La saga des armes chimiques syriennes

2012/12/19 | Par Michel Chossudovsky

Inspiré du discours sur les armes de destruction massive (ADM) de Saddam Hussein, la ruse propagandiste concernant la présumée menace des armes chimiques syriennes se développe depuis plusieurs mois.

D’une même voix et sans preuves, les médias occidentaux suggèrent qu’un président Bachar Al-Assad « désespéré » et « frustré » prévoit utiliser des armes chimiques mortelles contre son propre peuple. La semaine dernière, des représentants étasuniens ont révélé à NBC News que « l’armée syrienne a chargé des bombes de gaz neurotoxiques et attend les derniers ordres d’Al-Assad ».

Les gouvernements occidentaux accusent maintenant la Syrie d’avoir un plan diabolique ordonné par le chef d’État syrien. Entre-temps, l’hyper médiatisation est passée à la vitesse grand V. De faux reportages sur les ADM syriennes sont introduits dans le réseau médiatique, rappelant les mois précédant l’invasion de l’Irak en mars 2003.

Le consensus médiatique qui se développe est que « le régime du chef d’État syrien Bachar Al-Assad semble à son crépuscule » et la « communauté internationale » a la responsabilité d’aller secourir le peuple syrien afin de prévenir un désastre humanitaire.

« [L]’Occident craint de plus en plus que la Syrie, dans un ultime geste de désespoir, lance des armes chimiques »

Des reportages récents indiquent que le gouvernement assiégé de la Syrie a commencé à préparer l’utilisation d’armes chimiques [contre le peuple syrien]. Après deux ans de guerre civile et plus de 40 000 morts, les événements en Syrie pourraient atteindre une apogée sanglante. (WBUR, 11 décembre 2012.)




La Syrie (2012) comparée à l’Irak (2003)


Les critiques antiguerre ont abondamment souligné les similitudes avec le subterfuge des ADM irakiennes, qui consistait à accuser le gouvernement de Saddam Hussein de posséder des armes de destruction massive. La menace présumée d’ADM a ensuite été utilisée pour justifier l’invasion de l‘Irak en mars 2003.

Dans la foulée de l’invasion, le stratagème des ADM d’Irak a été reconnu comme pure fabrication, le président George W. Bush et le premier ministre Tony Blair reconnaissant qu’il s’agissait en fait d’une « grave erreur ». Récemment, l’archevêque Desmond Tutu, récipiendaire du prix Nobel de la paix, a réclamé que les menteurs Blair et Bush subissent un procès à la Cour pénale internationale de La Haye.

La saga des ADM syriennes contraste avec celle d’Irak. Le but n’est pas de « justifier » une guerre humanitaire totale contre la Syrie en employant les armes chimiques comme prétexte.

Une évaluation des planifications militaires alliées ainsi que la nature de l’appui des États-Unis et de l’OTAN aux forces de l’opposition suggèrent une approche différente de celle adoptée avec l’Irak (2003) et la Libye (2011).

L’objectif est, en effet, de diaboliser Bachar Al-Assad, mais à ce stade-ci le but n’est pas de mener une guerre totale de type « choc et stupeur » contre la Syrie impliquant une véritable campagne aérienne. Dans les conditions actuelles, agir de la sorte serait extrêmement risqué. La Syrie possède un système de défense aérienne sophistiqué, équipé de missiles russes Iskander ainsi qu’une force terrestre considérable. Une opération militaire occidentale pourrait aussi mener à une réaction de la Russie, détenant une base navale dans la ville portuaire de Tartous au sud de la Syrie.

Par ailleurs, des forces iraniennes du corps des Gardiens de la révolution (GRI) sont sur le terrain en Syrie et des conseillers militaires russes sont impliqués dans la formation de l’armée syrienne.

Récemment, en réponse au déploiement en Turquie de missiles Patriot fabriqués aux États-Unis, la Syrie a reçu la livraison de missiles russes Iskander plus perfectionnés, les Mach 6-7. La Syrie possède déjà les Iskander-E, moins sophistiqués et le système de missiles antiaériens Pechora-2.


Guerre non conventionelle

À ce stade, malgré la supériorité militaire des États-Unis et de l’OTAN, une opération militaire en règle n’est pas envisagée pour les raisons mentionnées ci-dessus.

