L’illusoire souveraineté alimentaire de Mme Marois

2012/12/11 | Par Roméo Bouchard

L’Union des producteurs agricoles (UPA) en congrès a sonné l’alarme concernant l’accaparement des terres par des fonds spéculatifs et la multiplication des contrats d’intégration, craignant qu’on se dirige vers une agriculture de locataires plutôt que de propriétaires. Pour contrer cette prolétarisation des agriculteurs, elle en appelle à une politique de souveraineté alimentaire, c’est-à-dire - selon le sens qu’elle donne à ce terme - une politique qui favorise l’achat des produits du Québec et des produits locaux, dans les circuits courts, mais aussi dans les supermarchés, où se font 86 % des achats d’aliments ; et la création d’une Banque de terres achetées à gros prix par l’État. Quant à Mme Marois, elle confond visiblement souveraineté et sécurité alimentaire dans la définition qu’elle en a donnée au congrès de l’UPA : « Assurer aux Québécois un approvisionnement en aliments de qualité, santé et bon marché ! »

On peut douter qu’une politique d’achat chez nous et une banque de terres soient la solution à une telle situation. Si les agriculteurs sont réduits à vendre leur terre au plus offrant et à signer des contrats d’intégration qui en font des employés à forfait non protégés, c’est sans doute parce qu’ils n’arrivent plus à vivre de leur entreprise agricole. Pourquoi ?


Des politiques agricoles qui favorisent l’intégration

La mainmise des grandes multinationales de l’agroalimentaire est sans aucun doute à l’origine d’une baisse continuelle des prix des produits agricoles : ceux-ci ne couvrant plus les coûts de production, l’agriculteur laissé à lui-même est forcé d’abandonner ou de se vendre à un intégrateur.

Mais les politiques agricoles actuelles ont aussi leur part de responsabilité. La gestion de l’offre ne protège que le tiers des producteurs. L’Assurance pour la sécurité du revenu agricole (ASRA) ne couvre pas toutes les productions et favorise nettement les gros producteurs, y compris les intégrateurs, qui en accaparent la plus grosse part. La gestion actuelle du zonage agricole rend très difficile la constitution d’unités de production locales sur petite surface. Les plans mixtes de mise en marché constituent souvent des obstacles aux productions de créneau, à la transformation locale et à la mise en marché de proximité. Les réglementations sanitaires établies en fonction des risques élevés des ateliers industriels exigent des investissements prohibitifs pour des ateliers artisanaux.

L’UPA, seul syndicat représentant les agriculteurs de tous genres, a aussi sa part de responsabilité. L’UPA a été à l’origine de la plupart de ces politiques qui favorisent la concentration et l’intégration et elle s’est opposée systématiquement aux mesures d’adaptation qu’en a proposées la commission Pronovost. La Coop fédérée, conçue à l’origine pour fournir des services bon marché à ses membres, est présentement le plus gros intégrateur agricole au Québec, notamment dans l’industrie porcine, l’abattage et le réseau des coopératives régionales. Drôle de coopératisme ! L’UPA tolère l’accès des intégrateurs (en tant que producteurs) à l’ASRA, où ils sont les grands bénéficiaires, et leur présence au sein des directions de plusieurs grandes fédérations syndicales. N’est-ce pas le loup dans la bergerie ? Ces mêmes fédérations sont celles qui négocient les prix avec les intégrateurs (en tant qu’acheteurs), mais elles ne négocient pas les contrats d’intégration que ces mêmes intégrateurs imposent aux agriculteurs. Drôle de syndicalisme !

Dans un contexte de mondialisation et de libre-échange, si on veut maintenir une agriculture de propriétaires et une agriculture territoriale, donc une souveraineté alimentaire, il faut se doter de politiques et de syndicats qui, au lieu de favoriser la concentration et l’intégration comme c’est le cas présentement, protègent les petits agriculteurs indépendants partout sur le territoire.



Menaces intérieures

En conclusion, la menace qui pèse sur nos terres et nos agriculteurs, c’est moins celle des Chinois et des Fonds d’investissement que celle qui vient des intégrateurs et des politiques publiques et syndicales qui leur facilitent la prise de contrôle. Les campagnes d’achat local et les banques de terre ne pèseront pas lourd dans la balance. Si l’on veut vraiment s’attaquer à l’accaparement des terres et à la prolétarisation des agriculteurs, il faut avoir le courage de réformer ces politiques agricoles et syndicales. Sans ces réformes structurelles, la souveraineté alimentaire restera un vain mot, comme nous en avait prévenus le rapport Pronovost (p. 34).

Or quand on voit le président de l’UPA se féliciter publiquement des orientations « non controversées » du gouvernement en agriculture, on a tout lieu de penser que ces réformes maintes fois combattues par l’UPA ne se feront pas.