Victoire du Tea Party sur Occupy Wall Street

2013/01/08 | Par Pierre Dubuc

Dans l’édition de janvier 2013 du Monde Diplomatique, on retrouve, sous la plume de Thomas Frank, une longue analyse de l’échec du mouvement Occupy Wall Street (OWS). Passant en revue les nombreux livres et articles consacrés au phénomène Occupy Wall Street, Thomas Frank les trouvent ennuyeux parce que « tous, à quelques exceptions près, racontent les mêmes anecdotes, citent les mêmes communiqués, déroulent les mêmes interprétations historiques, s’attardent sur les mêmes broutilles ».

Selon Thomas, « la manière dont OWS est présentée dans ces ouvrages donne l’impression qu’elle n’avait rien d’autre à proposer que la construction de ‘‘communautés’’ dans l’espace public et l’exemple donné au genre humain par le noble refus d’élire des porte-parole ».

« Bâtir une culture de lutte démocratique est certes utile », reconnaît Thomas, mais « le refus de formuler des propositions a constitué une grave erreur tactique ». Il rappelle que « le compte rendu quasi officiel de l’aventure, assimile toute velléité programmatique à un fétiche conçu pour maintenir le peuple dans l’aliénation de la hiérarchie et de la servilité » et que, selon plusieurs des participants, « un mouvement de protestation qui ne formule aucune exigence serait le chef-d’œuvre ultime de la vertu démocratique ».

« En s’interdisant d’exiger quoi que ce soit, OWS s’est enfermé dans le ‘‘ culte de la participation’’. Autant dire dans une protestation dont le contenu se résume à la satisfaction d’avoir protesté », conclut-il.

Thomas attribue ce cul-de-sac à la composition du mouvement, issu principalement du monde universitaire américain. Il s’étonne que le mouvement ne se soit pas attaqué aux frais de scolarité qui font qu’il n’est pas rare qu’un diplômé arrive sur le marché du travail avec des dettes dépassant les 100 000 $.

Pour illustrer son point de vue, il donne l’exemple du mouvement étudiant québécois. « Que l’on songe aux manifestations qui ont ébranlé le Québec le printemps dernier, quand une partie importante de la population est venue soutenir dans la rue l’exigence estudiantine d’une éducation accessible à tous : là-bas, le mouvement a gagné. Les étudiants ont obtenu presque tout ce qu’ils demandaient. La protestation sociale a fait valser les portes de l’université. »

« Occupy Wall Street a réalisé d’excellentes choses, reconnaît Thomas. Il a su trouver un bon slogan, identifier le bon ennemi et capter l’imagination populaire. Il a donné forme à une culture protestataire démocratique. Il a redonné vigueur à la notion de solidarité, vertu cardinale de la gauche » mais il n’est pas « parvenu à faire cause commune avec le peuple ».

Le bilan de OWS est mince lorsqu’on le compare à un autre mouvement s’inspirant du même courant libertarien, celui du Tea Party. Thomas rappelle que « grâce à ces bénévoles de la surenchère, le Parti républicain est redevenu majoritaire à la Chambre des représentants; dans les législatures d’État, il a pris six cents sièges aux démocrates. Le Tea Party a même réussi à propulser un des siens, M. Paul Ryan, à la candidature pour la vice-présidence des États-Unis ».

D’où est venu ce succès? Thomas écrit : « Le succès venant, le Tea Party a remisé au placard ses discours bravaches sur l’organisation horizontale. Autant de boniments dont la principale vocation était d’appâter le client. Ce mouvement, contrairement à OWS, n’avait pas de penseurs poststructuralistes, mais il disposait d’argent, de réseaux et de l’appui d’une grande chaîne de télévision (Fox News). Aussi n’a-t-il pas tardé à produire des dirigeants, des revendications et un alignement fructueux sur le Parti républicain. Occupy Wall Street n’a pas pris ce chemin-là. L’horizontalité, il y croyait vraiment. Après avoir connu un succès foudroyant, il s’est disloqué en vol. »

Thomas conclut son analyse, dont nous ne donnons qu’un bref résumé, par ces mots : « L’ordre ancien perdure et il apparaît de plus en plus évident que seul un mouvement social de masse, solidement ancré à gauche, pourra mettre fin à l’ère néolibérale. Malheureusement, OWS n’en fut pas un ».