiquer clairement l’objectif qu’il poursuit dans le retour aux contribuables de l’ensemble des retombées de ces matières et le niveau de sa participation à l’actionnariat de ces projets; lesquels projets, selon moi, doivent contenir une telle participation chaque fois que l’État investit dans les infrastructures pour leur développement.

Ainsi, on peut imaginer des redevances qui soient adaptées pour certaines ressources (mines et forêt) en fonction des projets de deux ou de trois transformations, et où il serait avantageux, pour une entreprise exploitante, d’y amener un partenaire ayant l’expertise de la transformation.

Une première mesure bien que timide du budget Marceau vise d’ailleurs cet objectif pour les investissements de 300 millions de dollars et plus, on peut espérer que le gouvernement l’utilisera non seulement pour la Forêt comme il l’a spécifiquement indiqué, mais qu’il l’étendra à la deuxième et troisième transformation pour les ressources minières si ces activités ne sont pas considérées déjà comme manufacturières.

Relativement au pétrole, que je classe comme une ressource éminemment stratégique, l’État doit toujours avoir au moins 50 % du capital-actions. Dans ce cas spécifique, les enjeux liés à cette ressource sont trop majeurs pour l’environnement et la balance commerciale du Québec pour que l’État n’y soit pas aux premières loges.


    1. Ressources stratégiques pour la nouvelle économie :

Dans cette catégorie, je place, par exemple, l’exploitation des terres rares et les mines de lithium ou de vanadium. Ici, l’État devrait jouer un rôle important dans l’actionnariat, en plus de définir une politique de redevances appropriées ou autres moyens pour en contrôler le niveau d’exportation afin de s’assurer que ces ressources seront exploitées au moment opportun pour en obtenir un retour maximal.


    1. Ressources ne comportant que peu d’espoir de retombées autres que des redevances :

Je crois que l’on peut mettre dans cette catégorie le cas de l’or et des mines de diamants. Dans ce cas, il s’agit d’appliquer les propositions déjà soumises par le Parti québécois avec une formule de redevances fixe additionnée à une redevance supplémentaire sur le rendement. Je suis d’avis qu’il est moins essentiel que l’État investisse de l’argent à l’actionnariat, s’il indique nettement qu’il cherchera à obtenir plus de 50 % en redevances et impôts des profits générés.


    1. Ressources dont l’exploitation devrait être temporairement ou définitivement refusée :

Pour mon propos, je classe, dans cette catégorie, le gaz de schiste, l’uranium et l’amiante. En ce qui a trait au gaz de schiste, après réception du rapport du comité chargé de l’étude stratégique, il doit faire l’objet d’une consultation publique élargie de façon à permettre que, lorsque les technologies seront adéquates et les prix acceptables, cette richesse soit exploitée de façon appropriée.


  1. Rebâtir l’expertise de l’État

Il apparaît tout à fait illusoire de penser faire les choix indiqués ci-devant sans que le gouvernement s’engage formellement, à l’égal de la politique du transport avec la création d’une Agence, à rebâtir l’expertise requise concernant l’exploitation de ces différentes ressources.

Pour la rebâtir, je suggère que la société d’État Ressources Québec, créée par les libéraux, mais remodelée, devienne l’instrument privilégié.

À cette fin, elle doit être retirée d’Investissement Québec pour dépendre directement de la ministre des Ressources naturelles et avoir son propre conseil d’administration. Celui-ci devrait être composé de membres indépendants. Quant au mandat de ce conseil et à son organisation, on devrait tenir compte des critiques formulées par Yvan Allaire.

Enfin, pour s’assurer que son apport à l’exploitation des ressources naturelles du Québec sera intimement coordonné, les anciennes sociétés d’État — SOQUEM, SOQUIP et REXFOR — devraient y être intégrées, comme cela a déjà été envisagé en partie, et devenir ses divisions pour les mines, les ressources énergétiques (gaz et pétrole) et la forêt.

On pourrait aussi considérer d’y intégrer la Société de développement de la Baie-James (SDBJ) et, pourquoi pas, le Fonds de la Société d’investissement dans la diversification de l’exploration (SIDEX).

Et, de grâce, évitons de faire comme le gouvernement sortant : de confier au conseil d’administration d’Investissement Québec de faire en grande partie le choix des orientations stratégiques et, qui pis est, de n’avoir pour seul critère qu’une approche financière. En revanche, donnons-lui le mandat de mettre en œuvre les orientations arrêtées par le gouvernement.

