« Transparence syndicale » et formule Rand : Le renouveau syndical, version patronale

2012/12/14 | Par Pierre Dubuc

On discute beaucoup dans le mouvement syndical, par les temps qui courent, de renouveau syndical. Chose certaine, l’adoption du projet de loi C-377 par le Parlement fédéral et l’abolition de la formule Rand au Michigan démontrent que cette discussion ne peut se tenir en faisant abstraction de la bourrasque antisyndicale qui déferle sur l’Amérique du Nord.


Au Michigan, une action planifiée de longue date

Au Michigan, la loi bannissant la formule Rand, qui oblige chaque employé ou travailleur à payer une cotisation syndicale lorsqu’il est embauché dans un établissement syndiqué, est un copié-collé, nous apprend le magazine The Nation, d’un texte « modèle » élaboré par l’American Legislative Exchange Council, un organisme des frères Koch.

L’an dernier, à l’occasion du conflit syndical au Wisconsin, nous avons tracé sur le site de l’aut’journal un portrait de l’activité antisyndicale des frères Koch, la troisième fortune des États-Unis.

Nous rappelions comment, après l’échec de leur appui au candidat du Parti Libertarien aux élections présidentielles de 1980, les frères Charles et David Koch avaient décidé de centrer leur action et leurs capitaux sur la mise sur pied de nombreuses fondations, dont le Cato Institute, dans des activités de lobbying, la création d’organismes chargés de la rédaction de projets de loi et le déploiement d’organisateurs politiques au profit des Républicains dans les États jugés clefs.

Nous citions le New York Times qui rapportait que les Koch avaient tenu une réunion secrète avec des leaders patronaux et des politiciens républicains pour organiser la bataille contre les syndicats.

« Si ce n’est pas nous, qui d’autre? Si ce n’est pas maintenant, quand? », pouvait-on lire dans la lettre d’invitation. Soulignons que les Koch avaient invité à cette réunion Mark Mix, le président de la National Right to Work Legal Defense Foundation, un organisme voué à la destruction des syndicats.

Nous voyons aujourd’hui, au Michigan, le résultat de cette activité.



L’anti-syndicalisme ne connaît pas de frontières

Aux États-Unis, il existait historiquement, d’un point de vue syndical, une frontière officieuse ente le nord et le sud, la Mason-Dixon Line. Le taux de syndicalisation dans les États du Nord s’apparentait à celui du Canada, mais il est aujourd’hui inférieur à 4% en Caroline du Nord, à 5% au Texas, à 7% en Caroline du sud, en Virginie, en Georgie, en Arkansas, en Louisiane, au Mississipi et en Floride.

Dans un contexte où les droits syndicaux les plus élémentaires sont aujourd’hui bafoués au Michigan, berceau du syndicalisme américain, et dans d’autres États limitrophes du Canada, on peut également questionner l’étanchéité de la frontière États-Unis–Canada du point de vue des droits syndicaux.

Déjà, au lendemain de l’adoption de la loi antisyndicale au Michigan, le Globe and Mail spéculait sur la contagion possible à l’Ontario, étant donné la proximité géographique et la rivalité économique de la province canadienne avec les États américains du Midwest.

Le Globe rappelait également que le chef du Parti Progressiste-Conservateur ontarien Tim Hudak a promis l’adoption d’une législation abolissant la formule Rand, s’il est élu premier ministre lors du scrutin qui se tiendra au cours des prochains mois.



La contribution de Stephen Harper

Bien que le code du travail soit de juridiction provinciale, sauf pour les emplois relevant du gouvernement fédéral, rien n’empêche le gouvernement Harper d’apporter sa contribution à l’affaiblissement du mouvement syndical. C’est ainsi qu’il faut interpréter l’adoption du projet de loi C-377 sur la « transparence » syndicale.

Depuis qu’il est majoritaire au Parlement, le gouvernement Harper s’emploie systématiquement à éliminer ou à marginaliser toutes les institutions, tous les groupes qui représentent une opposition potentielle à son action et à ses politiques en faveur des lobbys pétroliers, miniers, financiers ou militaires.

