La mort de « TINA » Thatcher

2013/04/12 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur québécois des TCA

« Avec la disparition de madame la Baronne Thatcher, le monde a perdu une géante parmi les dirigeants mondiaux », a déclaré Stephen Harper lors du décès de Margaret Thatcher. Nos médias ont parlé de son charme et de son charisme, d’une politicienne fidèle à ses convictions, courageuse dans ses choix, et qui a fait preuve de leadership pendant les onze années (1979-1990) où elle a gouverné l’Angleterre.

Quelques semaines auparavant, les mêmes médias commentaient la mort de Hugo Chavez en qualifiant celui qui a dirigé le Venezuela pendant 14 ans (1999-2013), de « despote », d’« autocrate » et de « démagogue », des insultes au peuple vénézuélien qui venait de le réélire pour une quatrième fois.

Le premier ministre Harper qui, contrairement à Chavez, gouverne le Canada depuis sept ans, sans jamais avoir obtenu l’appui d’une majorité de la population, a refusé d’émettre un message de sympathie au peuple vénézuélien pour la perte de son président.

Cette différence de traitement envers Thatcher et Chavez n’est pas surprenante. Les deux ont incarné, à leur manière, les deux grands courants politiques mondiaux des 30 dernières années.


La mère du néolibéralisme

Avec ses politiques de privatisation, de déréglementation et de libre-échange, Mme Thatcher rompait brutalement avec les politiques keynésiennes d’après-guerre. Pendant ces années, baptisées « les Trente Glorieuses » (1945-1975) par nos amis français, on a assisté à l’édification de l’État-providence dans les pays occidentaux.

Profitant de la crise économique, qui faisait suite au premier « choc pétrolier » de 1973, Mme Thatcher s’est employée à démanteler, morceau par morceau, tout l’édifice des programmes sociaux et des politiques économiques de l’État-providence.

S’inspirant des gourous du néolibéralisme, elle déclarait : « There is no such thing as society ». Traduction : « La société n’existe pas ». Autrement dit, il n’y a que des individus !

Pour parvenir à ses fins, Mme Thatcher devait écraser le mouvement syndical, qui était la base du Parti travailliste britannique. Elle décide de fermer 20 mines de charbon, déclarées déficitaires. Cela signifiait la perte de 20 000 emplois! Elle entre alors en collision frontale avec le syndicat des mineurs dirigé par Arthur Scargill. La grève dura un an et se termina par une défaite de l’ensemble du mouvement syndical.

En 1981, son grand copain Ronald Reagan avait donné le ton en licenciant les 11 345 contrôleurs aériens grévistes du PATCO qui avaient ignoré son ordre de retour au travail. Ils furent bannis de façon permanente des services fédéraux.



L’effet Thatcher au Canada et au Québec

Les politiques néolibérales de la Dame de fer furent imitées par la plupart des gouvernements des pays industrialisés. Au Canada, le gouvernement Mulroney, élu en 1984, négocie le libre-échange avec les États-Unis et entreprend une série de privatisations et de déréglementations.

Je me souviens qu’à cette époque, notre syndicat avait entrepris une vaste campagne pancanadienne pour dénoncer les effets dévastateurs qu’aurait l’Accord de libre-échange Canada/États-Unis sur les travailleurs. Pendant que Bob White, notre président de l’époque, profitait de toutes les tribunes pour dénoncer cet accord de libre-échange et dire que les conservateurs n’avaient pas eu le mandat de vendre le Canada aux États-Unis, Brian Mulroney, de son côté, disait à qui voulait l’entendre « Laissez le Canada entre mes mains et dans dix ans vous ne le reconnaîtrez plus ». Le résultat! L’accord de libre-échange fut signé et le gouvernement canadien vendit plusieurs sociétés d’État, dont de très grandes, comme Air Canada, le CN et Pétro-Canada.

Au Québec, Robert Bourassa, de retour au pouvoir en 1985, entre dans la parade menée par le trio Thatcher, Reagan et Mulroney et privatise à son tour plusieurs sociétés d’État, comme Sidbec-Dosco, Cambior, Donohue, Québecair.


Le Thatchérisme

Les politiques de Mme Thatcher étaient enveloppées dans un discours qui lui était caractéristique, si bien qu’on a commencé à parler de Thatchérisme. C’était l’idéologie du moins d’État possible, du tout au marché. Finie la planification de l’économie par l’État, la « main invisible » du marché allait tout réguler.

Tout cela se déroulait au moment même où l’on assistait à l’écroulement du mur de Berlin et au démantèlement de l’Union soviétique.

Invoquant la disparition de l’Union soviétique, et donc, à ses yeux, la fin du socialisme, Mme Thatcher justifiait son orientation politique et idéologique en disant : « There Is No Alternative ». (Il n’y a pas d’alternative), d’où son surnom de TINA!



Au-delà du discours critique, l’expérience vénézuélienne

Face à cette offensive politique et idéologique, le mouvement syndical et la gauche se sont retrouvés dans les câbles. Des intellectuels de gauche avaient beau passer au crible le discours néolibéral, étaler sur la place publique ses contradictions, démontrer qu’ils étaient taillés sur mesure pour les intérêts patronaux, ils n’avaient pas d’exemples concrets à opposer au modèle thatchérien.

Jusqu’à ce que Chavez entre en jeu. Ce dernier a pris le contre-pied des politiques néolibérales. Il a nationalisé l’industrie pétrolière et tout le secteur de l’énergie, de même que les industries clefs de son pays.

Il a également donné un rôle à l’État pour assurer le bien-être de sa population. Sous sa gouvernance, la pauvreté a été réduite de moitié et l’analphabétisme a été éradiqué, selon l’UNESCO. Les inégalités se sont résorbées et le pays est aujourd’hui le plus égalitaire de la région.

Chavez a aussi mené le combat sur le terrain idéologique. À la « Révolution thatchérienne », Chavez a opposé la « Révolution bolivarienne ». Au TINA de Thatcher, c’est-à-dire à la soi-disant absence d’alternative, Chavez a opposé une alternative, qu’il a baptisée le « Socialisme du XXIe siècle ».

Je ne veux pas me prononcer sur l’expérience concrète de la « Révolution bolivarienne » au Venezuela. Je ne la connais pas. Par contre, je connais très bien l’expérience concrète de la « Révolution thatchérienne » au Canada et au Québec.

Et, si je mets un instant de côté les louanges envers Thatcher et le discours méprisant des médias à l’égard de Chavez, autrement dit, si j’éteins le son de ma télé et que je ne regarde que les images, je ne peux que constater une énorme ferveur populaire du peuple vénézuélien pour son président, et du côté de l’Angleterre des gens qui, encore aujourd’hui, 23 ans après son départ de la politique, prennent la peine d’afficher sur des pancartes leur haine pour la Dame de fer.