OURWalmart : le syndicalisme autrement

2013/02/20 | Par Maude Messier

L’aversion de Walmart envers les syndicats est notoire, tout comme ses pratiques antisyndicales sont dramatiquement efficaces.

Pourtant, le géant mondial du commerce de détail a connu, à l’automne 2012, la toute première grève de son histoire : une série de débrayages et d’arrêts de travail dans différents magasins et entrepôts de Walmart ont culminé en un mouvement de grève de plus de 500 employés dans une centaine d’établissements à travers les États-Unis, le jour du Black Friday.

Derrière cette mobilisation, il y a OURWalmart, une organisation formée d’employés de Walmart qui réclame notamment le respect, des salaires décents qui ne forcent pas les employés à dépendre de l’aide sociale gouvernementale, des horaires prévisibles ainsi que la fin de la discrimination et des mesures de représailles envers ceux qui osent dénoncer leurs conditions travail.

OURWalmart est supportée par United Food and Commercial Workers, dont la branche canadienne est le Syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC). Différentes campagnes de syndicalisation chez Walmart ont été menées par les TUAC dans le passé aux États-Unis comme au Canada et au Québec, sans véritable succès.

La principale différence avec OURWalmart, c’est l’implication des employés dans le processus. Dans un article sur le sujet paru dans The Nation, Kate Bronfenbrenner de l’Université Cornell, affirme que le changement de stratégie entre les deux campagnes est fondamental : « Cette campagne en est une d’organisation alors que l’autre était une campagne de relations publiques négatives » (notre traduction).

OURWalmart a concentré ses énergies sur l’organisation au niveau local, sur des enjeux spécifiques à chaque magasin où l’organisation est présente. Elle s’est ainsi construit une base militante, qui s’est manifestée le jour J venu.

Voilà qui est bien différent d’une campagne syndicale plus traditionnelle, à déploiement national, qui mise sur l’enjeu politique pour faire avancer sa cause. OURWalmart joue sur un terrain complètement différent, où des employés qui en ont assez choisissent de s’impliquer et de militer, la plupart du temps dans la clandestinité par peur de représailles ou carrément d’être renvoyés.

OURWalmart, c’est eux : il n’y a pas de représentants syndicaux, pas d’employés. C’est le b.a.-ba de l’organisation ouvrière, en dehors du cadre juridique des relations de travail parce que Walmart ne respecte pas les règles du jeu de toute façon. Il fallait faire autrement.



Retour aux sources

L’aut’journal s’est entretenu avec Nicolas Lemieux, représentant et organisateur syndical pour les TUAC au Québec, où il s’occupe justement des nouveaux secteurs. Il explique que son organisation syndicale a choisi de soutenir des initiatives différentes de militantisme et de défense des droits des travailleurs. À son avis, force est de constater que les lois du travail n’arrivent pas à remplir leur rôle, quant elles ne compliquent pas carrément le processus de syndicalisation.

Les TUAC ont déjà développé ce modèle d’organisation avec l’Alliance des travailleurs agricoles (ATA), une organisation qui se porte à la défense de ces travailleurs vulnérables. À défaut de pouvoir les syndiquer à proprement dit pour des motifs légaux, les TUAC ont mis sur pied un réseau de centres de soutien offrant notamment de la représentation et de la formation sur les droits du travail. OURWalmart aux États-Unis s’inscrit dans cette perspective.

La voie juridique est parfois longue pour obtenir une accréditation syndicale, ce qui laisse une marge de manœuvre inéquitable à l’employeur et pénalise, en bout de ligne, les travailleurs.

« On permet une forme de syndicalisation avant de passer par le juridique. Autrement dit, les gens prennent en charge leurs droits. On leur donne une éducation là-dessus, on les mobilise, on leur donne une structure et on offre du soutien. Ce sont un peu des syndicats à l’extérieur de la loi. »

Nicolas Lemieux voit dans ce type d’organisation un retour aux bases du militantisme et du syndicalisme. « C’est comme ça qu’on syndiquait au début du siècle. C’est un retour aux anciennes méthodes finalement. Pour nous, c’est inspirant. »

Vraiment? Après tout ce chemin parcouru, toutes ces revendications, tous ces gains au plan législatif, les syndicats sont contraints de retourner aux « vieilles méthodes »?