  1. Prévoir un financement incluant l’apport des Québécois

Tous ces choix stratégiques pour l’exploitation de nos ressources naturelles doivent être appuyés par un effort de financement qui ne peut pas venir que de l’État.

Aussi est-il utile que l’on crée un fonds unique de développement des ressources naturelles qui absorberait le fonds Capital Mines Hydrocarbures (750 millions de dollars), dernière mouture des libéraux, en plus des fonds qui lui sont déjà consentis à Ressources Québec (250 millions de dollars).

Ce fonds, dans lequel nous aurions incité la Caisse de dépôt et placement du Québec, le Fonds FTQ et la Fondation à investir de façon importante, serait administré par la société d’État Ressources Québec et appuyé par une politique de crédit d’impôt qui permettrait à tous nos concitoyens d’y investir, garantissant que le volume de fonds requis sera satisfaisant à l’atteinte de nos objectifs collectifs et que le niveau de propriété québécoise en fonction du choix des ressources sera respecté.

  1. Favoriser la création d’un Québec inc. des ressources naturelles, tant sur le plan de l’exploration et de l’exploitation que celui de la fabrication des équipements

Toute cette démarche de planification intégrée ne serait pas complète si elle n’était accompagnée de certains moyens appropriés pour permettre le développement d’un Québec inc. des ressources naturelles en exploration et en exploitation, ainsi qu’aux entreprises de fabrication des équipements de ce secteur.

L’exemple de l’entreprise Fordia, spécialisée dans la fabrication de matériaux de forage, exportés dans le monde entier, illustre très bien le potentiel d’un tel secteur. Le fonds mentionné ci-dessus devrait, notamment, se voir confier ce mandat.


  1. Construire des infrastructures dans le Nord qui portent un développement à long terme

L’un des dangers, notamment, des projets miniers qui sont en cours ou qui se dessinent est le peu d’intégration dans la planification des infrastructures en construction ou en analyse en ce qui concerne le développement intégré d’autres activités économiques.

Citons un exemple : le projet de la Caisse de dépôt et placement du Québec et du CN, qui vise à apporter le minerai de la fosse du Labrador à Sept-Îles. Il apparaît qu’aucune analyse du projet ne permettra, par exemple, de prendre en compte l’option de rejoindre le réseau ferroviaire actuel du Québec, limitant ainsi les choix.

Pour Hydro-Québec, bien que le contexte soit différent, pourquoi ne pas lui donner le mandat de rechercher, avec ses surplus annoncés, des industries aptes à s’installer près de ces nouveaux lieux de production ou d’y intégrer intelligemment l’éolien?

Au sujet du gaz naturel indispensable à Sept-Îles, les apports financiers de l’État, afin d’appuyer Gaz Métro dans ce projet, devraient être transformés en participation à l’actionnariat.

  1. Mener à bien quelques autres défis

    1. Politique de formation d’une main-d’œuvre spécialisée

Avec une planification adéquate, on sera plus à même de développer une stratégie de formation de la main-d’œuvre qui tiendra compte non seulement des besoins des entreprises, mais encore des besoins sociaux que nécessitera le déploiement de cette stratégie économique. Pour l’heure, bien qu’il y ait quelques initiatives, on peut déjà déceler des lacunes.

    1. Intégration de la composante développement durable

À cet égard, soulignons simplement le choix crucial des zones protégées et l’intégration des aspects d’acceptation sociale et de protection de l’environnement dans toutes ses déclinaisons.

  1. Analyse de la rentabilité globale pour la collectivité

Comment ne pas souhaiter que soit réalisée, dans cette planification d’ensemble, une analyse détaillée de la rentabilité au final pour la collectivité? Elle permettrait de voir le coût global de nos choix dans toutes ses dimensions, tel que le requière avec force M. Jacques Fortin de HEC. Analyse, à ce jour, sempiternellement absente.

Pour conclure, je passe le flambeau à madame Ouellet et l’invite à nous suggérer, pour débat, une politique stratégique d’exploitation de nos ressources qui ne soit pas, à l’instar de celle sous l’ancien régime libéral, figée à un modèle de redevances et à une participation de l’État à l’actionnariat de certaines de ces entreprises exploitantes, selon l’humeur des experts financiers d’Investissement Québec.

J’aspire à être convié, en tant que citoyen québécois, autour d’une stratégie d’utilisation cohérente dans laquelle les retombées économiques pour le Québec, respectant les principes du développement durable, seront optimales.

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