Brésil et États-Unis se mesurent de l’Atlantique-Sud aux Caraïbes

2013/02/18 | Par André Maltais

Le 6 juin 2012 était formellement crée l’Alliance du Pacifique entre le Mexique, la Colombie, le Pérou et le Chili. Ces quatre pays, écrit l’économiste péruvien, Oscar Ugarteche, ont en commun des accords de libre-échange avec les États-Unis et l’absence d’accords semblables avec le Mercosur. Dépourvus de secteurs industriels nationaux significatifs, leur rôle n’en est pas un de compétition, mais de blocage de l’intégration régionale que propose l’Unasur.

Le 22 juin, la destitution du président du Paraguay, Fernando Lugo, frappait en plein cœur la même Unasur. Mais la réplique du Brésil et de ses alliés régionaux n’a pas tardé : d’abord en incorporant le Venezuela au Mercosur, et, ce qui est moins connu, en redonnant vie à la Zone de paix et de coopération de l’Atlantique-Sud (Zopacas).

Créée en 1986 à l’initiative du Brésil et de l’Argentine, la Zopacas est une alliance de 24 pays latino-américains et africains qui comprend deux membres des BRICS (Brésil et Afrique du Sud), un membre du G-20 (Argentine) et deux des principaux producteurs mondiaux de pétrole (Nigéria et Angola). Son principal objectif est la coopération pour préserver l’Atlantique-Sud d’armes nucléaires et de destruction massive.

Gouvernés à l’époque par des forces conservatrices, le Brésil du président José Sarney et l’Argentine de Raul Alfonsin en avaient contre la présence soviétique dans cette région du monde. Mais, explique l’analyste international uruguayen, Raul Zibechi, l’Occident craint tellement la coopération Sud-Sud que des pays comme les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Japon, l’Italie, le Portugal et les Pays-Bas votaient contre la constitution de la Zopacas aux Nations-Unies.

L’alliance a fonctionné de manière sporadique de sorte que la rencontre ministérielle convoquée par le Brésil, à Montevideo (Uruguay), les 15 et 16 janvier dernier, n’était que la septième en 27 ans.

Mais, pour la première fois de son histoire, la Zopacas réunissait les ministres de la Défense des pays membres. Ceux-ci ont adopté un plan d’action prévoyant le renforcement des capacités navales et aériennes des 24 pays et la tenue d’exercices militaires conjoints dans l’Atlantique-Sud.

Zibechi rapporte que la Division des affaires géopolitiques et des relations internationales de l’École supérieure de guerre brésilienne qualifie la conférence de « plus grande réussite diplomatique » du gouvernement de Dilma Rousseff.

Depuis le Sommet de l’OTAN 2010, à Lisbonne, qui a discuté de la vocation d’intervention globale de l’organisation, le Brésil craint une possible initiative états-unienne pour créer une Organisation du traité de l’Atlantique-Sud (OTAS).

Dès la fin de ce sommet, le ministre de la Défense brésilien d’alors, Nelson Jobim, avait critiqué ces prétentions de l’OTAN en disant que, l’Union soviétique disparue, il n’y a plus de raison d’être pour une alliance qui est en voie de se convertir en « instrument d’avancement des intérêts de son membre principal, les États-Unis. »

Au nom d’une vision de pays en développement qui répudie toute attitude coloniale ou néocoloniale, le Brésil rejette le concept de souveraineté partagée que proposent les États-Unis pour l’Atlantique-Sud. Le Brésil conçoit cette région comme son espace vital de renforcement international et d’insertion multipolaire dans le monde.

Le Brésil, rappelle Zibechi, est la sixième économie mondiale et pas moins de 95% de son commerce transite par l’Atlantique-Sud. L’importance de la Zopacas est aussi proportionnelle à la croissance de la présence économique brésilienne en Afrique. En Angola, par exemple, pays lusophone comme le Brésil, plus de 200 entreprises de ce pays étaient, en 2007, responsables de 10% du PIB angolais.