La guerre non conventionnelle demeure la méthode privilégiée. Des reportages confirment que les opérations militaires menées par l’OTAN consisteraient principalement à appuyer les forces rebelles, leur structure de commandement, leurs systèmes de communication, leur recrutement, leur formation et à leur transférer des armes plus perfectionnées. Une partie de ce projet, dont la formation des rebelles, est accomplie par des entreprises privées de mercenaires.

Il se pourrait que l’on envisage une campagne de bombardements aériens limitée et sélective en appui aux rebelles en utilisant comme prétexte l’existence d’armes chimiques syriennes stockées dans des bunkers. Cette opération serait toutefois risquée vu la capacité de défense aérienne de la Syrie.

Un programme militaire coordonné caractérisé par un « appui naval et aérien en plus d’une formation militaire pour l’opposition » était l’ordre du jour d’une récente réunion « semi-secrète » à Londres, présidée par le général Sir David Julian Richards, chef d’état-major de la Défense britannique.

Les chefs militaires de la France, de la Turquie, de la Jordanie, du Qatar, des Émirats arabes unis et des États-Unis ont participé à la réunion de Londres. Aucune autre information n’a été rendue publique. (Voir Felicity Arbuthnot, Secret Meetings in London Plotting to Wage War on Syria without UN Authorization, Global Research, 11 décembre 2012.)

L’objet de ce rassemblement derrière des portes closes à Londres (rapporté le 10 décembre 2012) était d’appuyer une structure de commandement militaire unifiée des forces d’opposition conçue pour « unir les rangs des insurgés » luttant contre les forces gouvernementales. En pratique, cela nécessitera un nouvel afflux de mercenaires sous la supervision des forces spéciales occidentales, déjà sur le terrain en Syrie.



Orchestration d’un désastre humanitaire?

L’élément formation de la manoeuvre des États-Unis et de l’OTAN est crucial. En quoi est-il lié à la question des armes chimiques de la Syrie?

À l’heure actuelle, l’alliance militaire occidentale n’envisage pas de guerre totale en réaction à la possession d’armes chimiques par la Syrie, mais plutôt la nécessité d’entraîner les rebelles de l’opposition à manier des armes chimiques.

Ce programme de formation a été confirmé, a déjà débuté et est implanté avec l’appui d’entreprises privées spécialisées à contrat pour le Pentagone et offrant des services de sécurité et des mercenaires.

« Un représentant et des diplomates étasuniens de haut rang ont déclaré à CNN dimanche que les États-Unis et certains alliés européens emploient des sous-traitants du domaine de la défense pour entraîner les rebelles syriens à sécuriser les réserves d’armes chimiques en Syrie. » ( CNN Report, 9 décembre 2012.)

Un scénario diabolique faisant partie intégrante de la planification militaire se déroule, c’est-à-dire une situation où des terroristes de l’opposition conseillés par des entrepreneurs occidentaux du secteur de la défense sont en possession d’armes chimiques.

Il ne s’agit pas d’un exercice de formation en non-prolifération. Alors que le président Obama affirme « vous serez tenu responsables » si « vous » (en parlant du gouvernement syrien) utilisez des armes chimiques, cette opération clandestine envisage la possession de telles armes par les terroristes appuyés par les États-Unis et l’OTAN, à savoir « nos » agents affiliés à Al-Qaïda, dont le Front Al-Nosra, lequel constitue le groupe de combattant le plus efficace financé par l’Occident et auquel sont intégrés des mercenaires étrangers. Par un retournement de situation, Jabhat Al-Nosra, un « agent du renseignement » parrainé par les États-Unis a récemment été placé sur la liste des organisations terroristes du département d’État.

L’Occident affirme qu’il vole à la rescousse du peuple syrien dont les vies seraient menacées par Bachar Al-Assad. En réalité, non seulement l’alliance militaire occidentale appuie les terroristes, incluant le Front Al-Nosra, il met également des armes chimiques à la disposition de ses forces par procuration, les rebelles de l’« opposition ».

La prochaine étape de ce scénario diabolique est que les terroristes de l’« opposition » recrutés par les États-Unis et l’OTAN pourraient utiliser ces armes chimiques contre des civils ce qui pourrait provoquer un désastre humanitaire à la grandeur du pays.

La question plus générale est donc : qui représente une menace pour le peuple syrien? Le gouvernement syrien de Bachar Al-Assad ou l’alliance militaire États-Unis-OTAN-Israël qui recrute et entraîne des forces terroristes d’« opposition »?



