J’aime ma langue dans ta bouche

2013/04/15 | Par Julien Beauregard

Le 6 avril dernier, le cabaret du Lion d’Or consacrait sa journée à une promotion ludique de l’expression française au Québec. L’initiative vient du Mouvement Québec français qui réitérait pour une deuxième année l’expérience de ce spectacle aux allures de marathon intitulé «J’aime ma langue dans ta bouche».

Question de souffler un peu, l’évènement s’est déroulé en deux parties, une première en après-midi et l’autre en soirée. Bien qu’on m’ait dit qu’elles étaient similaires, elles comportaient chacune leurs exclusivités.

Comme je n’ai assisté qu’à la deuxième partie du spectacle, j’aurais pu manquer quelques perles n’eût été de la contribution de l’organe citoyen 99% Média (www.99media.org) qui a capté la scène du Lion d’Or avec la lentille d’une caméra, permettant ainsi une diffusion différée.

Ceux qui se mordent les doigts d’avoir manqué ce rendez-vous ont donc l’occasion de se reprendre, mais ils devront faire avec une qualité sonore et visuelle parfois chancelante.

Denis Trudel était à la fois responsable de la direction artistique et l’animation de ce spectacle multidisciplinaire.

On pourrait bien critiquer son caractère brouillon, néanmoins, il est mal venu de dire du mal des bénévoles à qui ont doit la concrétisation de ce projet et qui se sont donné corps et âme à la réalisation de cette activité.

«J’aime ma langue dans ta bouche», selon Denis Trudel, c’est l’incarnation de la notion du français comme langue commune au Québec, notion que les principaux groupes d’intérêt comme le Mouvement Québec français auquel Trudel agit à titre de porte-parole, luttent pour un renforcement législatif.

Pour le porte-parole de l’évènement, Biz, membre du groupe Loco Locass, il faut compter davantage que sur la Charte de langue française pour assurer la pérennité du français au Québec.

D’après lui, chaque Québécois doit, sur une base individuelle, se porter à la défense de sa langue en abordant un rapport critique avec son propre comportement linguistique. Il plaide pour que le français prévale dans les échanges au quotidien, surtout avec ceux qui n’ont pas l’aisance de bien le parler.

Le président du Mouvement Québec français, Mario Beaulieu, présenta lui aussi un texte qui tenait lieu de déclaration formelle du mouvement de défense de la langue française qu’il représente.

Citant Pierre Bourgault, il rappelle que «quand nous défendons le français chez nous, ce sont toutes les langues du monde que nous défendons contre l’hégémonie d’une seule.» Au nom de cette cause, il est prêt à prendre tous les coups que lui assènent ses adversaires.

Lisant un texte rédigé dans le cadre de l’évènement, Jules Falardeau déclare s’interdire de s’adresser en anglais avec quiconque au Québec dans un effort pour se libérer de l’emprise d’un réflexe de colonisé.

Ce réflexe faisait en sorte qu’il répondait en anglais à quiconque qui ne s’adressait pas à lui en français, car l’anglais se voudrait la langue internationale des échanges. Falardeau parle exclusivement français au Québec au risque de passer pour un être sectaire ou d’importuner un touriste. C’est pour lui une question santé mentale.

L’homme derrière les études sur la situation du français à Montréal sur lesquelles Pierre Curzi a appuyé sa démarche de renforcement législatif envers le français, Éric Bouchard, était là pour parler de son expérience personnelle avec l’interculturalisme.

Les bénéfices dont il a soutiré des échanges avec des citoyens d’un héritage culturel différent du sien a fondé un principe de métissage duquel le Québec devrait s’inspirer.

Ces détracteurs de la protection de la langue française ont été souvent pris à partie par Denis Trudel durant la soirée. Après le passage sur scène d’un participant d’une origine étrangère, il était fier de les présenter comme des contrexemples de fermeture, de tribalisme et de xénophobie dont on est souvent accusé.

Avec raison, ces artistes étaient la pièce de résistance de la soirée.

Denis Trudel a invité des artistes de nationalité étrangère qui ont participé auparavant à un concert organisé par la Maison de la culture Ahunstic et intitulé «Des mots sur mesure».

Depuis 2010, il s’y organise un spectacle annuel qui donne l’occasion à des artisans de la scène musicale d’exprimer leur art en français; il s’agissait parfois pour eux d’une première occasion de le faire. L’exercice demande d’adapter à son goût un texte du répertoire québécois. Le résultat est remarquable.

Ainsi, avons-nous pu entendre trois artistes Tamouls de l’ensemble Amanda Prasad qui ont interprété «Comme un sage» d’Harmonium et «Chanson entre nous», écrite par Stéphane Venne et chantée initialement par Pauline Julien.

