Hommage à Hugo Chavez !

2013/03/07 | Par André Maltais

Le président du Venezuela, Hugo Chavez, est mort, mardi, 5 mars 2013. Depuis 14 ans, par le truchement de la lecture, j’ai été témoin de l’irruption et du passage exceptionnel de cet homme en politique. Un passage de feu comme celui des comètes.

Je crois qu’il n’est pas exagéré de dire qu’en ces temps de désenchantement envers le politique, au Québec comme partout ailleurs en Occident, Hugo Chavez, pour ceux et celles qui ont daigné ou daigneront le moindrement s’intéresser à ce qu’il a fait, représente actuellement l’espoir de renouvellement le plus beau et le plus stimulant sur notre planète.

Chavez a jeté les bases d’un renouvellement nécessaire de la vieille et démobilisatrice démocratie occidentale. La démocratie de Chavez a été celle des majorités et se présente aujourd’hui comme une piste à suivre partout dans le monde, une piste qui montre qu’il n’est pas vrai que les politiciens « sont tous pareils ».

Pour lui rendre hommage, j’ai librement traduit un texte qu’a fait paraître le politologue et sociologue argentin, Atilio A. Boron. En plus d’avoir bien connu Chavez, Boron enseigne à l’Université de Buenos Aires et est aussi directeur du « Programme latino-américain d’éducation à distance en sciences sociales ».

Voici ce texte:

Il est très difficile d’assimiler la douloureuse nouvelle du décès d’Hugo Chavez Frias. On ne peut cesser de maudire le mauvais sort qui prive notre Amérique de l’un des rares irréductibles dans la bataille inachevée pour notre seconde et définitive indépendance.

L’histoire se prononcera sur l’œuvre que Chavez a accomplie bien que je ne doute pas que ce sera de manière très positive. Bien au-delà de toute discussion qui pourrait légitimement avoir lieu dans le camp anti-impérialiste – pas toujours suffisamment sage pour clairement distinguer les amis des ennemis – il faut commencer par reconnaître que le leader bolivarien a tourné une page de l’histoire vénézuélienne et, pourquoi pas, latino-américaine.

À partir d’aujourd’hui, on parlera d’un Venezuela et d’une Amérique latine antérieurs et postérieurs à Chavez, et il ne serait pas téméraire de conjecturer que les changements que celui-ci a impulsés et dans lesquels il a joué le rôle principal, comme très peu l’ont fait dans notre histoire, portent le sceau de l’irréversibilité. Le résultat des dernières élections vénézuéliennes – reflet de la maturité de la conscience politique d’un peuple – montrent la vérité d’un tel pronostic.

On peut parcourir à l’envers le chemin des nationalisations et privatiser les entreprises publiques. Mais il est infiniment plus difficile de faire en sorte qu’un peuple qui a acquis la conscience de sa liberté ne rétrocède jusqu’à se replacer dans la soumission.

Dans sa dimension continentale, Chavez a été le principal acteur de l’échec du plus ambitieux projet que l’Empire ait eu pour l’Amérique latine : la ZLÉA. Cela suffirait à le hisser dans la galerie des grands patriotes de Notre Amérique. Mais il a fait bien davantage.

Le leader populaire, véritable représentant de son peuple avec qui il communiquait comme jamais aucun gouvernant avant lui ne l’avait fait, détestait, et cela depuis sa jeunesse, l’oligarchie et l’impérialisme. Ce sentiment a, plus tard, évolué pour devenir un projet rationnel : le socialisme bolivarien ou socialisme du 21ième siècle.

C’est Chavez qui, au milieu de la nuit néolibérale, a replacé l’actualité du socialisme dans le débat public latino-américain et, en grande partie, international ; plus que ça: la nécessité du socialisme comme la seule alternative réelle, non illusoire, à l’inexorable décomposition du capitalisme, en dénonçant les tromperies des politiciens qui prétendent en solutionner la crise intégrale et systémique tout en préservant les paramètres fondamentaux d’un ordre socio-économique historiquement condamné.

