Le Bureau des évangéliques

2013/03/01 | Par Louise Mailloux

L’annonce par le gouvernement Harper de la création d’un Bureau de la liberté religieuse suscite bien des interrogations quant au rôle que jouera cet organisme religieux à l’étranger.

Dans une entrevue à l’émission Les coulisses du pouvoir du 24 février, Jason Kenney, ministre de l’Immigration, a justifié la création de ce Bureau en réponse à une vague croissante de persécution religieuse dans le monde.

Mais contrairement à ce qu’il prétend, ce bureau politique, rattaché au ministère des Affaires Étrangères, n’a pas été créé pour protéger les adeptes du Falun Gong ou les Tibétains face aux politiques répressives de la Chine, devenue aujourd’hui un important partenaire commercial du Canada, mais bien plutôt pour soutenir l’activité missionnaire évangélique à l’étranger et travailler de concert avec les ONG canadiennes qui sous couvert de travail humanitaire oeuvrent à la christianisation des populations.


L’expansion des Églises évangéliques

De tous les chrétiens, les protestants évangéliques sont ceux qui connaissent l’essor le plus fulgurant. Ils se distinguent par l’importance qu’ils accordent à la conversion, répondant ainsi à l’appel de Jésus à faire des disciples dans toutes les nations. «Allez! De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit» (Matthieu 28,19). Pour ces chrétiens, le prosélytisme est un devoir.

On évalue à un demi-milliard le nombre de protestants évangéliques dans le monde si bien qu’un chrétien sur quatre est aujourd’hui évangélique. Aux États-Unis, leur vitalité est impressionnante avec près de 80 millions de fidèles. Environ 60% des Américains déclarent être protestants. God bless America very much!

Bien implantés dans de nombreux pays d’Asie, en particulier la Chine communiste qui, selon le Pew Forum Research, occupe le septième rang des pays qui comptent le plus de chrétiens dans le monde et où les protestants se chiffrent à 75 millions de fidèles, et la Corée du Sud où les évangéliques représentent environ 25% de la population.

En Amérique latine, où leur progression est spectaculaire, ils représentent, selon le pays, de 5 à 30% de la population et grimpe jusqu’à 40% au Guatemala, au point de devenir le cauchemar de l’Église catholique qui voit de plus en plus ses fidèles déserter ses rangs au profit des églises évangéliques.

En Afrique, l’expansion évangélique est en pleine croissance, atteignant toutes les couches de la société. Aujourd’hui, sur les 470 millions d’Africains se déclarant chrétiens, 140 millions sont des évangéliques.

Mais c’est en Corée du Nord et dans les pays musulmans que le zèle des chrétiens évangéliques se heurte à une répression systématique et aux persécutions les plus graves alors qu’ils sont devenus un réel problème pour les pays musulmans qui tolèrent mal le pluralisme religieux et interdisent d’une manière générale tout prosélytisme en terre d’islam.

Ajoutons à cela l’influence grandissante des islamistes qui veulent éradiquer les chrétiens et le printemps arabe qui a empiré le sort des chrétiens.


L’oppression des minorités chrétiennes dans les pays musulmans

Le sujet est tabou et rarement abordé dans les médias. Les chrétiens sont le groupe religieux le plus discriminé dans le monde. 75 % des cas d’atteinte à la liberté religieuse concernent les chrétiens.

En février 2012, la revue américaine Newsweek titrait sa couverture «The war on Christians», une guerre contre les chrétiens qui sont massacrés en raison de leur religion, condamnés à mort ou emprisonnés pour blasphème.

Parler d’une autre religion que l’islam ou simplement posséder une Bible peut, dans certains pays à majorité musulmane, être considéré comme un blasphème alors que des musulmans convertis aux christianisme sont condamnés à mort pour apostasie, conformément au Coran (IV, 89).

En Arabie Saoudite, qui finance des mosquées partout dans le monde, le christianisme est interdit et l’apostasie est punie de la peine de mort. En Iran, posséder une Bible peut mener à une arrestation et la conversion au christianisme rend aussi passible de la peine de mort.

Aux Maldives, tous les citoyens de l’archipel ont l’obligation d’être musulmans. En Érythrée, les églises évangéliques ont été interdites par l’État en 2012. La même année, au Nigéria, le groupe islamiste Boko Haram a assassiné 54 chrétiens alors qu’en 2011, 510 personnes ont été massacrées et 350 églises détruites dans le nord musulman.

En Égypte, la situation des chrétiens coptes se dégrade depuis la chute de Moubarak. En Irak, depuis le retour des islamistes, il ne reste que 330 000 chrétiens contre 1,2 million au début des années 90.

Selon le Pew Forum Research, les pays qui cumulent à la fois le plus haut degré de restrictions gouvernementales et d’hostilité à l’égard des minorités religieuses sont : les Indes, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Indonésie, le Bangladesh, le Sri Lanka, l’Iran et la Turquie.

Au-delà de la liberté de culte, le test décisif pour savoir s’il y a respect de la liberté religieuse, c’est celui de ne pas empêcher les conversions.

