Soins à domicile : la CSN veut le retour des auxiliaires en santé et services sociaux

2013/05/15 | Par Maude Messier

« Nous n’avons rien contre le virage vers les soins à domicile, au contraire. Mais nous sommes contre les moyens et les façons que semble favoriser le ministre de la Santé. Il ne faut pas juste un encadrement public des soins à domicile, mais il faut que ce soit la communauté du réseau public de la santé qui assure la dispensation des services », explique le vice-président de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN, Guy Laurion.

Les modalités et les orientations du virage des soins à domicile, que le gouvernement péquiste souhaite amorcer, devraient être connues d’ici l’été, avec la publication du livre blanc.

La FSSS est préoccupée par la place qui sera accordée au privé dans cette refonte de l’offre des soins à domicile. Des inquiétudes qui émanent de certaines déclarations du ministre Hébert, notamment en ce qui concerne la dispensation d’une portion des soins.

« Le ministre a laissé entendre qu’une portion des soins, peut-être même une portion des soins d’hygiène, pourrait être dispensée par le privé ou les entreprise d’économie sociale,», affirme Guy Laurion, en entrevue à l’aut’journal.

Auparavant rattachées aux CLSC, les auxiliaires en santé et services sociaux (ASSS) assuraient toute une gamme de services et de soins à domicile : hygiène, bains, exercices reliés au plan de soins, repas, accompagnements, ménages, etc.

Depuis le début des années 1990, la portion domestique (ménages, repas, accompagnements) de ces services est progressivement passée entre les mains des entreprises d’économie sociale en aide domestique (EESAD), une tendance confirmée par le Sommet socio-économique sur l’emploi de 1996, avec la mise en place d’un montage financier permettant la création de milliers d’emplois dans les EESAD. Actuellement, la répartition des services dispensés par le réseau public et ce qui est concédé aux EESAD relève de la gestion des centres de santé et de services sociaux (CSSS).

Le vice-président de la FSSS fait valoir que le réseau public a délaissé, en quelque sorte, les soins domestiques essentiellement pour sauver des coûts, ce qui n’est pas sans conséquence sur la qualité des soins offerts à la population et sur l’organisation du travail à l’intérieur du réseau public.

Il explique que le mandat des auxiliaires a été restreint aux soins, dénaturant ainsi leur travail. « Leur présence dans le quotidien des patients faisait d’elles les yeux du réseau. Ce sont des professionnelles, elles assurent la progression du plan de soins, elles accompagnent les patients, font partie de l’équipe de professionnels. Leur rôle, au départ dans les CLSC, faisait d’elles des pivots entre le patient et le réseau. »

Avec la mise en place d’une refonte des services à domicile dans une perspective de maintien à domicile, Guy Laurion estime que leur rôle initial doit être restitué. « D’ailleurs, comment fait-on pour coordonner les équipes de soins avec la multiplication des intervenants et des entreprises privées? », questionne-t-il.



Conditions de travail inéquitables : le réseau public doit être imputable

L’ouverture à la dispensation d’une portion des soins domestiques par les EESAD soulève aussi des questionnements quant aux conditions de travail de celles qui y œuvrent, une responsabilité dont doit tenir compte le gouvernement, selon Guy Laurion.

« Ce n’est pas normal que le gouvernement entretienne des ghettos féminins d’emplois. Le réseau public doit être imputable des conditions de travail de ces travailleuses. »

Pour M. Laurion, les entreprises privées et les entreprises d’économie sociale, aussi sociale leur mission soit-elle, ont tout de même des objectifs de rentabilité à rencontrer. À cet effet, il y a deux pôles sur lesquels elles peuvent jouer : la qualité de services et des soins et les conditions de travail des employés.

« Ce sont très majoritairement des femmes qui travaillent dans les EESAD et leur salaire est considérablement plus bas que celui des auxiliaires dans le réseau public. Elles font peu d’heures, n’ont pas d’avantages sociaux, et leur travail est considéré comme un revenu d’appoint. »

À son avis, les services publics doivent garantir des soins de qualité, mais aussi des emplois de qualité. Les EESAD sont une forme de sous-traitance, subventionnée par l’État, qui se fait sur le dos des conditions de travail de ces femmes, confinées dans des ghettos d’emplois féminins peu rémunérés.

« Ce travail est celui des professionnelles du réseau de la santé, les auxiliaires. La totalité des soins à domicile doivent être rapatriés dans le réseau public, sans exception. On doit plutôt valoriser le travail global des auxiliaires et leur permettre de remplir le rôle. »

À défaut d’intégrer l’ensemble de la dispensation des services à domicile dans le réseau public, la solution alternative est la syndicalisation des employés des EESAD pour améliorer leurs conditions de travail.

M. Laurion précise toutefois que la FSSS n’a pas de campagne de syndicalisation en cours dans ce secteur, attendant de voir ce que la réforme du ministre Hébert amènera comme changements. Les employés de trois EESAD sont syndiqués à la FSSS.

« Couper dans les services publics génère une pression sur la communauté pour développer des offres de services. S’ensuit une pression pour des subventions de fonds publics pour financer ces services. C’est une roue qui tourne, il est temps qu’elle s’arrête. Si on souhaite mettre l’accent sur les soins à domicile, faisons-le correctement, pas uniquement pour sauver de l’argent. »



Inquiétudes partagées

Les détails du virage des soins à domicile, une priorité du ministre de la Santé, sont très attendus. Déjà, certaines organisations ont fait connaitre leurs inquiétudes. L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), tout comme la FSSS, sont préoccupés par le discours du ministre qui insiste sur les économies qui seront dégagées.

Les deux organisations font plutôt valoir que, si des économies à long terme sont probables, l’investissement « d’argent neuf » est absolument nécessaire pour assurer, dès le départ, l’accessibilité aux soins.

« On ne peut pas juste couper des places dans le CHSLD et penser que le reste va s’autofinancer, ça prend au moins un fonds de démarrage », de déclarer Guy Laurion.

De son côté, l’APTS rappelle qu’il y a déjà une pénurie de professionnels dans le réseau public, ce qui exerce une grande pression sur le personnel en poste. Rien de bon augure pour mettre en place une réforme qui pourrait commander d’importants changements structurels.

La semaine dernière, Québec Solidaire, dans une sortie conjointe avec la FSSS, déclarait voir d’un mauvais œil la prolifération des contrats pour des projets d’optimisation des services octroyés à des firmes conseils privées, alors que le réseau de la santé est perpétuellement en mode compression.

La firme Proaction, dont les méthodes controversées sont à l’origine de relations de travail tumultueuses et de nombreuses manifestations des employés, aurait reçu pour plus de 15 millions de dollars en contrats dans différents établissements de santé.

L’APTS a d’ailleurs lancé une pétition, parrainée par la députée solidaire Françoise David, réclamant un moratoire sur les projets d’optimisation pilotés par des firmes privées dans les établissements de santé.