Livre blanc sur l’assurance autonomie

2013/06/03 | Par Jacques Fournier

L’auteur est organisateur communautaire retraité

Le Livre blanc sur l’assurance autonomie présenté par le ministre Réjean Hébert le 30 mai, sous un sympathique discours bien enrobé, ajoute en fait des obstacles à l’accessibilité et à la gratuité des services de soutien à domicile.

Actuellement, les personnes âgées en perte d’autonomie qui ont besoin de bains et de soins d’hygiène à la maison bénéficient des services gratuits des auxiliaires familiales et sociales des CLSC. Le Livre blanc propose que ces services soient dorénavant prodigués par les entreprises d’économie sociale en aide domestique, les EESAD.


Introduction d’une tarification

Or les services des EESAD ne sont pas gratuits, même si les taux horaires sont établis en fonction du revenu. Ils sont fournis par des personnes moins qualifiées que les auxiliaires familiales et sous-payées (1). Une partie d’entre elles vit même sous le seuil de la pauvreté.

Les EESAD devraient plutôt limiter leur mandat à l’entretien ménager, ce qui avait été convenu entre le gouvernement, le milieu syndical, le milieu coopératif, celui des affaires et une partie de la société civile, au Sommet socioéconomique de 1996.

Pour suivre ce dossier, il faut comprendre le jargon du ministère. Les AVQ, ce sont les activités de vie quotidienne : les bains, les soins d’hygiène, etc. actuellement donnés par les auxiliaires familiales des CSLC. Les AVD, ce sont les activités de vie domestique : entretien ménager, préparation de repas sans diète, etc.,  services dispensés par les EESAD.

Voici l’extrait précis du Livre blanc qui propose que les AVQ soient données principalement par les EESAD : « Les services d’assistance aux AVQ sont offerts principalement par les entreprises d’économie sociale en aide domestique (EESAD) ou par des organismes privés (résidences privées pour aînés) et, sur une base d’exception pour des cas particuliers, par le CSSS » (p. 25).

Et voici l’extrait qui refile la facture aux usagers : « De leur côté, les services d’assistance aux AVQ pourraient impliquer une contribution financière de la personne, alors que cette contribution est maintenue pour les services d’aide aux AVD. Cette participation tient compte de la fréquence et de l’intensité des services fournis et du revenu de la personne ou du ménage dans lequel elle vit. La contribution ne devrait pas constituer un obstacle au maintien de la condition de la personne et à l’accès aux services. »  (p. 24).

Je milite au sein d’une association de défense des droits des retraités et nous avons toujours constaté que, lorsque les taux horaires des EESAD augmentent, en ce qui concerne les services actuels d’entretien ménager, la clientèle se prive des services requis.

On peut penser que le même problème surgira si les bains, etc. sont tarifés. De plus, selon les témoignages des usagers, les auxiliaires familiales sont parmi les intervenantes les plus appréciées à domicile.


Personnes handicapées : menace « possible » sur la gratuité


Pire : le Livre blanc évoque la possibilité que les personnes handicapées, qui reçoivent actuellement des services gratuits en raison d’un Décret adopté en 1988, soient possiblement tenues de payer leurs services : « Pour les personnes handicapées, le gouvernement du Québec a reconnu en 1988 un principe visant la compensation des conséquences financières des limitations fonctionnelles dans la détermination de l’aide matérielle qui leur est accordée. Il est par ailleurs spécifié que cela doit se faire uniquement « pour les dépenses essentielles à l’intégration d’une personne handicapée, selon la solution la plus économique et des modalités précises ». Ces spécifications sont prises en compte dans la réflexion sur une possible contribution financière. » (p. 24) (c’est moi qui souligne).

Voilà maintenant qu’une épée de Damoclès est suspendue sur la tête des personnes handicapées, en attendant la décision finale du ministère.


Propositions


Voici, à titre personnel, quelques propositions pour bonifier de façon importante le projet d’assurance autonomie du ministre. Ce sont des mesures costaudes, seules susceptibles de donner des résultats favorisant un soutien à domicile réel.

1. Le respect du consensus de 1996

Lors du Sommet socioéconomique de 1996, il avait été convenu par les partenaires , concernant le chantier des EESAD,  de ne pas substituer les emplois décemment rémunérés du secteur public par des employés sous-payés dans l’économie sociale.

