Target débarque!

2013/02/13 | Par Maude Messier

Le compte à rebours est commencé : Target, géant américain du commerce de détail, ouvrira ses premiers magasins au Canada dès ce printemps. Une arrivée d’autant remarquée qu’elle signifie la mise à pied de 27 300 personnes au pays, dont 5 000 au Québec.


Target annonçait en janvier 2011 qu’elle acquérait les contrats des baux de 220 établissements du détaillant Zellers, propriété de la Compagnie de la Baie d’Hudson (HBC), dont 35 sites au Québec, pour 1,82 milliards de dollars. 


De 125 à 135 établissements seront convertis en magasins Target, lesquels emploieront plus de 150 personnes chacun. L’ouverture des 24 premières conversions est prévue à la fin du mois mars prochain. Au Québec, ce sera à l’automne 2013.


Target a toujours été claire sur le sort réservé aux employés des magasins Zellers, qu’il s’agisse d’une fermeture ou d’une conversion: tous doivent être licenciés. C’est d’ailleurs Zellers qui complète le processus de fermeture et de mises à pieds.


Les travailleurs à la rue pourront bien entendu postuler chez Target, mais pas question qu’ils soient priorisés à l’embauche. Peu importe l’âge, l’ancienneté et l’expérience. Sans compter qu’ils devront recommencer au bas de l’échelle : aucune continuité ne sera accordée dans les salaires et les avantages sociaux. 


Le syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce du Canada (TUAC) dénonce la stratégie de Target qui viole, à son avis, les droits des travailleurs. 


L’aut’journal a rencontré Nicolas Lemieux, représentant syndical au local 500 des TUAC, qui soutient qu’il s’agit « d’un moyen assez brillant pour contourner la syndicalisation. Parce que lorsque tu vends tes baux, tu ne vends par l’entité complète, l’entreprise, les murs et le toit. Tu vends un bail. »

Target ne reprend aucun inventaire des magasins Zellers, aucun équipement, seulement les sites de location. Les TUAC estiment que Target contourne la Loi sur les normes du travail du Québec en affirmant qu’il ne s’agit que d’une transaction immobilière.


« La prétention de Target est que, compte tenu qu’elle ne reprend rien, les employés ne suivent pas. Elle prétend qu’il n’y a aucun lien d’emploi entre elle et Zellers. Nous ne sommes pas d’accord. » 


Le syndicat estime que les travailleurs licenciés sont en droit de porter plainte à la Commission des normes du travail, alléguant que Target contrevient aux lois québécoises du travail en ne respectant pas le lien d’emploi.

Nicolas Lemieux indique que Target est certes une compagnie différente de Zellers, mais qu’elle opèrera sur les mêmes lieux, aura essentiellement les mêmes activités, offrira le même type de marchandises et s’adressera à la même clientèle cible.

Dans ce cas, la prétention des TUAC est à l’effet que le lien d’emploi devrait également suivre. « Ce ne sont pas des garages qui vont ouvrir là! »


Stratégie patronale : au cas par cas


Le syndicat des TUAC déploie actuellement une campagne pancanadienne de sensibilisation et d’action pour défendre les droits des anciens employés de Zellers. 


« L’idée, c’est d’avoir un nombre important de plaintes et de les déposer à la Commission des normes du travail pour avoir une décision favorable et forcer Target à reprendre les employés de Zellers. On veut s’assurer qu’ils conservent les mêmes conditions de travail. Nous sommes maintenant en phase de terrain pour sensibiliser les employés et les informer de leurs droits. »


Mais il s’agit d’une tâche ardue puisque les recours sont individuels et doivent être déposés par les travailleurs. Les TUAC ne peuvent qu’informer et accompagner les travailleurs dans le processus. 


Sans pouvoir entamer de recours auprès de la Commission avant la fin des fermetures des Zellers et l’ouverture des magasins Target, des milliers de travailleurs espérant toujours être embauchés, se retrouveront dans le vide pour quelques mois. 


