La révolution bolivarienne peut-elle durer?

2013/05/21 | Par André Maltais

Au Venezuela, la révolution bolivarienne a failli bêtement prendre fin, le 14 avril dernier,  lors de l’élection présidentielle pour désigner un successeur à Hugo Chavez. Le candidat chaviste, Nicolas Maduro, l’a emporté avec à peine plus de 50% des voies.

En perdant 620 000 votes par rapport à ce qu’avait obtenu Chavez, à peine quatre mois auparavant, le chavisme est venu près de subir le sort du sandinisme nicaraguayen qui, en 1990, avait dû céder le pouvoir à la droite au lendemain d’une défaite électorale.

Pour sa part, le candidat défait, Henrique Capriles Radonsky, a fait ce que Washington attend de lui, en faisant semblant de ne pas reconnaître le résultat des élections et en invitant ses partisans à «évacuer leur rage» dans le rue.

Dès le lendemain, des éléments d’extrême-droite attaquaient violemment les symboles du chavisme (centres médicaux, logements sociaux, locaux du PSUV, etc.), tuaient onze de ses partisans, et en blessaient une soixantaine d’autres, lors d’événements qui n’étaient pas sans rappeler la nuit de cristal, pendant la montée du nazisme, en Allemagne.

Nous sommes en pleine guerre de quatrième génération, analyse le sociologue vénézuélien, Miguel Angel Contreras, une guerre à caractère cognitif, qui se déroule sur le terrain de la psyché des peuples. Depuis la mort d’Hugo Chavez et, durant toute la campagne électorale,  la droite et ses médias de communication avaient travaillé à miner le moral des chavistes.

Par tous les moyens, continue Contreras, on a semé le doute, l’inquiétude et la lassitude. On a prétendu que les chavistes désertaient en masse leurs propres rangs, on a saboté des usines, provoqué des pannes de courant électrique, des augmentations de prix et des pénuries alimentaires. On a piraté des réseaux informatiques, attisé la violence paramilitaire et inondé le pays de dollars parallèles.

L’opposition a voulu dissocier Nicolas Maduro d’Hugo Chavez, en attribuant au premier l’aggravation des problèmes du pays (inflation, insécurité, désapprovisionnements alimentaires et électriques, dévaluation de la monnaie, etc.) et en s’appropriant l’héritage du second, qu’elle a promis de défendre contre les politiques d’un Maduro, présenté comme faible, inexpérimenté et incapable.

Mais la révolution bolivarienne, écrit Marcela Cornejo, journaliste vénézuélienne pour Radio del Sur, n’est pas seulement menacée par ses ennemis extérieurs comme la droite vénézuélienne et les Etats-Unis. Elle l’est aussi par ceux de l’intérieur, représentés par une bureaucratie corrompue, inefficace et ne comprenant pas le cours que devrait suivre ce processus qui prétend construire le socialisme du 21e siècle.

Après 14 ans, écrit-elle, la révolution n’est pas parvenue à créer une masse critique de dirigeants qui comprend que le gouvernement n’est pas là pour générer des bénéfices personnels. Ces dirigeants, bâtisseurs désintéressés des communes et des conseils, des milices et des moyens de communication populaires, demeurent minoritaires à l’intérieur de la révolution.

Marcela Cornejo et Javier Biardeau, professeur de sociologie à l’Université centrale du Venezuela, s’inquiètent de constater la présence des idées et des stratégies de la bureaucratie, jusque dans l’entourage du nouveau président.

Comment expliquer autrement, demande Biardeau, que Maduro ait été si mal conseillé pendant la campagne électorale au point de se fier à d’étranges sondages qui, tous, lui accordaient un avantage de 12 à 20 points de pourcentage, et de n’aborder aucun des graves problèmes qui affectent le pays.

Comment expliquer autrement une dévaluation de 47% de la monnaie qui a directement affecté les bases d’appui de la révolution bolivarienne, alors que l’état de santé du président Chavez laissait clairement prévoir de nouvelles et prochaines élections?

