Placement syndical : fin du vide juridique

2012/12/07 | Par Maude Messier

Québec - Après une semaine de discussions intensives entre la ministre du Travail et les partis d’opposition, le projet de loi 6, reportant l’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi 30, ainsi que le Règlement sur le service de référence de main-d’œuvre de l’industrie de la construction ont finalement été adoptés ce jeudi en fin d’après-midi.

La Loi 30, qui élimine le placement syndical dans l’industrie de la construction, est entrée en vigueur le 2 décembre dernier. Or, le Service de référence de main-d’œuvre orchestré par la Commission de la construction du Québec (CCQ), devant se substituer au placement syndical, n’est pas fonctionnel à ce jour.

Le gouvernement et les partis d’opposition ne s’entendaient pas sur les modalités du Règlement sur le service de référence de main-d’œuvre de l’industrie de la construction. La version déposée le mois dernier par la ministre du Travail, Agnès Maltais, a fait bondir l’opposition puisqu’une clause permettait que les entrepreneurs qui le souhaitaient puissent être contactés par les syndicats pour des fins de référence de travailleurs.

Ce à quoi se sont vigoureusement objectés le PLC et la CAQ, déclarant que cela ouvrait la porte à l’intimidation sur les chantiers et à la collusion. La CSN-Construction s’opposait également à cette version du règlement, alléguant qu’elle trahissait, en quelque sorte, l’esprit de la Loi 30.

En guise de protestation, l’opposition refusait d’adopter le projet de loi 6 qui repousse au 9 septembre prochain l’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi 30, dont le Service de référence de main-d’œuvre, et qui met fin au vide juridique dans lequel patauge l’ensemble de l’industrie de la construction depuis une semaine. Ce projet de loi émane d’une demande de la présidente-directrice générale de la CCQ, Mme Diane Lemieux.

Après avoir défendu son règlement pendant trois semaines et clamé qu’il serait toujours temps de s’entendre après l’adoption du projet de loi 6, la ministre du Travail a finalement déposé une nouvelle mouture du Règlement sur le service de référence de main-d’œuvre de l’industrie de la construction ce jeudi au terme de discussions avec l’opposition.

Entre autres amendements, la possibilité pour les entrepreneurs de contacter directement les associations syndicales pour de la référence de main-d’œuvre a été retirée. Le président de la CSN-Construction, Aldo Miguel Paolinelli, s’est dit satisfait du règlement tel qu’adopté. « Nous sommes conscients que le règlement ne règlera pas tous les problèmes, mais ça forcera des changement des comportements. C’est un pas dans la bonne direction. »

Rappelons que la CSN-Construction dénonce depuis longtemps la discrimination sur les chantiers de construction sur la base de l’allégeance syndicale des travailleurs. « On ne veut pas qu’il y ait de travailleurs de deuxième catégorie parce qu’ils n’ont pas choisi la ‘’bonne’’ association. Ce règlement va permettre d’éviter un système de placement en parallèle. C’est ça l’important. »

Il soutient aussi que certaines dispositions devraient engendrer des effets positifs quant à la diminution du travail au noir, qui représente près de 4 milliards de $ annuellement selon les chiffres de la CCQ, soit de 10% à 15% des activités de l’industrie. « C’est beaucoup d’argent pour financer la dette et les programmes sociaux ça ! »



Deux points de vue opposés

Joint par l’aut’journal, le directeur général de la FTQ-Construction, Yves Ouellet, soupire quand on lui demande ce qu’il pense de la version du règlement déposée jeudi matin. « Nous, on conteste la Loi 30. C’est de l’ingérence que l’État s’immisce dans les relations de travail entre les organisations syndicales et les entreprises privées. »

Ce à quoi s’objecte Le président de la CSN-Construction qui estime qu’il s’agit plutôt d’un retour à la «normale». « La loi n’empêche pas les relations de travail. Ces relations commencent après que les travailleurs soient embauchés, comme c’est le cas partout ailleurs! »

Peu importent les dispositions du règlement pour la FTQ-Construction. « On va attendre et voir comment ça s’opérationnalise tout ça à la CCQ. On décidera en temps opportun si on prend une licence de référence de main-d’œuvre ou pas. On verra si on peut naviguer là-dedans. »

Quand on lui rappelle que le placement syndical sera définitivement aboli, Yves Ouellet réplique : « Oui, mais au Québec seulement. Je peux placer des travailleurs sur des chantiers partout au Canada, en Alberta. On va faire ce qu’on a à faire dans l’intérêt de nos travailleurs. On ne va pas arrêter de vivre pour ça. »

Le commentaire n’est pas anodin. Certains syndicats de métiers affiliés à la FTQ-Construction ont déjà des ententes et envoient des travailleurs sur les chantiers de l’Ouest canadien.

The Globe and Mail
indiquait dans un article, jeudi matin, que le Conseil sectoriel de la construction prévoit un manque à gagner de 160 000 travailleurs spécialisés d’ici les sept prochaines années en raison du développement effréné du secteur énergétique (sables bitumineux, gaz naturel, électricité, etc.).

Même si, en définitive, la référence de main-d’œuvre ne concerne que 15% des travailleurs, le directeur général de la FTQ-Construction s’interroge toutefois sur les limites du système qui sera géré par la CCQ et affirme que certains groupes de travailleurs pourraient être pénalisés. « Il y a un côté humain dans le placement syndical qu’une liste de noms n’a pas. Par exemple, nous au local, on sait que Georges ?nom fictif? n’a pratiquement plus de chômage. Alors on va essayer de le placer plus rapidement, disons. C’est normal. »

Les femmes seront référées en premier dans les listes de travailleurs et de travailleuses soumises aux entrepreneurs via le Service de référence, mais rien ne les oblige à les choisir. À moins de dispositions plus coercitives, un entrepreneur pourra très bien passer outre les candidatures féminines. Une préoccupation partagée par la CSN-Construction.