Pour contrer les arguments scientifiques, le gouvernement a réduit considérablement les fonds à Statistique Canada et à différents instituts de recherche. À l’avenir, il sera difficile de fonder sur des faits prouvés scientifiquement l’impact, par exemple, de l’exploitation des sables bitumineux sur les changements climatiques, ou celui d’autres industries sur l’air que l’on respire, l’eau que l’on consomme.

Dans un deuxième temps, le gouvernement a coupé les fonds aux organismes environnementaux qui s’opposaient à ses politiques ou les a accusés d’être manipulés par des « intérêts étrangers », lorsqu’une partie de leur financement provenait de fondations américaines.

Aujourd’hui, Stephen Harper s’en prend, par le biais du projet de loi C-377, à la principale force organisée, seule en mesure d’opposer une riposte sérieuse à ses politiques et aux intérêts des lobbys qu’il représente: le mouvement syndical.

Dans ce cas-ci, comme dans les autres, il cible les assises financières des organisations visées. Mais, comme il ne peut priver les syndicats de leurs revenus, il essaie d’en restreindre l’utilisation à des activités étroites et corporatistes.

Comment? En obligeant, par le projet de loi C-377, les organisations syndicales à afficher sur un site Internet du gouvernement fédéral toutes les dépenses supérieures à 5 000 $.



La complicité de Québecor

On imagine facilement la suite. Le Journal de Montréal et le Journal de Québec pointeront du doigt toutes les dépenses qui sortiront du cadre étroit de la convention collective, toutes les sommes octroyées en soutien à des groupes environnementaux, étudiants, féministes, etc., comme ils le font actuellement pour des dépenses d’organismes gouvernementaux ou paragouvernementaux.

Déjà, au Canada anglais, les médias propriété de Sun Media, la filiale anglophone de l’empire Québecor, mènent campagne depuis des mois en faveur de l’adoption du projet de loi C-377.

L’objectif, à court terme, est de provoquer une réaction négative chez les membres des syndicats pour que ces derniers s’autocensurent et effectuent un repli corporatiste.

À plus long terme, on vise la formule Rand. Dans le contexte politique actuel, son abolition provoquerait une débandade syndicale, ramenant le Québec 50 ans en arrière, au rang de réserve de « cheap labour ».

Bien que le projet de loi C-377 vise l’ensemble des syndicats canadiens, le Québec sera particulièrement touché parce que son taux de syndicalisation avoisine les 40%, alors qu’il est d’environ 31% pour l’ensemble du Canada.


Des objectifs politiques

Aux États-Unis, dans des États comme le Michigan, le Wisconsin, l’Ohio et l’Indiana, le mouvement syndical constitue un contre-pouvoir à celui des corporations. Le résultat des élections présidentielles et sénatoriales de 2012 en témoigne. Le président Obama et les sénateurs démocrates ont remporté les États du Michigan, de l’Ohio, de la Pennsylvanie et du Wisconsin grâce en bonne partie à l’appui du mouvement syndical.

Au Canada-anglais, le mouvement syndical constitue la base organisationnelle du NPD, tout comme il forme une bonne partie de l’infrastructure organisationnelle du Parti Québécois au Québec.



La connexion Harper-Péladeau

Que l’empire Québécor se soit acoquiné avec le gouvernement Harper dans cette sale campagne, comme en témoignent les prises de position de ses chroniqueurs vedettes, ne devrait pas nous étonner. On se rappellera les longs conflits au Journal de Québec et au Journal de Montréal.

De plus, Pierre-Karl Péladeau est copain-copain avec Harper et ses journaux au Canada anglais ont fait campagne pour le Parti conservateur lors du dernier scrutin fédéral.

Au Québec, les médias de Québecor ont créé de toutes pièces, à coups de pages frontispices élogieuses et de douteux sondages Léger Marketing, la CAQ de François Legault.

Rappelons que Legault proposait, lors du dernier scrutin, de modifier le code du travail pour imposer le « vote obligatoire » pour la syndicalisation, un modèle, en vigueur aux États-Unis, qui rend extrêmement difficile la syndicalisation.

Nous pouvons parier, maintenant que la loi C-377 a été adoptée, et une fois que les médias de Québecor auront tout mis en œuvre pour discréditer les syndicats avec la publication de leurs dépenses, qu’un François Legault trouvera des vertus à l’abolition de la formule Rand.

Voilà de quoi alimenter la réflexion syndicale... et politique!