Soins de santé à domicile : Les établissements de santé et de services sociaux à la défense de Proaction

2012/11/27 | Par Maude Messier

Pour atteindre les nouvelles cibles fixées par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, les CSSS ont entamé depuis deux ans des démarches d’optimisation des services de soins à domicile.

L’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) a fait le point en conférence de presse, mardi matin, sur les différents projets d’optimisation en cours. Trois CSSS ont témoigné des résultats obtenus et des « impacts plus que positifs sur les services offerts aux usagers et aux citoyens ».

Ils soutiennent que les différentes démarches donnent des résultats « remarquables » : augmentation du nombre d’heures de services rendus à domicile, du nombre d’usagers différents desservis (pour un même nombre d’heures travaillées), du nombre de visites par jour des professionnels et de la diminution des listes d’attente.

Les organisations syndicales représentant le personnel de ces établissements, soit la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé du Québec (APTS) et la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), ont été surprises par la sortie publique de l’AQESS.

Nadine Lambert, vice-présidente de la FSSS-CSN, indique que les résultats vantés par l’AQESSS ne sont que le reflet « des indicateurs choisis au volet », précisant qu’ils ne sont que quantitatifs. « On ne parle pas de la qualité des soins ici. Très bien pour les statistiques, mais comment y est-on arrivé? Où a-t-on coupé? »

À leur avis, ces résultats « remarquables » sont tout à fait questionnables.

Les trois CSSS venus témoigner de leur expérience, Cavendish, Pointe-de-l’Île et Sud-Ouest-Verdun, ont tous octroyé des contrats d’optimisation à la firme Proaction. Cette firme conseils s’est retrouvée sur la sellette à différentes reprises au cours des dernières semaines en raison de démêlés et de relations conflictuelles avec les syndicats de ces mêmes CSSS. Des manifestations ont également eu lieu dans deux autres CSSS de la région de Québec.

À la FIQ, on comprend mal le message véhiculé par l’AQESSS. « Ça sonne faux. Comment les gestionnaires peuvent déclarer vouloir que chaque dollar soit investi directement dans les soins aux patients et sous-contracter leur propre rôle de gestionnaire à des entreprises privées telles que Proaction, Raymond Chabot Grant Thornton ou Fujitsu? », s’interroge le vice-président de la FIQ, Daniel Gilbert.

L’annonce de la hausse des sommes allouées aux projets d’optimisation de 140%, atteignant 12 millions $, dans le budget du Québec déposé la semaine dernière, fait craindre des dérapages. Les syndicats sont inquiets et réclament que le ministre de la Santé, Réjean Hébert, clarifie ses intentions.


Des pratiques controversées

Les méthodes de Proaction visent essentiellement à établir une standardisation des pratiques et un minutage strict des actes de soins pour éliminer les pertes de temps et maximiser les ressources.

Tout ce qui n’est pas considéré comme des services directs aux patients doit donc être réduit au minimum, ce qui fait bondir les syndicats.

« Les rencontres multidisciplinaires sont considérées comme du temps perdu, c’est aberrant! Les notes, qui permettent le suivi des patients, ne sont pas non plus des pertes de temps. On a un travail à faire et il faut bien le faire. Nous disons attention à l’autonomie professionnelle, il y a des codes de déontologie à respecter », de dénoncer M. Gilbert.

À la FSSS-CSN, on déplore aussi le manque de connaissance du terrain et des réalités propres au travail des professionnels et des auxiliaires en santé et en services sociaux (ASSS) qui donne lieu à des situations inacceptables.

« Quand il neige, qu’il y a du trafic ou peu importe, ce sont les patients qui écopent. Parce que l’ASSS doit respecter le temps d’intervention prévu dans les standards. »

Elle ajoute avoir eu vent de cas, par exemple, où les employés demandent aux conjoints des bénéficiaires de les déshabiller avant leur arrivée pour pouvoir leur donner un bain et entrer dans les temps. « Une personne à mobilité réduite se déplace lentement, c’est plus long. Et ça, ce n’est pas comptabilisé. N’oublions pas que les soins à domicile concernent des patients en perte de mobilité et qu’on a souvent affaire à des gens en détresse. »

La vice-présidente de l’APTS, Johanne McGurrin, estime que la sortie publique de l’AQESSS confirme le fait que les directions des établissements de santé ne sont pas à l’écoute du terrain. « C’est bien beau leurs statistiques, mais c’est un personnel à bout de souffle qui est derrière. Un personnel stressé auquel incombe toute la pression. À ce rythme là, ils ne pourront pas tenir longtemps. »

Les syndicats ne s’opposent pas à la réorganisation du travail et ils estiment que des projets d’optimisation sont possibles et souhaitables, mais pas de la façon dont l’entend Proaction.

« Réorganisation des processus et des méthodes de travail pour développer des outils, pour dispenser des soins de qualité, éliminer les pertes de temps et le gaspillage, ok. Mais nous ne sommes pas d’accord avec la standardisation des actes de certaines applications des méthodes de type Lean », d’expliquer le vice-président de la FIQ.

Les déclarations de l’AQESSS soutenant que les démarches d’optimisation visent à améliorer la qualité des services offerts, mais aussi les méthodes de travail, appuyée sur « la participation active des professionnels » font grimacer du côté syndical.

Les trois organisations dénoncent le fait que Proaction impose unilatéralement ses méthodes et ses pratiques sans aucune collaboration paritaire.

Les syndicats réclament que les projets d’optimisation soient menés en partenariat avec les organisations syndicales. « Les intervenants sont les mieux placés pour contribuer à apporter des solutions », d’indiquer Mme Gurrin, déplorant que les résultats dévoilés par l’AQESSS ne concernent que des données statistiques brutes, sans contexte, sans aucune mention qualitative et sans aucune allusion aux travailleurs et travailleuses du réseau.