La canonisation de Margaret Thatcher

2013/04/17 | Par Michel Rioux

Si la chose avait pu se faire, on pourrait dire que Margaret Thatcher a été canonisée vite fait par les thuriféraires de la droite néolibérale quand sa mort a été annoncée. Serge Truffaut, du Devoir, visait donc juste quand il a dénoncé « un chapelet d’apologies qui sont autant de paravents camouflant un fort penchant pour le révisionnisme historique ».

Car qu’en est-il, en effet, de cette Dame de fer qui a mis son pays sens dessus dessous pour satisfaire aux impératifs d’une idéologie mise en avant par l’école de Chicago, avec comme chef de file Milton Friedman ? Comme on le dit dans l’expression « tout à l’égout », Thatcher a pratiqué le tout au privé comme jamais pays occidental ne l’avait fait avant elle.

On a souvent associé thatchérisme et reaganisme, ces deux idées toxiques créatrices d’inégalités, pour reprendre l’expression de Joseph Stieglitz, prix Nobel d’économie. Mais le thatchérisme a eu plus de chance que le reaganisme. Les États-Unis étant ce qu’ils sont, Reagan n’avait plus rien à vendre, ou plutôt à brader.

Margaret Thatcher, l’une des plus grandes idéologues du 20e siècle, a bradé le trésor anglais pour financer sa guerre idéologique : 65 sociétés publiques ont été vendues, dont British Airways, British Gaz, British Telecom, BP et autres hôpitaux. Ce qui rapporta 70 milliards $. Au moment de sa démission, en 1990, elle s’apprêtait à privatiser les services d’électricité, ce qui devait rapporter environ 20 milliards $.

En d’autres temps, on vendait au plus offrant l’orfèvrerie et les bijoux de famille, même royale, pour financer les guerres. Thatcher avait déclaré une guerre personnelle contre tout ce qui s’appelle justice sociale, compassion, égalité.

Mais l’idéologie rendant aveugle, comme on le sait, Thatcher a débité la galerie du Royaume-Uni pour se faire du bois de chauffage. Cela a fonctionné un temps. Mais on ne peut brûler sa galerie qu’une seule fois.

D’extraction modeste, fille d’épicier, elle avait rapidement pris le parti des puissants et des dominants, dont elle a constamment, pour ne pas dire vaillamment, travaillé à renforcer l’emprise. Plutôt que de lutter contre la pauvreté, elle a, comme d’autres avant et après elle, écrasé les pauvres.

Tout ce qui comptait pour elle, c’était l’argent et l’enrichissement individuel, comme en témoignent ces deux déclarations : « Cette chose qu’on appelle société n’existe pas. Il n’y a que des individus », et « Personne ne se serait souvenu du bon Samaritain s’il n’avait eu que de bons sentiments. Il avait surtout de l’argent. »

Sous son règne, l’équivalent anglais de la TPS a plus que doublé. Avant d’être expulsée par son parti et de sortir de l’Histoire par la petite porte, ce qui l’humilia profondément, elle avait voulu appliquer une dernière trouvaille : la capitation. Ce qui avait mis l’Angleterre à feu et à sang, littéralement.

Imaginez ! Une famille de dix personnes, une famille pauvre il va sans dire et habitant un trois pièces, aurait payé dix fois plus de taxes qu’un lord vivant seul dans son château… C’était sa notion de l’égalité.

Elle avait commencé sa carrière politique en se présentant sous les traits d’une Fifi Brindacier. Elle devait la terminer sous l’armure d’une Iron Lady.

Margaret Thatcher a manié comme personne la violence verbale, l’agressivité, l’arrogance et le mépris à l’égard des plus faibles. Elle se flattait même d’avoir un « cœur masculin ». Ce n’est donc pas lui faire injure de soutenir qu’elle fut sans doute le personnage politique le plus macho de la période durant laquelle elle a sévi.

Truffaut ajoutait : « La méticulosité avec laquelle Thatcher a présidé à la déréglementation tous azimuts, et notamment sur le front financier, a produit comme favorisé la crise de 2008. En fait, elle a mis en place un environnement où le sans foi ni loi et la négation de l’éthique la plus élémentaire ont fait que les banques anglaises blanchissent l’argent des dictateurs, manipulent le Libor, le taux directeur de tous les taux, font… Bref, elle a transformé le Royaume-Uni en royaume par excellence des inégalités. »

Si les louanges ont fusé dans la City et à Wall Street à l’annonce de son décès, on peut comprendre qu’il s’en soit trouvé pour descendre dans la rue afin de souligner ce moment en arborant des pancartes où on pouvait lire : The Witch Is Dead !