Empreintes, au théâtre de La Chapelle

2013/04/30 | Par Julien Beauregard

Du 23 avril au 4 mai au théâtre de La Chapelle
Une production du Théâtre à corps perdus
Mise en scène de Geneviève L. Blais
Avec Paule Baillargeon, Kathleen Aubert, Eugénie Beaudry, Victoria Diamond, Isabelle Guérard, Nico Lagarde et Estelle Richard.


Ces jours-ci, la parole théâtrale s’exerce sous le chapeau de la confidence au La Chapelle. Elle régit une expérience expiatrice qui donne à représenter ce qui, bien souvent, est confinée intérieurement : avorter.

Le terme est puissant. On n’en parle pas à la légère. Contrairement à ce que croient certains bornés idéologiques, cela ne se fait pas sans heurt. Ça laisse justement des empreintes.

Geneviève L. Blais s’est engagée à percer le secret de cette expérience intérieure en présentant sept voix sur les planches du La Chapelle, chacune porteuse de sa propre histoire.

L’une d’elles sort du lot tant par son discours que par son interprète. Cela ne m’a pas pris beaucoup de temps avant de reconnaître les mots d’Annie Ernaux dans la bouche de Paule Baillargeon.

Dans l’autofiction L’événement, l’auteur racontait sa propre interruption de grossesse. C’était dans les années soixante, dans un contexte où les choix offerts s’imposaient avec l’énergie du désespoir.

Elle est parvenue à entrer en contact avec une «faiseuse d’ange», un euphémisme de la fonction de ces femmes qui pratiquaient clandestinement des interruptions de grossesse.

C’est non pas sans avoir réfléchi à la tristement fameuse solution des aiguilles à tricoter.

Les six autres femmes qui partagent la scène avec Paule Baillargeon parlent d’une expérience plus actuelle où on n’y risque plus sa vie et où on n’est plus des parias de l’État.

La pièce traverse différents lieux communs qui font figure d’étapes dans le parcours de ces femmes qui feront toutes le choix de ne pas garder l’enfant qui croît en elles.

Cela commence avec, par incrédulité, des menstruations qui tardent à arriver et aux symptômes qui se manifestent. S’ensuit la relation difficile avec le père ou un autre membre de la famille.

Inévitablement, la femme se retrouve avec elle-même. Au moment où elles sont forcées d’admettre leur condition, elles entament une réflexion qui aborde, entre autres choses, le sujet de la fertilité, de la féminité et de la famille.

Le ton n’est pas exclusivement tragique. Il est parfois nuancé, mélancolique et même comique. Chacune s’exprime à sa façon. L’une d’elles, interprétée par Kathleen Aubert, a 16 ans et parle avec le langage qui correspond à sa réalité.

Il y a aussi Victoria Diamond, une danseuse professionnelle qui entretient un rapport approfondi avec son corps. Dans son cas, l’essentiel de son expérience passe par l’expression dynamique du corps.

Estelle Richard joue une intervenante qui œuvre auprès d’un organisme d’aide aux femmes enceintes qui les aide dans leur choix d’avoir ou non un enfant. Sa réflexion a posteriori lui aura fait comprendre qu’une bonne part de l’avortement ne traverse pas les frontières de la conscience.

Geneviève L. Blais a composé sa pièce à partir de témoignages vivants qu’elle a recueillis en plus de ses lectures de L’événement d’Annie Ernaux ainsi que d’Expulsion de Luis de Miranda et Hélène Delmotte.

Si nous n’avons pu avoir qu’un aperçu de l’accablement des femmes qui font le choix d’interrompre leur grossesse, la pièce nous aura ouvert les yeux sur leur mélancolie et le deuil qu’elles traversent inévitablement.

Le théâtre à corps perdus porte la voix de ces réalités qui sont parfois hors d’atteinte. Avec Empreintes, il fait œuvre utile de sensibiliser au phénomène de ces femmes qui cultivent la maternité dans un jardin secret.