Pour sa part, l’analyste géopolitique chilien, Patricio Carvajal, croit que l’Atlantique-Sud est stratégique pour bien du monde parce qu’il est le point d’accès principal au vaste continent antarctique. La Grande-Bretagne, qui menace de défendre les Malouines avec des armes nucléaires, vient de nommer Terres de la reine Isabelle quelques 430 000 kilomètres carrés de territoire antarctique.

L’explosion démographique qui affecte la planète, explique Carvajal, la demande croissante de ressources alimentaires et d’eau douce, indiquent que, très bientôt, la Convention de la Jamaïque sur le droit de la mer (1982) et le Traité antarctique (1959) appartiendront à l’histoire du droit international.

Carvajal ajoute qu’il y a urgence pour l’Amérique latine à se doter d’une stratégie maritime commune et d’une force navale dont le pilier pourrait être la flotte de sous-marins de l’armée chilienne, qui se situe à un niveau de développement technologique comparable à celui de pays comme la Chine, le Japon, l’Inde, la Russie et les États-Unis.

Mais si l’OTAN s’immisce dans l’Atlantique-Sud, le Brésil et ses alliés des BRICS font de plus en plus sentir leur présence dans la mer des Caraïbes que Washington considère pourtant presque comme une mer intérieure.

Depuis la dernière décennie, rappelle l’analyste politique radiophonique nicaraguayen, Jorge Capelan, l’initiative PetroCaribe, la circulation de la flotte russe et même des plans annoncés pour l’érection d’une base militaire russe à Cuba, ont provoqué de grosses vagues que n’ont surtout pas calmé la récente réélection des présidents Chavez et Ortega.

Le gouvernement nicaraguayen, qui, en novembre, a reçu près de 70% du vote populaire, a annoncé le creusement d’un canal interocéanique qui permettra bientôt, dit-il, aux pays du Mercosur un accès plus fluide à l’océan Pacifique.

Le Nicaragua vient aussi de remporter un différend maritime avec la Colombie qui, prétextant de sa souveraineté sur de petites îles situées plus près des côtes nicaraguayennes que des côtes colombiennes, interdisait à Managua la construction d’un port en eaux profondes dans les Caraïbes. Le jugement de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye non seulement donne raison au Nicaragua, mais lui octroie 75 000 kilomètres carrés de territoire maritime additionnel.

La Colombie a répondu en se retirant du Pacte de Bogota par lequel, depuis 1948, les États sud-américains s’engagent à une solution pacifique de leurs différends et reconnaissent les verdicts de la CIJ en tant qu’instance suprême de règlement.

Malgré l’appel à l’aide lancé par l’Assemblée nationale nicaraguayenne aux armées cubaines et russes suite à la réaction colombienne, celle-ci, croit Capelan, fait l’affaire des États-Unis, d’abord parce qu’elle sème la discorde au sein de l’Unasur, mais surtout parce qu’elle ouvre la voie à un affrontement avec le Nicaragua.

Les États-Unis ont besoin d’un acteur de poids dans cette région, dit encore Capelan, car le coup d’état de 2009, au Honduras, n’a pas donné les résultats escomptés. La résistance populaire a empêché la transformation du pays en épicentre de guerres de basse intensité semblables à celles des années 1980 contre le Nicaragua.

Alors que la Colombie s’implique davantage dans les Caraïbes, les États-Unis multiplient les interventions anti-drogue des Marines en Amérique centrale. Dans un texte où elle analyse l’une de ces interventions, la journaliste d’enquête de Vancouver, Dawn Paley, affirme que l’Opération Martillo, qui vient de prendre fin après quatre mois au Guatemala, visait à pousser les trafiquants de drogue de la côte ouest de l’Amérique centrale vers la côte est, dans les Caraïbes.

C’est dans cette mer qui sent de plus en plus la poudre, que, le 6 novembre dernier, 54% de la population portoricaine, rejetait par référendum le statut colonial de l’île.