Les Autochtones au Québec

2013/01/21 | Par Marcelle Bourque et Hélène Guay

Marcelle Bourque est Ex-vice-présidente de la Fédération des professionnels de l’enseignement collégial (CSQ)
Hélène Guay est Ex-conseillère à l’Association des enseignants du Nouveau-Québec (CSQ)


Depuis que s’amplifie le mouvement Idle No More et sous la pression que crée la grève de la faim de la cheffe Theresa Spence, les revendications amérindiennes occupent une place de plus en plus importante dans l’espace public québécois et sans doute canadien.

Comme souvent dans des situations comparables, on fait flèche de tout bois. Mais, pour réfléchir à la condition des Autochtones chez nous et en faire une juste évaluation, il faut remonter loin en arrière, se référer aux fondements philosophiques qui ont présidé à la présence de la France, puis à celle de l’Angleterre, dans un territoire pour les deux étrangers.

Les Français ont historiquement organisé leur présence hors de leurs frontières en vertu d’un principe de droit de conquête.  La France « a conquis » l'Amérique et ses habitants, elle leur a octroyé le statut de Français. Les historiens relatent que: « La rencontre entre Amérindiens et Français se fera sous le signe de la complémentarité, de la cohabitation, du métissage génétique et surtout du métissage culturel. (Jacques Lacoursière, Jean Provencher, Denis Vaugeois,  Canada-Québec, Synthèse historique, 1534-2010, Les Éditions du Septentrion, 2011). 

Les Anglais pour leur part ont conçu leur présence hors de leur pays comme un droit d'occupation.  L'Angleterre « a occupé » les terres américaines et repoussé les populations locales hors de sa zone d'occupation. D’où le concept des « Réserves » en Amérique, autant aux Etats-Unis qu'au Canada (comme celui de « l’Apartheid » en Afrique).  Les Anglais ne se mélangent pas aux gens du lieu.  


Un peu d’histoire nationale

À la Conquête, les « Sauvages » tombent sous la coupe de l'Angleterre et sont, par la Proclamation royale de 1763, repoussés hors des frontières du Québec d'alors. La Proclamation royale réserve aux Indiens l'usage de « toutes les terres et tous les territoires non compris dans les limites du gouvernement du Québec ni dans les limites du territoire concédé à la Compagnie de la Baie d'Hudson. » 

Ladite Proclamation royale constitue le fondement des revendications autochtones. C’est également la base sur laquelle repose la Loi sur les Indiens, Loi sur les Sauvages dans sa première version, laquelle définit qui est Indien et crée les Réserves. Plus tard, en 1867, L’Acte de l'Amérique britannique du Nord confie au seul gouvernement fédéral la juridiction sur : « les Indiens et les terres réservées aux Indiens. »

En 1912, La Loi sur l'extension des frontières oblige le Gouvernement du Québec, qui veut agrandir son territoire vers le nord, à négocier avec les Amérindiens vivant sur les terres convoitées.

Il néglige de le faire. Cette négociation n’aura lieu que plusieurs années plus tard lorsqu’une injonction accordée aux Cris interrompt les travaux de harnachement de la Baie James. Résultat, en 1975, la Convention de la Baie James et du Nord québécois.


Situation pourrie

Comment qualifier la situation actuelle des ressortissants des Premières Nations autrement que par l’adjectif raciste ? On les a isolés, poussés hors des terres habitées par les Blancs. On les a définis par leur ascendance raciale et inscrits sur une liste fermée gérée par le Fédéral. Au Canada, il y a quelque chose de pourri à la base dans la condition des Autochtones.

On leur a reconnu des droits tronqués, des droits de chasse et de pêche par exemple, mais pour assurer leur survie. Le Gouvernement fédéral leur fournit le logement, mais ils n'ont pas le droit d'être propriétaires de leur maison.

Ce même Gouvernement est responsable de leur éducation et de leur santé, mais négocie lui-même avec les Provinces la dispensation de ces services, ce qui crée de multiples difficultés, vu l’éloignement territorial des Amérindiens.

Ces derniers sont exemptés de taxes et d’impôts quand ils vivent dans des Réserves, où les Conseils de Bandes sont subventionnés pour offrir des services, mais qui n’ont de comptes à rendre qu’au gouvernement fédéral, en aucun temps à leurs populations, d’où les risques de dérapages dont on a largement entendu parler dernièrement.  


Devenue intenable

Pourrie en son cœur même, au fil des ans, la situation des Premières Nations canadiennes est devenue carrément intenable. D'une part, les Autochtones vivent dans un état de pauvreté souvent abjecte et dans un cadre d’exclusion aussi inqualifiable que débilitant.

D'autre part, le Gouvernement fédéral ne peut décemment ignorer la grogne des « Blancs » placés dans des contextes qu’ils ressentent comme injustes. Ainsi, que dire aux enseignants blancs qui, dans des écoles autochtones du Nord québécois, accomplissent exactement le même travail que leurs confrères amérindiens, reçoivent exactement le même salaire, mais doivent payer des impôts alors que leurs collègues autochtones n'en payent pas ?