Pour venir à bout de cette bureaucratie, croit l’économiste argentin, Claudio Katz, il faut une unité sans faille entre le gouvernement, les Forces armées nationales bolivariennes (FANB) et une population qu’on écoute et qu’on fait participer dans tous les espaces et formes de la vie sociale et politique.

Le pouvoir populaire, dit Katz, est la seule garantie de continuité du projet bolivarien face aux imprévisibles va-et-vient de la dispute électorale. Il l’est aussi pour conditionner le comportement des forces armées en situation critique.

Mais, jusqu’à maintenant, avec pas moins de dix-huit élections et référendums en quatorze ans, la révolution bolivarienne a consenti tellement d’énergie à cette dispute électorale, qu’elle en a plutôt oublié le reste.

Il est pourtant illusoire, croit Biardeau, de penser que le chavisme gagnera ses élections ad vitam aeternam, sans souffrir de fatigue ou d’usure. La tendance montre déjà une baisse dans le vote obtenu où, depuis 2007, les victoires se remportent par une marge moyenne de 3,4 points de pourcentage alors que, pour la période 1998-2006, cette marge était de 19 points.

Le socialisme ne peut émerger de la simple continuité des séquences électorales. La révolution, ajoute Biardeau, doit absolument concevoir une manière d’intégrer le suffrage périodique actuel à une future démocratie socialiste. Mais cela exige une rupture révolutionnaire qu’un gouvernement aussi surveillé que l’est celui du Venezuela ne peut accomplir sans s’appuyer fortement sur son peuple.

L’un des talons d’Achille de la révolution, déplore Katz, est, par exemple, l’absence d’un puissant mouvement de travailleurs organisé autour du projet révolutionnaire et articulé avec tout un ensemble de forces sociales (paysans, étudiants, peuples indigènes, professionnels, techniciens, scientifiques et militaires patriotes).

Il faut maintenant espérer, avance pour sa part le politologue argentin, Atilio Boron, que le gouvernement Maduro ne se laissera pas entraîner sur le terrain stérile de la polémique et de la discussion par les nombreuses provocations à venir de la droite.

Celle-ci cherchera à détourner le gouvernement des problèmes de la révolution pour, dans trois ans, à l’occasion d’un référendum révocatoire, cibler un président dont l’inefficacité sera manifeste.

Le gouvernement Maduro semble toutefois avoir passé avec succès son premier test. En ne tombant pas, après l’élection, dans le piège de la réouverture de toutes les boîtes de scrutin et du recomptage des votes, il a évité de prolonger l’incertitude autour du résultat électoral et de donner à Capriles et aux États-Unis le temps nécessaire pour provoquer d’autres actes de sabotage et de terrorisme.

De plus, en ne répliquant pas aux violences du lendemain du scrutin et en interdisant les autres rassemblements prévus par l’opposition, le gouvernement a fait preuve de calme et de fermeté.

Mais, en même temps que celui des Forces armées vénézuéliennes, l’appui décisif à Maduro est venu des membres de l’UNASUR qui, à la seule exception du Paraguay, ont encore montré l’isolement de Washington en Amérique du Sud et l’autonomie croissante de gouvernements comme celui de la Colombie qui ose négocier la paix avec ses guérillas internes.

Il est évident, nous dit le journaliste uruguayen, Raul Zibechi, que la stratégie déstabilisatrice ne convient à personne dans cette partie du monde et que même des gouvernements comme ceux du Chili et du Pérou ne suivent plus mécaniquement les politiques des États-Unis.

Les droites latino-américaines, conclut-il, font maintenant leur propre lecture de la réalité globale et jouent leurs propres cartes dans un monde où cinq des dix principales économies mondiales n’utilisent plus le dollar dans leurs échanges avec la Chine : la Russie, l’Inde, le Brésil mais aussi le Japon et l’Australie, deux importants alliés des États-Unis.