Mais un recours ne sera pas possible pour tous. Nicolas Lemieux explique que Zellers suggère fortement aux employés de signer une quittance, une déclaration dans laquelle ils renoncent à poursuivre Zellers ou Target dans le futur, en échange d’un montant forfaitaire.


« C’est une quittance légale, qui nous bloque, bien entendu. Ces employés ne sont pas syndiqués, ils sont rencontrés seuls dans les bureaux, un à un. On leur dit que pour améliorer leurs chances, peut-être d’être embauchés chez Target, ce serait préférable pour eux de signer. » 


Le problème, c’est qu’en signant la quittance, les travailleurs rompent définitivement leur lien d’emploi, anéantissant tout recours possible. La plupart ont signé sans savoir vraiment ce que leur geste impliquait, sans avoir toutes les informations. 


« Ils ont cru jusqu’à la fin qu’ils seraient embauchés par Target. Ils ont eu espoir que Target serait un bon citoyen corporatif et qu’il reconnaîtrait leur expérience », affirme la responsable des communications des TUAC, Roxanne Larouche.


M. Lemieux affirme que certains employés ont même signé la quittance en échange de rien du tout. « C’est sûr qu’avec la pression, les montants ont commencé à monter. Au début, il y a des gens qui ont signé pour 0 $! » Mais d’autres auraient reçu des milliers de dollars, « de façon assez aléatoire. »

Le syndicat souligne le cas du Zellers de La Pocatière où deux travailleuses n’ayant qu’une journée de différence en ancienneté ont pourtant reçu des indemnités bien différentes : 0 $ versus 23 semaines de salaire.


Le représentant syndical indique que le niveau de revendication des employés est directement en lien avec le montant offert. « Plus un employé a le mords aux dents, plus il reçoit, de ce que j’ai vu et de ce que je reçois comme information. Mais bon, ce n’est pas exhaustif, c’est un feedback du terrain. »


Il précise qu’un grand nombre des employés licenciés travaillaient chez Zellers depuis 15, voir 30 ans. « Il y a des étudiants, mais c’est loin d’être une majorité. Trouver un autre emploi, ce sera difficile pour la plupart d’entre eux. C’est quoi ça, recommencer au bas de l’échelle après trente ans de service? » 


Non seulement les salaires seront-ils plus bas, mais le syndicat s’inquiète aussi du nombre d’heures travaillées offertes aux futurs employés de Target, à l’image de Walmart aux États-Unis par exemple, qui considère que 24 heures par semaine est un emploi à temps plein. 


« L’important, c’est surtout que la compagnie Target comprenne qu’elle ne peut pas arriver ici avec sa propre interprétation de ce que c’est un syndicat et des lois. Il faut qu’elle soit capable de s’adapter au marché du Canada, qui est un marché assez syndiqué dans le commerce de détails, et on espère que l’entreprise va respecter le Code du travail au Québec. »


Au TUAC, on indique que les employés de cinq magasins Zellers étaient syndiqués. Aucun de ces établissements n’a été repris par Target. « Ils sont fortement anti-syndicaux. Pendant longtemps, le cheval de bataille a été Walmart et la croissance de Target a été exponentielle. Ils ont passé un peu sous le radar », explique Nicolas Lemieux.


Quelques initiatives de syndicalisation ont été faites par les TUAC, surtout dans l’État de New York. « Mais ils sont vraiment excessivement agressifs, déclare le représentant syndical, ajoutant qu’il s’agissait de tentatives très locales. Je dirais que c’est le même modèle que Walmart parce que, il faut le dire, le modèle fonctionne bien : il n’y en a pas syndicat chez Walmart! »


Fondée en 1962, en banlieue de Minneapolis aux États-Unis, Target compte 355 000 employés dans le monde. Aux États-Unis seulement, l’entreprise est présente dans 49 États par l’entremise de 1 763 magasins et 37 centres de distribution, sans compter les ventes en ligne.