Historique du prétexte des armes chimiques syriennes

La saga des armes chimiques syriennes a été lancée l’été dernier. Au début août, le Pentagone a annoncé qu’il enverrait de « petites équipes des forces d’opérations spéciales » en Syrie dans le but de détruire les ADM syriennes. Ces équipes seraient appuyées par des « frappes aériennes de précision », soit des raids aériens. Aucune attaque aérienne en règle n’était envisagée. Selon le Pentagone, les frappes de précision visaient à « détruire les armes chimiques sans les disperser dans l’air », un engagement risqué...

Ironiquement, au début de ce plan machiavélique, l’incursion et les opérations aériennes des forces spéciales étasuniennes ne ciblaient pas le régime syrien. C’est plutôt le contraire. L’intention déclarée de l’opération était de protéger les civils contre les rebelles de l’« opposition » plutôt que des forces gouvernementales.

Aucune accusation n’a été portée contre le président Bachar Al-Assad voulant qu’il manigance l’emploi d’armes chimiques contre les civils syriens. Selon le Pentagone, l’opération avait pour but de s’assurer que les ADM syriennes, supposément « laissées sans surveillance » dans des bunkers militaires à travers le pays, ne tombent pas aux mains de rebelles djihadistes combattant les forces gouvernementales :

Les planificateurs du Pentagone se penchent davantage sur la protection ou la destruction de toute réserve syrienne laissée sans surveillance et risquant de tomber aux mains des combattants rebelles ou de milices affiliées à Al-Qaïda au Hezbollah ou à d’autres groupes de militants. (U.S. has plans in place to secure Syria chemical arms – latimes.com, 22 août 2012.)

Le Pentagone disait en août que ces ADM pouvaient tomber aux mains des combattants de la liberté, « prodémocratie », recrutés et financés par plusieurs proches alliés des États-Unis dont la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite, en liaison avec Washington et le quartier général de l’OTAN à Bruxelles.

Au fond, le secrétaire à la Défense Leon Panetta réfutait ses propres mensonges. En août il reconnaissait la menace terroriste et maintenant il accuse Bachar Al-Assad. Washington le reconnaît tacitement, la majorité des combattants de la liberté syriens sont non seulement des mercenaires étrangers, ils appartiennent aussi à des groupes islamistes extrémistes figurant sur la liste des organisations terroristes du département d’État.

Israël est un partenaire de l’OTAN et du Pentagone dans l’opération des armes chimiques syriennes.



Former des terroristes à l’utilisation d’armes chimiques

Si l’administration Obama s’affairait véritablement à empêcher que ces armes chimiques ne tombent « entre de mauvaises mains » (tel que le suggérait le Pentagone en août) pourquoi donc forme-elle désormais les « rebelles de l’opposition », composés surtout de salafistes et de combattants affiliés à Al-Qaïda, afin de prendre le contrôle des réserves gouvernementales d’armes chimiques?

Selon les sources, la formation [sur les armes chimiques] se donne en Jordanie et en Turquie et englobe la surveillance et la protection des réserves ainsi que le traitement du matériel et des sites d’armement. Certains entrepreneurs sont sur le terrain en Syrie et travaillent avec les rebelles pour superviser quelques sites, d’après l’un des représentants officiels.

La nationalité des formateurs n’a pas été divulguée, cependant les représentants ont indiqué qu’il ne fallait pas assumer qu’ils sont tous étasuniens. (CNN, 09 décembre 2012.)

Bien que les reportages ne confirment pas l’identité des sous-traitants du secteur de la défense, les déclarations officielles suggèrent qu’ils sont étroitement liés par contrat au Pentagone.

La décision des États-Unis d’engager des entrepreneurs du domaine de la défense pour apprendre à des rebelles syriens à manier des réserves d’armes chimiques semble dangereusement irresponsable, surtout si l’on considère à quel point Washington a été incapable jusqu’à maintenant de s’assurer que seuls des rebelles laïques fiables, s’ils existent, reçoivent leur aide et les armes fournies par leurs alliés des États arabes du Golfe.

Cela alimente par ailleurs les accusations récentes du ministère syrien des Affaires étrangères selon lesquelles les États-Unis montent un coup contre le régime syrien pour lui reprocher qu’il se bat avec des armes chimiques ou se prépare à la faire.

« Cette nouvelle que font circuler les médias suscite des inquiétudes. Nous craignons sérieusement que certains des pays appuyant le terrorisme et les terroristes fournissent des armes chimiques aux groupes terroristes armés et affirment que c’est le gouvernement syrien qui les a utilisées [...] » disait une lettre à l’ONU. (John Glaser, Us Defense Contractors Training Syrian Rebels, Antiwar.com, 10 décembre 2012. Voir également le reportage de CNN, 9 décembre 2012.)

