Nouveau schéma de négociation dans l’industrie de la construction 

2013/04/17 | Par Maude Messier

Les négociations pour le renouvellement des conventions collectives régissant les conditions de travail des quelque 173 000 travailleurs de la construction ont débuté le 20 mars dernier, avec près de trois mois de retard sur le calendrier habituel.

« C’est le processus d’arbitrage pour l’adoption d’un protocole de négociation imposé par la loi 30 qui nous a retardé », déclare en entrevue à l’aut’journal Donald Fortin, directeur général du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction-International (CPQMCI), qui agit également à titre de porte-parole pour l’Alliance syndicale.

La Loi éliminant le placement syndical (Loi 30) a également modifié le processus de négociations des conventions collectives dans l’industrie de la construction, faisant en sorte qu’une entente de principe « doit être conclue par au moins trois associations représentatives à un degré de plus de 50% et par l'association sectorielle d'employeurs du secteur ».

Ainsi, la FTQ-Construction et le Conseil provincial, qui représentent près de 70 % de l’ensemble des travailleurs, ne peuvent ratifier seuls une entente. La loi requiert la présence d’un troisième joueur syndical.

Les cinq associations syndicales (FTQ-Construction, CPQMCI, CSN-Construction, CSD-Construction, Syndicat québécois de la construction) ont opté pour la formation d’une alliance syndicale. C’est sur la question des pouvoirs décisionnels à l’intérieur de l’alliance qu’il y a eu discorde.

« Nous avons donc eu recours à l’arbitrage, comme c’est prévu dans la loi », explique Donald Fortin. Les décisions se prendront selon le taux de représentativité de chaque association comme le veut la décision de l’arbitre et non pas selon la formule « une association, un vote», comme l’auraient souhaité certains syndicats.

L’Alliance syndicale a établi sa plateforme de revendications et la partie patronale a déjà fait connaitre certaines de ses demandes. Les pourparlers ont débuté le 20 mars dernier. « C’est évident que ce que nous voulons, c’est régler le plus rapidement possible. L’arbitrage s’étant conclu à la mi-février, nous avons déjà du retard sur le calendrier habituel, si je puis dire. »

L’urgence tient notamment au fait qu’il n’y a pas de rétroactivité dans l’industrie de la construction, un principe d’ailleurs réitéré par la Loi 30.

Les conventions collectives actuelles (par secteur d’activité : résidentiel, industriel, génie civil et voirie, institutionnel et commercial) viennent à échéance le 30 avril 2013. Si une entente survenait par exemple à la fin août, les salaires ne seraient pas rétroactifs au 1 mai, comme c’est généralement le cas.

« Nous sommes la seule industrie où il n’y a pas de rétro, ça favorise nettement la partie patronale qui gagne à laisser trainer les négociations. » M. Fortin soutient que, lors de la dernière ronde de négociations, les conditions salariales ne sont entrées en vigueur qu’au mois d’octobre, ce qui s’est traduit par une perte d’environ 100 millions $ pour les travailleurs en salaires et en avantages sociaux notamment.

Comme le temps presse, « nous avons déjà demandé l’intervention des médiateurs au dossier, dès le dépôt des demandes, à cause du retard pris. » Théoriquement, le droit de grève ou de lock-out sera acquis le 2 juillet 2013, en tenant compte des délais prévus par la loi.

L’instauration d’une prime compensatoire de 1$ de l’heure applicable sur les taux de salaire en vigueur si aucune entente n’est intervenue au terme de la convention collective fait d’ailleurs partie des revendications syndicales. « C’est effectivement une façon d’introduire un mécanisme pour éviter que les travailleurs ne subissent les contrecoups. »

Des hausses salariales de 3,7% pour la première année de la convention qui couvrira la période 2013- 2017, puis de 3% pour les années suivantes, sont réclamées par l’Alliance syndicale. Figurent aussi des demandes de bonifications pour les indemnités de vacances, les avantages sociaux, le fonds de pension, les équipements de sécurité et les différents frais liés au déplacement des travailleurs.

Une demande relative à la conciliation travail-famille pour permettre d’adapter l’horaire de travail de certains travailleurs afin de se coordonner avec l’horaire de la garderie de leur enfant retient l’attention.

Il est actuellement possible, sur un chantier, de modifier l’horaire de travail lorsqu’il y a entente entre l’employeur et l’association syndicale majoritaire sur les lieux, mais cette entente vise l’ensemble des travailleurs. « Cette clause est plutôt une ouverture pour permettre des ententes individuelles quand c’est possible, bien entendu. C’est une mesure qui pourrait contribuer à mieux intégrer les femmes à l’industrie. »

Mais les demandes patronales ne semblent pas être orientées dans cette perspective. Actuellement, l’horaire de travail normal si situe entre 6h30 et 17h, à raison de 8, 9 ou 10 heures par jour, 5 jours par semaine. La partie patronale demande d’élargir la plage horaire entre 5h30 et 19h et de pouvoir récupérer les heures perdues en raison d’intempéries à l’intérieur de la semaine normale et au taux de salaire régulier, même le samedi.

Ces demandes font bondir l’Alliance syndicale. « C’est carrément une fin de non recevoir pour nous. Ils veulent abolir le temps de présentation [une heure ou deux payées pour le déplacement lorsqu’un chantier doit être fermé en raison de la température], allonger les plages horaires et forcer notre monde à travailler le samedi, à taux simple plus! Ça revient à dire que la semaine de 40 heures s’étalerait sur six jours, sans compensation. »

Donald Fortin fait valoir qu’actuellement, le travail le samedi est occasionnel, volontaire et, surtout, rémunéré à temps double parce qu’il ne fait pas partie de la semaine normal de travail.

L’Association de la construction du Québec, agent négociateur patronal pour les secteurs institutionnel, commercial et industriel (IC-I), par la voix de sa négociatrice en chef, Lyne Marcoux, a indiqué dans une entrevue à Radio-Canada que « les 15 000 employeurs que nous représentons, ils n'ont pas la mentalité de dire: le client n'a qu'à payer. Au contraire. On est conscient que, depuis la crise économique, les Québécois ont investi beaucoup dans les infrastructures. Ça a profité à l'industrie de la construction. On a tout intérêt à être de plus en plus productif et à être capable de rendre une facture justifiable à nos clients. »

La partie patronale, pour le secteur IC-I, demande une hausse du ratio d’employés permanent des entreprises. Donald Fortin soutient que cette demande se traduit par une diminution du nombre d'ouvriers locaux qu'un entrepreneur doit embaucher lorsqu'il travaille dans une autre région. Pour favoriser le développement régional, l’industrie de la construction a pourtant toujours balisé la mobilité de la main-d’œuvre et éviter ainsi d’écarter les travailleurs locaux lorsqu’un chantier s’installe dans leur région.

Les négociations n’en sont qu’à leurs débuts, rappelle Donald Fortin. « Nous sommes au stade des explications. Nous laissons la chance aux tables de discuter. On avance lentement mais sûrement dans l’entonnoir, comme on dit. Nous évaluerons la situation régulièrement. »