Les partenaires ne voulaient pas confondre la mission des CLSC (AVQ - soins à la personne via les auxiliaires familiales et sociales) et celle des EESAD (AVD - l’aide domestique au sens large).

L’existence du consensus de 1996 a été rigoureusement documentée par les chercheurs Yves Vaillancourt et Christian Jetté (2). Il faudrait que le ministre respecte ce consensus : le MSSS ne doit pas financer l’élargissement de la mission des EESAD mais se limiter à financer leur mission initiale, l’entretien ménager.

Le consensus de 1996 est-il désuet ? La lutte contre l’appauvrissement des femmes n’a-t-elle autant sa place en 2013 qu’en 1996 ?

2. Auxiliaires familiales et sociales des CLSC et activités de vie quotidienne (AVQ)

Les auxiliaires familiales et sociales des CLSC font un travail indispensable dans le soutien à domicile et elles sont directement en lien avec les autres membres de l’équipe. Il faudrait doubler, d’ici quatre ans, leur nombre.

Cette proposition implique que les AVQ doivent être accessibles gratuitement et continuer à être offertes directement par le réseau public.

En 2012, il y a dans le réseau 5032 postes équivalents temps complet (ETC) d’auxiliaires familiales et sociales (appelées maintenant par les technocrates : auxiliaires aux services de santé et sociaux - ASSS). Il en faudrait donc environ 5000 de plus.

3. Activités de vie domestique (AVD) et accessibilité des services  pour les plus démunis

La politique de financement et d’accessibilité de l’assurance autonomie devrait faire en sorte que les personnes âgées touchant une partie ou la totalité du supplément de revenu garanti (SRG) bénéficient d’une politique de gratuité totale des services des EESAD.

Il faudrait qu’elles jouissent d’une exonération totale de la tarification, compensée par la RAMQ (via le PEFSAD, le programme d’exonération financière des services d’aide à domicile).

Cette proposition implique que les AVD continuent à être offertes par les EESAD et soient accessibles gratuitement aux plus démunis.

4. Activités de vie domestique (AVD)  et accessibilité des services pour la classe moyenne

La politique de financement et d’accessibilité de l’assurance autonomie devrait faire en sorte que les personnes âgées de la classe moyenne ne soient pas contraintes de se priver des services requis par leur état. Cette proposition implique que les AVD continuent à être offertes par les EESAD et soient accessibles à un coût raisonnable pour la classe moyenne.

Les propositions 3 et 4 pourraient entraîner un développement important des EESAD dans leur champ propre des AVD. En favorisant l’accessibilité, on dispense davantage de services et on crée des emplois : il y a actuellement 6700 employées dans les EESAD, tous titres d’emplois confondus.

5. Salaires décents pour les femmes, peu importe le dispensateur de services

Pour assurer des services de qualité, dispensé par du personnel dont le taux de rotation n’est pas trop élevé, parce que tout travail mérite un salaire digne et parce qu’il faut éviter la création de ghettos d’emplois féminins sous-payés, il faudrait que, dans le cadre des politiques ministérielles, aucune employée d’une ressource intermédiaire, d’une EESAD ou d’une entreprise privée concernée par l’assurance autonomie ne touche un salaire qui la place sous le seuil de la pauvreté, soit un salaire horaire inférieur à 11, 37 $ (indexé annuellement). Le salaire minimum est actuellement de 10,15 $ (3).

La faible rémunération est un des facteurs qui expliquent le taux de rotation élevé du personnel dans les EESAD de la région de Montréal, qui est de 50 % annuellement. Il est moindre dans les autres régions. On constate que les employées des EESAD, sous-payées, se trouvent, par exemple, un emploi syndiqué dans un hôtel (en entretien ménager, secteur où les EESAD les ont formées) dès qu’elles en ont la possibilité.
 
Mesures costaudes, oui, mais sans cela, le projet d’assurance autonomie, ce sera de belles paroles.

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(1) Louise Boivin, Assurance autonomie - La persistance de la dévalorisation du travail des femmes, Le Devoir, 30 avril 2013.

(2) Yves Vaillancourt et Christian Jetté, avec la collaboration de Philippe Leclerc, Les arrangements institutionnels entre l’État québécois et les EESAD, Une analyse sociopolitique de l’économie sociale dans les services de soutien à domicile, Éditions Vie économique, 2009, 178 pp.

(3) Blogue de Gérald Filion, Repenser le salaire minimum ? 1er mai 2013