Réflexion sur l’hystérique couverture médiatique du massacre de Newton

2013/01/07 | Par Martin Lachapelle

Quand un chroniqueur du Devoir a publié un texte visant à dénoncer le cirque médiatique dans sa couverture parfois indécente de certains drames particulièrement horribles et tragiques, une journée avant le drame de Newtown, au Connecticut, il ne se doutait probablement pas qu’une des pires tueries était sur le point de se produire chez nos voisins américains. Et on repassera pour le mea culpa des médias. Et le nôtre, pour notre propre voyeurisme macabre et morbide…

Le 13 décembre dernier, dans L’Horreur des autres, David Desjardins, du journal Le Devoir, a mis le doigt sur un gros bobo : la propension froidement sensationnaliste et mercantiliste des médias à vouloir faire le maximum de millage sur la nouvelle lorsque survient un drame humain.

Nous n’aurons malheureusement pas eu le temps d’assister au semblant du début d’une réflexion de la part des grands médias avides d’horribles faits divers. Car, avant même qu’ils aient eu le temps de réfléchir sur leurs douteuses pratiques journalistiques, le hasard a voulu qu’une autre tuerie survienne dans une école aux USA.

Et c’est reparti pour un autre épisode du cirque médiatique. RDI a tout de suite emboîté le pas. Et hop, on écourte Le Match des élus et on cancelle toute la programmation principale en faisant d’un fait divers survenu à l’étranger, aussi triste soit-il, LA nouvelle nationale.

Et c’est reparti pour une autre hystérique couverture en direct avec tout ce que cela comporte : des informations colportées avant même d’être analysées. Des erreurs. Et rapidement des longueurs causées par la retransmission répétée du peu d’informations disponibles.

On avance un bilan de victimes, qu’on revoit ensuite à la hausse ou à la baisse, de la même façon qu’on parle de statistiques financières revues et corrigées. Désolé, on s’est trompé ! Passons maintenant à la météo ! Non ? On a encore du temps à passer sur la tuerie ?

RDI annonce qu’elle a rejoint une Québécoise vivant aux USA dont le fils aurait déjà été à la même école que le meurtrier. Wow ! Tu parles d’un scoop !

Cette femme interrogée était-elle sur les lieux du drame ou est-elle en mesure de nous apprendre davantage ? Pas besoin. Son témoignage, par téléphone, vise d’abord à combler du temps d’antenne alloué coûte que coûte à la nouvelle. Malgré l’absence d’image, et avec un peu de chance, cette femme interrogée parlera avec des trémolos dans la voix, ce qui nous donnera un beau moment de télé. C’est que les grands médias télévisuels confondent trop souvent leur rôle de transmetteur d’informations avec celui de vendeur d’émotions…

On pourrait aussi parler d’empressement ou d’acharnement médiatique qui consiste à vouloir battre le fer pendant qu’il est chaud (quitte à l’empêcher de refroidir et à le déformer).

Sans oublier le ratissage trop large dans la quête d’informations et la médiatisation quasi instantanée de pratiquement toutes les données récoltées, peu importe le degré de pertinence. En voici justement un exemple via un extrait de l’article de David Desjardins (concernant une voisine parmi tant d’autres interrogée au sujet de la mère soupçonnée d’avoir noyés ses 3 enfants) :

« Vous allez enregistrer ses propos inutiles, et votre patron, à Montréal, les diffusera à la grandeur du Québec… La madame va parler dans le micro, et vous aurez l’air d’être véritablement intéressé par ce qu’elle raconte. Vous vous ferez croire que c’est de l’information de qualité. Mais à ce moment, nous saurons tous que le métier que vous faites, ce n’est plus tout à fait journaliste. Il ne s’est pas écoulé 24 heures depuis la découverte des corps. On ne sait rien. »

Voilà. Cette critique va pour l’ensemble des événements macabres couverts par la presse du fait divers.

Quand un tel drame humain survient, qu’avons-nous vraiment besoin de savoir ? Personnellement, tout ce dont j’aurais eu besoin de savoir dans les 24 premières heures concernant la tuerie de Newtown se résume à ceci : une autre fusillade dans une école américaine a causé la mort de plusieurs personnes dont une majorité d’enfants.

J’aurais pu attendre au lendemain pour le bilan final de ce massacre et je ne vois pas l’intérêt que la télé d’État d’ici annule sa programmation principale pour en faire une émission spéciale. Quand RDI devient Télé-Tuerie, en direct d’une scène de crime, je dis : non merci.

Remarquez que je ne tiendrais pas plus à regarder le cirque médiatique, public ou privé, si la tuerie s’était produite ici.

