Les élèves allophones : l’angle mort de  la mesure d’anglais intensif

2013/04/03 | Par Frédéric Lacroix, Ph.D. et Tania Longpré

Frédéric Lacroix est membre de Citoyens pour un moratoire sur l’anglais intensif au primaire. www.anglaisintensif.org

Tania Longpré est enseignante en francisation des immigrants, candidate à la maîtrise en acquisition des langues secondes à l’UQAM et auteure de « Québec cherche Québécois pour relation à long terme et plus », Stanké, 2013.

Le Québec reçoit un nombre élevé d'immigrants. Alors qu'il a atteint un seuil record de 55.036 nouveaux arrivants en 2012, le volume des admissions de la période 2007 à  2011, quant à lui, s’est élevé à 245 606 immigrants, soit une moyenne annuelle de 49 121 nouveaux arrivants par année. Parmi ceux-ci, 20,6% sont des enfants âgés de moins de 15 ans.

Les jeunes âgés de moins de 18 ans constitue la seule catégorie d’immigrants à être soumise à l'obligation de francisation via les clauses scolaires de la loi 101, celle-ci n’étant ni appliquée à l’éducation des adultes, ni à la formation professionnelle, ni au cégep.

Ces jeunes, qu’ils soient de niveau préscolaire, primaire ou secondaire sont d’abord dirigés vers les classes d’accueil pour être intégré progressivement au système scolaire québécois.

Fait à noter, ils sont exemptés de cours d’anglais en classe d’accueil afin de ne pas nuire à leur apprentissage du français. Or, une des affirmations les plus courantes des promoteurs du programme d’anglais intensif au primaire est que l’enseignement de l’anglais viendrait en quelque sorte « consolider » la langue maternelle. Cette affirmation tient-elle quand on s’écarte du modèle « standard » français langue maternelle/anglais langue seconde?

Il est bon de rappeler que les élèves allophones représentent une proportion importante des élèves du primaire et secondaire du Québec, soit 14,1%.

Les derniers chiffres disponibles, ceux de 2008, démontrent de fortes variations régionales dans le pourcentage d’allophones : 48,4% à Montréal, 9,2% à Québec, 16,2% en Outaouais et 35,2% à Laval.

Les écoles de la Commission scolaire de Montréal comptent plus de 50% de ses élèves qui n'ont ni le français ni l'anglais comme langue maternelle. Dans certains établissements, cette proportion atteint même jusqu'à 98%.

De ce nombre, plusieurs sont en processus d’acquisition du français et certains éprouvent des difficultés académiques liées à une maîtrise déficiente de la langue française.

Il est connu que les élèves issus de l’immigration sont proportionnellement plus nombreux que les autres élèves à présenter un retard scolaire au début de leur cheminement au secondaire, la proportion étant de 57,2 % pour les élèves allophones de première génération.

Nous ne pouvons pas considérer qu’un enfant allophone dont le français est très souvent la 2e ou même la 3e langue ait une maîtrise équivalente à celle d’un enfant de langue maternelle française après quelques mois passés en classe d’accueil.

Les recherches démontrent que la méconnaissance de la langue représente la première source des difficultés scolaires qui se traduisent par l’échec scolaire et qu’en contrepartie, la maîtrise de la langue représente la clef du succès scolaire.

La langue française, pour les enfants immigrants,  représente l’outil crucial pour leur accueil et leur intégration non seulement à l’intérieur du système scolaire, mais aussi à la société québécoise. C’est cette langue qui leur ouvrira les portes de leur nouvelle vie.

Les études tentant de mesurer l’impact de l’anglais intensif ne prennent pas en considération la spécificité des élèves allophones.  Malgré cela, le schéma d’implantation actuel du programme ne fait pas la distinction entre les francophones et les allophones.

Or, l’obligation de fréquenter le programme d’anglais intensif est susceptible de nuire ou de retarder l’acquisition du français langue seconde chez bon nombre d’allophones.

Autre détail : environ 6,7% des élèves des écoles françaises ont l’anglais comme langue maternelle.  Ces élèves seront-ils tout de même obligés de faire l’anglais intensif? Un flou artistique règne toujours autour de cette question.

Il serait bon de ne pas handicaper les jeunes allophones dans l’acquisition de la langue française et d’attendre que le français soit bien acquis avant d’introduire une troisième langue « seconde ».

Les écoles, et spécialement les écoles de la grande région de Montréal,  ont beaucoup plus besoin d’obtenir davantage de support à la francisation des nouveaux immigrants que d’un programme d’anglais intensif imposé.

Avec ce programme, c’est un bien curieux message que nous envoyons à leurs parents ; n’oublions pas que plusieurs immigrants adultes ont déjà un manque de motivation à apprendre le français, puisque la francisation des adultes n’est pas obligatoire et que l’anglais est la langue de travail d’une grande partie des allophones à Montréal.

Si nous envoyons comme message que l’anglais est une priorité pour leurs enfants, ils comprendront qu’une maîtrise de l’anglais est suffisante afin de s’intégrer à la société québécoise ainsi qu’au marché du travail.

Notons finalement que presque 40% des allophones qui ont fréquenté l’école française choisissent le Cégep anglais, comparativement à seulement 4% des élèves francophones. Choix qui les mène ensuite à l’université anglaise et à l’intégration à un milieu de travail anglophone.

Selon le MELS, « en ce qui concerne les élèves issus de l’immigration, le fait de connaître plus d’une langue et de vivre sur l’île de Montréal ou dans les régions périphériques (Laval, Montérégie), où l’enseignement en anglais est plus concentré, compte parmi les facteurs explicatifs » menant au choix du Cégep anglais.

L’introduction de l’anglais intensif au primaire va-t-il résulter en une dégradation de l’intégration des allophones à la langue commune du Québec? Tout porte à croire que oui.