Dans le but de contrer l’offensive prosélyte de plusieurs missions évangéliques en Algérie, le gouvernement algérien a adopté, en mars 2006, une loi réglementant l’exercice religieux pour les non-musulmans et qui rend le prosélytisme passible de peines de prison.

La loi prévoit des peines de 2 à 5 ans de prison et une amende contre toute personne qui «incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion». Les mêmes sanctions sont prévues contre toute personne qui «fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou ...... visant à ébranler la foi musulmane».

Au Maroc, les autorités craignent aussi les conversions. L’article 220 du Code pénal précise que toute personne qui «emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion risque de six mois à trois ans de prison

Le gouvernement marocain a choisi pour l’instant l’expulsion plutôt que la prison. Ainsi, au printemps 2010, quelque 150 étrangers ont été expulsés du Maroc pour avoir chercher à diffuser la foi chrétienne. Une sorte de protectionnisme religieux.


Le marché des âmes

La compétition est féroce pour s’accaparer le marché et imposer sa vision du monde. À l’échelle mondiale, les deux religions qui comptent le plus de fidèles sont le christianisme et l’islam.

Monothéismes résolument prosélytes alors que les Juifs se contentent d’être le Peuple élu, ces deux grandes religions se font la lutte. Le christianisme vient en tête avec 32% du marché mondial alors que son plus redoutable rival, l’islam, représente 23%.

Ces religions d’amour et de paix sont en guerre et le Bureau de la liberté religieuse participe à cette guerre. Son rôle sera de faciliter l’offensive des chrétiens évangéliques en leur fournissant une protection et un soutien diplomatiques.

Il faut mettre en perspective la création de ce Bureau avec le virage idéologique qu’a pris l’aide internationale ces dernières années où le gouvernement Harper a non seulement accru son contrôle sur le type de projets qui seront subventionnés, mais il a aussi réduit les subventions accordées par l’ACDI à des ONG telle Développement et Paix (une organisation des évêques catholiques du Canada) qui offrait un soutien aux femmes à travers des programmes de planning familial (contraception et avortement), tout en accroissant de 42 % le budget d’ONG qui par le biais de l’humanitaire font ouvertement de l’évangélisation.

Précisons ici que la Conférence des évêques catholiques du Canada s’est rangée du côté du gouvernement Harper en ne dénonçant pas les compressions, abandonnant du même coup les catholiques de gauche engagés dans Développement et Paix, très critiques à l’endroit des politiques du gouvernement Harper.

Ce gouvernement a aussi réduit les subventions à KAÏROS, une organisation chrétienne canadienne regroupant plusieurs églises et il a également fermé l’organisme international Droits et libertés qui, selon lui, soutenaient des positions pro-palestiniennes qui ne cadrent évidemment pas avec l’appui inconditionnel du Canada à Israël.

Ces choix du gouvernement vont exactement dans le sens des priorités des groupes évangéliques au sein duquel il existe un courant sioniste chrétien. Ces sionistes font une lecture littéraliste des Écritures qui amalgame l’Israël biblique et la nation actuelle d’Israël et ils considèrent que la restauration de celui-ci est un préalable au retour du Christ sur terre.

On comprend alors mieux pourquoi l’organisation humanitaire Africa Technical Services a vu ses subventions de l’ACDI triplé depuis 2005. Cette ONG de Colombie-Britannique affirme mener son action «sous l’autorité des écritures» et cherche «à glorifier notre Seigneur Jésus».

On comprend aussi pourquoi l’organisation américaine Wycliffe Bible Translators, basée à Calgary, se spécialisant dans la traduction de la Bible, obtiendra du financement de l’ACDI.


Encore des conflits religieux

Ces changements d’orientation de l’aide internationale mettent en relief des enjeux politiques importants démontrant que l’agenda du gouvernement conservateur est conforme aux valeurs morales et aux priorités politiques des protestants évangéliques et que pour l’imposer, sans trop faire de vagues, ce gouvernement pratique une politique des petits pas. Et le Bureau de la liberté religieuse est un de ces petits pas.

Les religions ont toujours été présentes dans le réseau humanitaire et ce virage idéologique révèle aussi des enjeux politiques souvent occultés par l’aspect caritatif de l’aide humanitaire.

Ce qui s’est produit montre à quel point le torchon brûle depuis quelques temps entre les catholiques de gauche, engagés dans un christianisme social, qui sont pro-choix, pro-palestinien et anti-américain, donc plus sensibles à l’islamophobie qu’à la persécution des chrétiens dans les pays musulmans et les évangéliques qui sont, pour leur part, pro-vie, pro-Israël et pro-américain et donc plus sensibles à la christianophobie qu’à l’islamophobie.


Où est le ciel?

Vous me direz, mais où est la religion dans tout cela? Aurait-on oublié le ciel? La religion est ici sur la terre, sur la colline à Ottawa, parce que la religion, c’est une autre façon de faire de la politique.

Et surtout, n’allons pas croire que la religion ne soit qu’une affaire personnelle comme aime à le répéter Charles Taylor et ses suivants. Au Canada, il n’y a certes pas de religion officielle mais il y a tout de même la religion de ceux qui sont au pouvoir. Et que ce Bureau de la liberté religieuse, c’est le Bureau de la liberté des évangéliques.