Quand M. Parizeau secoue le pommier fiscal

2013/05/24 | Par Sylvain Martin

La semaine dernière, Jacques Parizeau a publié deux articles dans Le Devoir concernant les finances publiques qui, comme d’habitude, ont suscité beaucoup de réactions.

Dans le premier article, M. Parizeau sert une mise en garde : « Ne surdramatisons pas la dette du Québec ». Dans le deuxième, il refait les calculs de la comptabilité gouvernementale pour arriver à ce constat : « Il n’y a pas de déficit, mais un surplus d’un milliard »!

Je trouve intéressant que M. Parizeau, tel un vieux sage, remette, à l’occasion, les choses en perspective, avec une méthode bien à lui, soit de faire, sans prétention, notre éducation sur les finances publiques avec des exemples clairs. Il nous force également à réfléchir et à envisager les choses d’une façon autre que celle dont nous abreuvent, presque quotidiennement, nos amis de la droite.

Cette fois-ci, dans ses articles, M. Parizeau nous démontre que, dépendant des règles comptables utilisées, l’ampleur du déficit peut se transformer en surplus! En le lisant, j’ai pensé à cette vieille blague : « Demandez à un comptable la somme de 2 et 2 et il vous chuchotera à l’oreille, combien veux-tu que ça fasse? »


Cesser de se faire peur


De l’exposé de M. Parizeau, je retiens avant tout sa conclusion : « Il faut cesser de se faire peur et se débarrasser de cette hantise comptable qui paralyse ».

La peur, c’est la clef de tout. Le déficit zéro, c’est le moyen de justifier les compressions budgétaires, les coupures dans les programmes sociaux et le désengagement de l’État.

Nos amis de la droite ne s’y sont pas trompés. Incapables de réfuter l’analyse comptable de Parizeau, ils changent d’épouvantails. Hier, ils comparaient la dette du Québec à celle de la Grèce. Parizeau démontre qu’elle est trois fois moindre. Aujourd’hui, ils se rabattent sur le montant des intérêts à payer!

M. Parizeau a beau ridiculiser les propos du ministre des Finances qui, il y a une dizaine d’années, déclarait : « Les huissiers sont à nos portes », ils continuent à présenter les marchés financiers comme des bonhommes sept-heures agitant à tour de bras la menace de la décote.


Tenir compte des actifs

Pour dégonfler l’ampleur de la dette, M. Parizeau nous invite à tenir compte des actifs. « C’est à peu près, écrit-il, comme si un individu, se présentant à sa banque pour établir son bilan financier, déclarait sa dette sur cartes de crédit et son hypothèque, mais pas le montant de ses dépôts bancaires ni l’évaluation de sa maison ».

Cela m’a rappelé les propos que me tenait ma conjointe la fin de semaine dernière. À l’urgence de l’hôpital où elle travaille, elle devait préparer une dame d’un certain âge à être hospitalisée à l’étage supérieur pour quelque temps, vu son état de santé. La première question que la dame lui a posée était : « Combien ça va coûter d’être hospitalisée? ». Ma conjointe l’a rassurée en lui disant à la blague : « C’est gratuit Madame si vous avez payé vos taxes et impôts. C’est gratuit, c’est à cela que sert cet argent! »

Notre système de santé, notre système d’éducation, notre réseau routier, les barrages d’Hydro-Québec, tout cela constitue des actifs qu’il faut comptabiliser et les déduire du passif pour obtenir la dette nette, nous dit M. Parizeau.

Ces actifs sont le résultat des impôts payés par des générations et des générations de Québécoises et de Québécois. Ils constituent notre patrimoine commun.

C’est un constat, une évidence, une donnée essentielle que cherchent à camoufler les pseudo-analystes économiques qui, à chaque mois de juin, nous disent avec exactitude à partir de quel jour de l’année « nous commençons à travailler pour nous et plus pour les impôts »!


Un surplus d’un milliard de dollars

En s’appuyant sur ses calculs pour affirmer : « Pas de déficit, mais un surplus d’un milliard », M. Parizeau trouve tout à fait injustifiées les coupures à l’aide sociale et dans les garderies, et il soutient même que « refuser de discuter de la gratuité à l’université, au nom des équilibres budgétaires, sous prétexte que ça coûterait un milliard, ne tient pas la route »!

J’aimerais bien, moi aussi, discuter de la gratuité à l’université. Et du financement de nos programmes sociaux. Je ne pense pas que la dette publique doit être prise à la légère, mais il ne faut pas en faire un dogme.

Il ne faut surtout pas laisser croire aux gens que les coupures sont la solution magique. Ne plus se payer collectivement, au moyen des impôts, les services de santé, l’éducation, les services de garde, l’assurance médicaments, les routes, les ponts ne fera pas disparaître comme par magie nos besoins d’aller à l’hôpital, d’éduquer nos enfants, d’entretenir notre réseau routier.

Si nous ne les payons pas par nos impôts, nous les paierons de notre poche. C’est ce dont se rappelait l’aînée dont me parlait ma conjointe. Elle est de cette génération où les familles de travailleurs devaient emprunter, ou même hypothéquer leur maison, lorsque la femme accouchait.


Porter attention à la colonne des revenus

Bien entendu, la façon dont les impôts et taxes sont dépensés doit être prise au sérieux et analysée pour éviter les dépenses inutiles. M. Parizeau ne dit pas autre chose. « L’examen des programmes devrait être fait périodiquement pour savoir s’ils sont efficaces et si on en a pour notre argent », écrit-il.

Je pense aussi que la colonne des revenus doit également attirer notre attention. S’assurer que tout le monde paie sa juste part d’impôt devrait être une préoccupation de nos gouvernements.

À cet égard, je constate qu’on parle de plus en plus de l’évasion fiscale. Reste à savoir si on va dépasser le discours et passer aux actes. Car, de l’avis général, c’est là que se trouve la solution aux déficits budgétaires et le règlement de la dette de nos États.


Du comptable à l’économiste

Dans la conclusion de ses deux articles, le comptable Parizeau cède la place à l’économiste Parizeau. Il écrit qu’il faut « se débarrasser de cette hantise comptable qui paralyse » pour aborder « les vrais problèmes économiques du Québec : sa croissance économique trop lente, la sérieuse détérioration de sa balance des échanges extérieurs, la faible productivité d’un trop grand nombre de ses entreprises, les insuffisances de la formation professionnelle et technique ».

Encore là, je suis d’accord avec lui. Mais j’ajouterais que le développement économique du Québec doit être accompagné d’une réelle politique de plein emploi, avec des conditions de travail décentes, et des lois qui protègent les travailleurs.

Ne jamais oublier que les travailleurs sont plus qu’une composante d’un système de production. Ils sont des citoyens qui méritent le respect et une sécurité physique, psychique et financière dans leur quotidien.

Sylvain Martin
Directeur des TCA-Québec