Que dire également aux chasseurs obligés de respecter les périodes légales de chasse et de pêche, alors que les « Indiens » n'y sont pas tenus ? Et que nous dire à nous tous contribuables qui devons financièrement assumer tout ce marasme ?

Soulignons incidemment que, dans les années 60, le Gouvernement Trudeau avait proposé d'abolir la Loi sur les Indiens et de considérer les Amérindiens de la même manière que les autres citoyens canadiens.  Ils ont refusé, craignant que la perte de leurs territoires n’équivaille à une amputation partielle de leur identité nationale. 

Les Autochtones tiennent à leur culture. Ils considèrent que le mode de vie de chasseur-pêcheur en est une caractéristique essentielle.  Mais peuvent-ils vraiment réclamer un niveau de vie comparable à celui des citoyens d'une société moderne et réclamer en même temps la préservation d’un mode de vie traditionnel ?


De nation à nations

Il faut de toute urgence commencer à vraiment considérer les Premières Nations comme des partenaires à part entière, dépasser l'enflure verbale et aller au-delà de la vaine provocation. La question autochtone recouvre d’importants enjeux sociaux, des enjeux économiques et territoriaux également.  Nous ne pouvons plus continuer à nous complaire dans l’apathie politique actuelle et à faire régler (mal) nos différents par les tribunaux.

 On ne peut plus tolérer que, sur notre territoire, des individus possèdent des droits et responsabilités fondés sur la race. Cela s’appelle du racisme. En pays démocratique, on reconnaît les mêmes droits aux Autochtones et aux Non-autochtones : droits de propriété, de représentation, de gouvernement, d'imposition... 

Les Premières Nations sont détentrices de droits territoriaux, même si mal définis. Il faut rendre à leurs membres leur droit à la propriété, un des fondements de l'autonomie et de la responsabilité  citoyennes.

Les Amérindiens doivent pouvoir gérer « leurs territoires » eux-mêmes en toute liberté et financer « leurs gouvernements » au moyen d’une taxation adéquate. Plusieurs terres autochtones regorgent de richesses minières et forestières. On ne peut les en dépouiller. Ils ont droit à des redevances. Lesquelles ?… Par ailleurs citoyens, à qui on demande de payer des impôts, ils ont les mêmes droits à la santé, à l’éducation et au développement économique que les autres Québécois.


États généraux sur la question autochtone

Idle No More et la grève de la faim de madame Theresa Spence, à la suite d’une foule de pressions exercées pendant des années par des représentants des Premières nations, ont suscité une reprise de dialogue entre Autochtones et Gouvernement fédéral.

Mais, après avoir rouvert ce dialogue, il faut le poursuivre sur de nouvelles bases et dans le respect les uns des autres.  Il faut en finir avec cette attitude que les adultes blancs détiennent toutes les vérités et que les enfants sauvages n'ont qu'à s’abreuver à leur source.

Nous avons en ce moment besoin de rien de moins que d’États généraux sur la question autochtone. Continuer à saupoudrer de l’argent, même si toujours plus, sans rien changer à nos attitudes ni à la Loi sur les Indiens, ne débouchera sur aucune solution. Les Autochtones ne le disaient-ils pas eux-mêmes tout récemment : « Nous ne sommes pas là pour signer une nouvelle entente de financement. Nous cherchons une transformation de la relation qui ne porte pas uniquement sur de légères réorientations politiques, de petites augmentations de financement. » (Le Devoir, 11 janvier 2013).


Au Québec

Mais il nous semble que la question amérindienne ne pourra jamais se régler véritablement dans le cadre de la Fédération canadienne. Comme elle relève de la juridiction exclusive du gouvernement central, il faudrait amender la Constitution pour y arriver. Qui est prêt à cela au nom du respect des droits des Autochtones ?

Il nous semble également que seule l’indépendance du Québec pourrait nous permettre de modifier en profondeur nos relations avec les Premières Nations vivant dans la province.

Depuis quelques décennies, le gouvernement du Québec a fait preuve d'une ouverture certaine, voire exceptionnelle. La Convention de la Baie James, la Paix des Braves surtout en témoignent haut et fort. Bien sûr, cela n’a pas complètement réglé le problème, mais le Québec ne peut aller plus loin dans le cadre constitutionnel actuel, à moins de procéder par arrangements administratifs… Les Autochtones accepteraient-ils de se définir comme Québécois ? …

En attendant d’organiser des États généraux sur la question autochtone, il est urgent de revenir à l’esprit français de complémentarité et de cohabitation.

Note : Il y a au Québec 11 nations autochtones, pour un total d’environ 80 000 personnes : les Cris, les Naspapis, les Algonquins, les Attikameks, les Mohawks, Les Hurons-Wendat, les Abénakis, les Malécites, les Micmacs, les Innus et les Inuits. Les communautés les plus nombreuses sont : Les Innus (16 000 personnes), Les Cris (15 000 personnes), Les Algonquins et les Inuits (10 000 personnes dans chacune des communautés).