La principale question qui se pose est : quelle est la nature de cette horrible opération clandestine? Cette opération menée par les États-Unis et l’OTAN vise-t-elle à « prévenir » ou « encourager » l’utilisation d’armes chimiques par l’Armée syrienne libre (ALS)?

Le reportage ci-dessus confirme que les États-Unis et l’OTAN montrent à des terroristes comment utiliser des armes chimiques. Est-il nécessaire de manipuler des produits chimiques toxiques dans ce type de formation spécialisée? Autrement dit, par le biais des sous-traitants de la défense, l’alliance militaire occidentale met-elle des armes chimiques à la disposition de terroristes pour les besoins de la formation?

Sachant que l’insurrection syrienne est en grande partie composée de djihadistes et de formations affiliées à Al-Qaïda, ce n’est guère une façon d’« empêcher » l’utilisation d’armes chimiques contre des civils. De plus, de nombreux rebelles de l’« opposition » recevant la formation des armes chimiques ont commis d’innombrables atrocités amplement documentées contre des civils syriens, dont le massacre de Houla.

Des groupes terroristes pourraient avoir recours à des armes chimiques contre la population syrienne [...] après avoir pris le contrôle d’une usine de chlore toxique [à Alep] » a déclaré le ministère des Affaires étrangères samedi. (Press TV, 8 décembre 2012.)

Il convient de noter que les forces de l’opposition n’ont pas besoin de contrôler les réserves gouvernementales pour utiliser des armes chimiques. De telles armes, provenant des réserves occidentales, pourraient facilement être mises à la disposition des firmes impliquées dans les programmes de formation spécialisée sur les armes chimiques.

Inutile de dire que la formation sur les armes chimiques et l’implication de sociétés privées de mercenaires à contrat avec l’OTAN et le Pentagone augmentent les risques. Elles créent les conditions favorables à l’utilisation des armes chimiques par les forces de l’opposition pouvant déclencher un désastre humanitaire national.

La coalition des États-Unis et de l’OTAN a toutefois clarifié lors de sa réunion « semi-secrète » à Londres (rapportée le 10 décembre) qu’elle n’envisage pas de « présence sur le terrain ». Les forces spéciales travailleront avec l’insurrection contre les forces gouvernementales.

En l’absence d’une opération militaire en règle, l’accent est mis sur la guerre non conventionnelle. Dans ce contexte, l’une des nombreuses « options [diaboliques] sur la table » serait de créer les conditions dans lesquelles des armes chimiques « tombent aux mains » des terroristes, ce qui pourrait provoquer un désastre humanitaire dans toute la Syrie.

Alors que cette option, advenant sa mise en oeuvre, ne nécessiterait pas une intervention militaire de États-Unis et de l’OTAN, la catastrophe humanitaire ouvrirait la voie à la chute du gouvernement syrien et à l’objectif longuement convoité de « changement de régime ».

Les modèles libyen ou irakien ne constituent pas des options. Le choix stratégique de l’alliance militaire occidentale indique la mise en scène probable d’une catastrophe humanitaire.

Dans la logique de la propagande de guerre et de la désinformation médiatique, la mort de civils causée par l’utilisation d’armes chimiques serait blâmée sur le président Bachar Al-Assad afin de faire appliquer des mesures subséquentes par l’alliance militaire des États-Unis et de l’OTAN.

Nous ne suggérons pas que cette option se concrétisera inévitablement, mais qu’au programme des États-Unis et de l’OTAN figure l’option des rebelles en possession d’armes chimiques pouvant déclencher un désastre humanitaire.

Comment pouvons-nous nous assurer que cette option épouvantable et diabolique soit éliminée et définitivement enterrée?

Cette question doit être diffusée. L’opinion publique doit se mobiliser contre la guerre menée par les États-Unis, l’OTAN et Israël.


Dénoncez ce déjà vu mensonger sur les ADM.
Opposez-vous au consensus des médias dominants.
Révélez et réfutez les mensonges et fabrications concernant le programme des armes chimiques de la Syrie.
Faites circuler l’information dans le monde entier.
Amenez le débat sur la place publique. Confrontez les criminels haut placés.

Article original: The Syria Chemical Weapons Saga: The Staging of a US-NATO Sponsored Humanitarian Disaster?
Traduction: Julie Lévesque pour Mondialisation.ca