Avons-nous vraiment besoin de tout savoir dans le détail ?

Et avons-nous vraiment besoin de réinterroger tous les psys et les sociologues pour qu’ils nous répètent à nouveau ce qui peut pousser des gens à se transformer en meurtriers ? J’ai l’impression qu’ils doivent parfois être découragés de devoir toujours répéter en vain le même genre de diagnostic sur nos maux de société.

On compte plus d’une soixantaine de fusillades de masse aux USA depuis celle de Colombine, en 1999, qui aura inspiré au moins 2 réalisateurs à traiter de cette problématique : Michael Moore (Bowling for Colombine) et Gus Van Sant (Elephant).

Suite à la récente tuerie de Newtown, Moore a d’ailleurs décidé de présenter son film en ligne gratuitement, en plus de commenter sur son site ce dernier événement sanglant.

Quant à Van Sant, il aurait déclaré sur Twitter, selon un site d’infos cinématographiques français : « J’ai dit tout ce que j’avais à dire sur le sujet en 2002 (dans son film)… Rien n’a changé ». 

Combien de tragédies devrons-nous encore analyser avant de pouvoir faire le tour de la question de la violence et des armes à feu ? Le drame de Newtown est-il un cas d’espèce et une exception ?

Tout ce que je sais, c’est que cette autre tuerie m’attriste et me choque encore plus que les précédentes puisqu’il s’agit principalement d’enfants. J’espère que vous me pardonnerez de quantifier ainsi mon degré d’indignation selon le type de tragédie.

Le plus choquant est que toutes ces victimes innocentes seront probablement mortes pour rien. Les plus pessimistes prévoient une autre tuerie pour le week-end prochain. (C’est fait, au moins une autre fusillade mortelle a eu lieu, en Pennsylvanie, une semaine jour pour jour après celle de Newtown…)

Quel triste merdier. Obama aura beau vouloir restreindre l’accès aux armes à feu, et j’espère qu’il y parviendra, mais le mal est fait. Avec environ 300 millions d’armes en circulation, les USA sont le paradis du fusil et le royaume de la fusillade. Le lobby des armes à feu est dangereusement influent et l’amour de la violence semble faire partie de l’ADN d’un trop grand nombre d’Américains. Et là, je ne parle pas des films ni des jeux vidéos violents.

C’est plutôt d’une thérapie de groupe nationale à long terme sur la violence et les armes à feu dont nos voisins auraient besoin. Surtout quand j’entends des fanatiques de la gâchette de la NRA dire que la solution passe par du personnel armé jusqu’aux dents dans les écoles. Et moi qui croyais que la place de Rambo et de G.I. Jane était au cinéma et dans l’armée…

J’ai voulu échapper à la surexposition de l’horreur des autres Live on TV, en zappant Radio-Canada pour Astral et Canal D. Je suis tombé sur Un tueur si proche.

J’ai opté pour la chaîne Planète, mais j’ai débouché sur la version française plus étoffée du même genre : Faites entrer l’accusé(e).

J’étais sur le point de boycotter la télé, lorsque j’ai finalement abouti sur Salle de nouvelles (News Room) à Super Écran, la version française d’une série satirique de HBO sur l’univers médiatique. Curieuse coïncidence, c’était l’épisode 9 au cours duquel l’équipe de ce bulletin de nouvelles sérieux dont les cotes d’écoutes sont en chutes libres choisit en désespoir de cause de couvrir le procès Casey Anthony, en demandant une entrevue à une ex-coloc quelconque de cette mère accusée (puis acquittée) du meurtre de son enfant.

L’ex-coloc en question hésitera longuement en s’interrogeant sur la pertinence de l’interroger puisqu’elle estime sagement qu’elle n’est pas en mesure d’apporter un éclairage différent…

Elle finira par accepter en profitant de la tribune qui s’offrait à elle pour plutôt dénoncer le côté sensationnaliste des médias, leur manque de nuance, leur acharnement impertinent, de même que leur sens de l’indignation à géométrie variable lorsque survient un drame humain. Car on entendrait étrangement plus parler des meurtres d’enfants blancs.

Bref, une belle critique du cirque médiatique et de la surexposition des événements horribles et tragiques. Ça m’a un peu réconcilié avec la télé.

En attendant le mea culpa tant attendu des grands médias sensationnalistes, occupés à couvrir des funérailles (soupir),je vous laisse sur une chronique de Normand Baillargeon, du journal Voir. En vous invitant à une réflexion sur notre propre goût marqué pour la violence et notre propre fascination morbide pour les drames macabres et donc l’horrible… Bon, c’est assez. J’en ai déjà trop parlé. Moi aussi, comme dirait Normand. Alors mea culpa.