Il y avait aussi Oumar Ndiaye, auteur –compositeur sénégalais qui a livré une version rythmée de «La complainte du phoque en Alaska» en plus de deux chansons de son répertoire, soit «T’es où» et «Viva le Québec».

Pour sa part, Yadong Guan, de nationalité chinoise, a produit une version de «J’ai planté un chêne» de Gilles Vigneault accompagnée d’une consœur. Elle a ensuite joué une pièce en chinois et en français dont le titre est «La lune est mon cœur».

Venue de Turquie, Duo Turco est une formation musicale composée des artistes Ismaïl Fencioglu et Didem Basar qui a donné un souffle nouveau au poème «Soir d’hiver» d’Émile Nelligan et «J’ai la tête en gigue» du duo Jim et Bertrand.

Il ne faut surtout pas passer sous silence le passage de Soraya Benitez, chanteuse vénézuélienne à la voix puissante découverte dans le métro par un artisan de la Première Chaîne.

Ce n’est pas tout. Le Lion d’Or accueillait également cette journée des artistes venus d’ailleurs qui pratiquent leur art en français comme Zahia, interprète Kabyle, qui a chanté deux compositions musicales de l’artiste Kabyle Idir, soit «Sans ma fille» et «Ce cœur venu d’ailleurs».

Mykalle Bielinski est une artiste qui a plus d’une corde à son arc. Un peu touche à tout, cette Polonaise d’origine n’a dévoilé qu’une partie de son talent en partageant avec le public un de ses poèmes et deux de ses chansons.

L’auteur algérien Karim Akouche a lu un long texte émouvant. Avant de quitter la scène, il a confié qu’un peuple qui ne défend pas son identité est un peuple destiné à l’esclavage.

Pour sa part, Romain Pollender, auteur et comédien d’un lointain héritage juif et polonais, a partagé un texte qu’il a composé pour l’occasion sous forme d’adresse à un nouvel arrivant.

N’oublions pas la France, la mère patrie de la langue mise à l’honneur. Si l’auteur-compositeur-interprète Gaële devait servir d’ambassadrice, elle est serait sa plus digne représentante. Cette amoureuse du Québec a servi au public un spectacle complètement disjoncté.

Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant, deux comédiens qui ont une seconde vie de chanteurs et de musiciens, sont venus souligner leur amour de la langue. Ils ont joué «Rapide blanc» d’Oscar Thiffault et «Évangéline» d’Angèle Arsenault.

L’homme qui a redonné vie à Gaston Miron, Gilles Bélanger, était, pour sa part, présent pour donner une voix au poète avec «Au sortir du labyrinthe» et «Sentant la glaise» qu’on peut entendre sur l’album des Douze hommes rapaillés.

Les mots de Miron étaient également présents dans la bouche de Denis Trudel qui, pour l’occasion, s’est prêté au jeu de la performance en lisant «Compagnon des Amériques» de Gaston Miron accompagné de la formation musicale chilienne Acalanto.

Ivan Bielinski alias Ivy est un slammeur qui ne rate aucune occasion pour mettre l’épaule à la roue dans la promotion du français. Accompagné de ses musiciens, il s’est exprimé avec sa vigueur habituelle, livrant au passage un slam fort à propos sur la situation actuelle de la langue.

L’humoriste Louis T. a également abordé la question de la langue en débordant du sujet comme les artistes du genre nous ont habitué.

Le Lion d’or a brièvement transformé sa scène en planches de théâtre le temps que le dramaturge et comédien Sacha Samar, venu d’Ukraine, nous présente une scène de la pièce «La mort dans la bouache» de Luigi Pirandello avec l’aide de son épouse.

Denis Trudel a tenu présenter des courts métrages durant la soirée afin de donner une place à ce genre qu’il dit sous-représenté. On a pu voir «Sang froid» de Martin Thibaudeau et «Trotteur» de Francis Leclerc. Le choix de ce dernier était toutefois étonnant dans le contexte d’un spectacle consacré à la langue, compte tenu de son caractère muet.

Olivier Bélisle est un auteur-compositeur-interprète à la confluence du folk, du rock, du blues et du funk qui a reçu la tâche ingrate de clore la soirée. À l’instar de son talent en émergence, le spectacle de Denis Trudel devrait revenir en force l’année prochaine.

Celui-ci a partagé à voix haute le rêve d’organiser une scène à air ouverte dans un parc de Côte-des-neiges où il s’y parle près d’une centaine de langues. Voilà un excellent lieu de promotion du français, langue commune des échanges chez tous ceux qui portent le Québec dans leur cœur.


Photo : Mathieu Breton