Postes Canada : un an et demi après la loi spéciale

2013/01/22 | Par Maude Messier

Le 28 juin 2011, le gouvernement Harper imposait une loi spéciale forçant le retour au travail des quelque 50 000 employés syndiqués de Postes Canada en lock-out depuis deux semaines.

Un an et demi plus tard, ces travailleurs viennent tout juste de se prononcer en faveur d’une entente intervenue entre le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) et Postes Canada pour le renouvèlement de leur convention collective.

Retour sur un conflit de travail qui a changé les règles du jeu en matière de relations de travail et qui a donné le ton des conservateurs en ce a trait aux droits des travailleurs.



Des traces, profondes…

« Compte tenu de l’attitude du gouvernement conservateur, notre crainte, c’était de finalement se faire imposer une convention collective, malgré l’arbitrage et la loi spéciale. C’est pour ça qu’on voulait en arriver à un règlement négocié », d’expliquer Alain Duguay, président de la section locale de Montréal du STTP, en entrevue à l’aut’journal.

Constatant que le processus d’arbitrage pouvait s’avérer long et ardu, Postes Canada a finalement accepté de reprendre les discussions avec le syndicat. Les parties sont donc retournées aux tables pour mener des discussions pendant deux mois, lesquelles se sont conclues par une entente de principe au début du mois d’octobre dernier.

L’exécutif national du STTP a recommandé l’adoption de l’entente à ses membres. Au terme d’une ronde de votes conclue en décembre dernier, l’entente a été entérinée dans une proportion de près de 57% à l’échelle nationale. Pour le Québec, la proportion grimpe à 66%.

Pour le STTP, dans le contexte particulier de ce conflit de travail où le rapport de force syndical est passablement mis à mal, cette entente constitue un moindre mal.

« Cette entente comporte des changements négatifs, mais elle protège les membres contre certains des reculs les plus dévastateurs proposés par la Société dans l’offre qu’elle avait soumise en juillet dernier », peut-on lire dans un document d’informations distribué aux membres.

Cette décision ne sera pas sans laisser de traces au sein de l’organisation puisque trois officiers de l’exécutif national ont inscrit leur dissidence quant à cette recommandation. Idem pour la section locale de Montréal, où le président, Alain Duguay a également signifié aux membres sa dissidence, tout en précisant qu’il voterait en faveur de l’entente.

M. Duguay estime qu’à titre de dirigeant syndical, il a la responsabilité de transmettre l’information à ses membres et de l’expliquer clairement. « Ce qui a été fait. Maintenant, je n’ai pas à leur dire comment voter ou à donner un mot d’ordre. Mais je ne me cache pas, je vais voter pour. »

« Cette entente est probablement mieux qu’une convention imposée par un arbitre avec des barèmes qui avantagent nettement l’employeur. Mais, soyons clair, jamais une entente de principe comme celle-là n’aurait été acceptée dans un autre contexte, un contexte normal de négociations collectives, devrait-on dire. Ce n’est pas une négociation. »

Globalement, l’entente prévoit une modification des échelons salariaux pour les nouveaux embauchés, avec un salaire horaire d’entrée plus bas, soit 19 $ plutôt que 23,86 $.

Le régime de retraite à prestations déterminées est sauvé pour l’ensemble des employés, malgré la volonté de l’employeur d’instaurer un régime à cotisations déterminées pour les nouveaux employés. Les crédits de maladie, soit 15 jours par année cumulables au fil des ans dans l’éventualité d’une maladie, ont été remplacés par un programme d’assurance invalidité, moins avantageux pour les salariés.

« Le comité ne pouvait pas aller plus loin. Ça va avoir un impact sur la rétention de la main-d’œuvre et sur les relations de travail à l’avenir, ça c’est sûr! »

En fait, en dehors des technicalités affectant le quotidien des travailleurs, pour quelqu’un de l’extérieur, cette entente ne représente pas un gros changement. C’est surtout sur la célérité du gouvernement conservateur à intervenir dans ce conflit de travail qu’il faut s’interroger, de même que sur l’aspect arbitraire de la loi spéciale.

Incursion du gouvernement dans un conflit de travail pour des motifs économiques urgents ou négation du droit de négocier? Chose certaine, l’intervention des conservateurs ainsi que l’imposition arbitraire des salaires et d’un processus d’arbitrage ne laissant place à aucun compromis a eu pour effet de modifier le rapport de force entre les parties, avec un net avantage à la partie patronale.



Court-circuiter le processus de négociations

La convention collective des employés de Postes Canada arrivait à échéance en janvier 2011. Les négociations, amorcées depuis octobre 2010, étaient déjà difficiles.