Comme nous le rappelions plus haut, Chávez a été le meneur, sur le champ de bataille, lors de la défaite infligée à la ZLÉA, à Mar del Plata, en novembre 2005.

Si Fidel a été le stratège général de cette longue bataille, la victoire n’aurait pu advenir sans le rôle du leader bolivarien dont l’éloquence persuasive a gagné l’adhésion de l’hôte de ce Sommet des présidents des Amériques, Nestor Kirchner ; de Luis Inacio « Lula » da Silva ; et de la majorité des chefs d’état présents, au départ peu enclins, voire ouvertement opposés, à vexer l’empereur.

Qui, sinon Chavez, aurait pu renverser une telle situation ? L’instinct aiguisé des impérialistes explique l’implacable campagne que Washington lancera contre lui dès le début de sa gestion.

Croisade qui, confirmant une déplorable constante historique, a bénéficié de la collaboration de l’infantilisme ultragauchiste qui, à partir de l’intérieur comme de l’extérieur du Venezuela, s’est objectivement mis au service de l’Empire et de la réaction.

La mort de Chavez crée un gouffre difficile, sinon impossible à combler. À sa stature exceptionnelle comme meneur de foules s’ajoutait la clairvoyance de qui, comme peu d’autres, savait déchiffrer et manœuvrer intelligemment dans la trame géopolitique complexe d’un Empire qui veut perpétuer la subordination de l’Amérique latine.

Cette subordination que seule peut combattre – dans la lignée des idées de Bolivar, San Martin, Artigas, Alfaro, Morazan, Marti, et, plus récemment, le Che et Fidel – la consolidation de l’union des peuples d’Amérique latine et des Caraïbes.

Véritable force de la nature, Chavez a reformaté l’agenda des gouvernements, partis et mouvements sociaux de la région au moyen d’un interminable torrent d’initiatives et de propositions intégrationnistes : de l’ALBA à Telesur ; de Petrocaribe à la Banque du Sud ; de l’UNASUR et du Conseil de défense sud-américain à la CELAC.

Initiatives qui, toutes, partagent un même et indélébile code génétique : son fervent et inébranlable anti-impérialiste.

Chavez ne sera jamais plus au milieu de nous, irradiant de sa débordante cordialité, de son subtil et fulminant sens de l’humour qui désarmait les habitués du protocole, de cette générosité et de cet altruisme qui le rendaient si aimable.

Il croyait en la maxime cubaine disant que pour être libre, il faut être cultivé. Aussi sa curiosité n’avait-elle pas de limites. À une époque où presqu’aucun chef d’état ne lit – que lisaient, au fait, ses détracteurs, Bush, Aznar, Berlusconi, Menem, Fox, Fujimori ? – Chavez était le lecteur que tout auteur aurait aimé avoir.

Il lisait à toute heure, malgré les lourdes obligations que lui imposaient ses responsabilités de gouvernement. Et il lisait avec passion, muni de ses marqueurs et stylos de toutes couleurs avec lesquels il soulignait et annotait les passages les plus intéressants, les citations les plus parlantes et les arguments les plus profonds des livres qu’il lisait.

Cet homme extraordinaire qui m’a honoré de son entière amitié, est parti pour toujours. Mais il nous a légué quelque chose d’immense, d’ineffaçable, et les peuples de Notre Amérique, inspirés par son exemple, continueront d’emprunter les voies qui mènent à notre deuxième et définitive indépendance.

Il se passera avec lui ce qui s’est passé avec le Che : sa mort, loin de l’effacer de la scène politique, grossira sa présence et sa gravitation dans les luttes de nos peuples. Par l’un de ces paradoxes que l’histoire ne réserve qu’aux grands, sa mort le convertira en personnage immortel.

Pour paraphraser l’hymne national vénézuélien, disons : « Gloire au brave Chavez. À la victoire, toujours, commandant ! »