« Oui, mais si on attend toujours des gouvernements qu’ils changent leurs positions de droites, on risque de disparaitre avant que ça arrive! Au lieu de réagir, on agit. C’est comme ça que je le vois. »

À son avis, le mouvement syndical doit conjuguer avec des cycles de militantisme. « On en est là. Il faut reprendre le chemin de l’action. Et OURWalmart entre dans cette logique. »


L’organisation locale à l’avant plan

L’organisateur syndical explique que OURWalmart est une structure indépendante des TUAC. Ultimement, elle devra aussi être autonome financièrement. Les membres qui adhèrent volontairement paient une cotisation de 5 $ par mois.

Il n’y a pas de représentant, pas de bureau, pas de paperasse à la charge de l’organisation. « L’idée, pour l’instant, c’est aussi de garder ça le plus flexible possible. L’argent va entièrement à leur défense. »

Les membres sont représentés en cas d’accidents de travail, devant les tribunaux des droits de la personne, pour les relations de travail. Les TUAC offrent des formations en droits du travail, puis, ce sont les organisateurs de OURWalmart qui forment ensuite leurs pairs.

« Seul le input provient des TUAC, le mouvement est vraiment autogéré et bientôt autofinancé. Ce sont des cellules hyper locales. » Il y a 2 000 « supers militants » OURWalmart, selon leur appellation, dispersés dans 40 États américains et dans 600 magasins, auxquels se greffent des membres militants.

« Cette forme d’organisation est aussi en conformité avec la mentalité des employés de Walmart qui ne veulent pas d’une grosse organisation syndicale qui vienne leur dire quoi faire. On s’est adapté. OURWalmart, ce sont des employés. Les débrayages et les manifestations, ce sont des employés de Walmart, pas des syndicats. »

Les événements du l’automne dernier ont aussi été l’occasion de tester de nouvelles façons de faire, dont l’utilisation des réseaux sociaux comme outil d’information, de mobilisation et d’organisation.

Les initiatives locales de débrayages se sont répandues comme une trainée de poudre. Nicolas Lemieux indique que la mobilisation s’est faite en ligne, alors les différentes cellules pouvaient s’inspirer de ce que planifiaient leurs confrères pour le Black Friday.

S’il convient que Walmart ne changera pas ses pratiques demain matin, il n’en demeure pas moins qu’elle doit faire face à un mouvement sans précédant, « une vague de fond, qui vient de la base », indique le syndicaliste. D’ailleurs, l’entreprise ne cesse de répéter que cette mouvance ne représente pas la volonté de la majorité de ses employés, alléguant qu’il s’agit plutôt d’une « publicité syndicale ».

« C’est la population, les citoyens, les membres qui sont les acteurs sociaux dans ces organisations, que l’on voudrait un jour syndicales. C’est bon pour l’image du syndicalisme, et bon pour les résultats! »

Qui sait, peut-être le mouvement OURWalmart pourrait-il gagner le Québec, berceau du tout premier magasin Walmart syndiqué en Amérique du Nord (le magasin de Jonquière a fermé en 2005, pour cause de « non rentabilité »).

Aux États-Unis, le salaire minimum fixé par la loi fédérale est actuellement de 7,25$ de l’heure (certains emplois ne sont toutefois pas assujettis à la Fair Labor Standards Act et certains États ne règlementent pas le salaire minimum).

Walmart considère que 28 heures par semaine est un poste à temps plein. La planification des horaires se fait à la journée, non pas à la semaine. Les couvertures médicales sont minimales et ne couvrent pas les frais pour des soins de base. Bon nombre des « associés » de Walmart doivent avoir recours à l’aide alimentaire de l’État.

Walmart est le premier employeur privé aux États-Unis avec 1,2 million de salariés américains (2,1 millions d’employés dans le monde). En 2012, les ventes s'élevaient à 447 milliards $ et l’entreprise enregistrait des bénéfices de 15,7 milliards $.