Postes Canada était en demande sur de nombreux aspects de la convention collective, l’implantation de la transformation postale, au coût de 2 milliards $, nécessitant une restructuration globale des installations, mais aussi de la machinerie et des méthodes de travail.

La société de la Couronne évoquait surtout le contexte économique difficile et la baisse constante du volume de courrier pour justifier ses demandes qui devaient lui permettre de maintenir sa productivité et de soutenir la concurrence.

Après des mois de moyens de pression, de négociations infructueuses et de relations de travail tendues, les syndiqués font monter d’un cran la pression en juin 2011 en faisant des grèves rotatives de 24 heures à travers le pays. Deux interruptions de travail ont eu lieu à Montréal.

Il n’en fallait pas plus pour que Postes Canada réponde par un lock-out, le 14 juin. À peine deux semaines plus tard, soit le 28 juin, le gouvernement Harper invoquait l’urgence économique pour imposer une loi spéciale forçant le retour au travail des syndiqués.

« De mémoire d’homme, on n’a jamais vu ça, une loi spéciale après un lock-out. Après une grève, oui, mais pas un lock-out. »

Pour le syndicaliste, la complicité entre la direction de Postes Canada et le gouvernement Harper ne fait pas de doute.

« La loi spéciale était prête. L’employeur savait qu’il avait l’appui du gouvernement dans ce conflit. C’est quoi le rapport de force, alors? Des mois de négos qui tournent à vide, un conflit de travail et pouf!, quand ça se corse un peu, le gouvernement sort le bâton et on rentre en dedans. »

La Loi C-6, finalement adoptée au terme d’une obstruction parlementaire de 58 heures consécutives par le NPD, imposait des salaires inférieurs aux dernières offres patronales. Elle prévoyait aussi que les parties puissent remettre une offre finale de règlement, « accompagnée du libellé proposé pour permettre son incorporation à la nouvelle convention collective ».

Un arbitre, nommé par le ministre du Travail et sans recours possible contre cette nomination, devait choisir l’une ou l’autre des offres finales remises par les parties, sans possibilité de compromis, en tenant compte des conditions de travail des secteurs postaux comparables et en s’assurant qu’elle fournirait à la Société canadienne des postes la « souplesse nécessaire à sa viabilité économique et sa compétitivité à court et à long terme ».

« Quand on a vu comment les Conservateurs ont pris la peine de baliser une éventuelle décision de l’arbitre, et donc qu’il n’aurait pas vraiment le choix de prendre l’offre de l’employeur, on a retiré la transformation postale de l’arbitrage. Ça n’avait pas de sens de laisser tout ça entre les mains d’une tierce partie, ça a trop d’implication dans le quotidien des travailleurs. Ce dossier là évolue donc en parallèle. »

La loi a bien entendue été très mal accueillie par le syndicat qui conteste d’ailleurs sa constitutionalité devant les tribunaux fédéraux. Le STTP, représenté par le constitutionnaliste Paul Cavalluzzo, s’attend à ce que le litige se retrouve en Cour suprême.

En dépit du fait que la loi exclut la possibilité d’un recours contre la nomination d’un arbitre, le STTP a contesté la nomination de l’arbitre Coulter Osborne, en raison de son unilinguisme anglophone et de son manque d’expérience en matière de relations de travail. Le juge Osborne s’est d’ailleurs récusé du dossier.

« La partie patronale soutenait, quant à elle, qu’on avait juste à plaider en anglais et à trouver des témoins bilingues! », s’indigne Alain Duguay.

Le syndicat a également demandé à un tribunal de démettre l’arbitre Guy Dufort, choisi en remplacement du juge Osborne. Selon le STTP, M. Dufort a déjà représenté Postes Canada dans le dossier du règlement d’équité salariale.

La Cour a reconnu les motifs du syndicat lui faisant craindre la partialité de l’arbitre compte tenu de ses liens avec le Parti conservateur que même que ses activités partisanes passées.

Alain Duguay est encore visiblement outré par l’attitude du gouvernement dans ce dossier et de sa complicité avec Postes Canada. « Ils sont tannés de nous autres! Dès 2008, dans son Plan directeur pour le changement, rédigé dans le cadre d’un examen stratégique, Postes Canada indiquait ses intentions de tasser le syndicat dans le processus de négociation. Ils ont eu ce qu’ils voulaient : nommer une tierce partie [arbitre] et revoir la façon de négocier. En fait, ils nous ont volé le droit de négocier, carrément! »