Non à la protection des investissements étrangers

2013/06/06 | Par Collectif d’auteurs

L’accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Union européenne soulève plusieurs controverses. Sommes-nous prêts à accepter une augmentation du coût des médicaments parce que la durée des brevets sera prolongée dans l’AÉCG? Doit-on offrir nos marchés publics à la concurrence des grandes entreprises européennes? Est-il approprié de diminuer la protection offerte par la gestion de l’offre en agriculture? Est-il justifié de négocier la culture à la pièce, chapitre par chapitre?

Mais c’est sans aucun doute le chapitre portant sur la protection des investissements qui est l’un des plus inquiétants de l’AÉCG. Calqué sur le modèle du chapitre 11 de l’ALÉNA, il permet aux investisseurs étrangers de poursuivre les gouvernements si ceux-ci, par des réglementations ou des décisions politiques, empêchent la réalisation de profits espérés.

Les cas de litige sont portés devant des tribunaux privés qui délibèrent derrière des portes closes. Les entreprises profitent ainsi d’une justice parallèle qui n’a pas de compte à rendre aux populations.

En 2010, le chercheur Scott Sinclair relevait 66 poursuites contre le gouvernement du Canada dans le cadre de l’ALÉNA. La plus coûteuse a été celle d’AbitibiBowater, une compagnie canadienne qui a poursuivi son propre gouvernement à partir d’un siège social dans le paradis fiscal du Delaware. Notre gouvernement a dû débourser 130 millions $ à la compagnie.

Aujourd’hui, Lone Pine Ressources envisage de poursuivre Ottawa pour plus de 250 millions $, parce que son permis d’exploitation du gaz de schiste a été annulé à la suite du moratoire sur la fracturation hydraulique imposé par le gouvernement du Québec.
   
Les poursuites demeurent l’aspect le plus visible de la protection des investissements étrangers. Cette disposition donne un grand pouvoir de négociations aux lobbyistes qui peuvent se servir de la menace d’une poursuite pour dissuader un gouvernement d’adopter une mesure jugée dispendieuse de protection de l’environnement ou d’amélioration de la sécurité des travailleurs. Le gouvernement canadien le reconnaît d’ailleurs formellement : «il se pourrait que les gouvernements s’abstiennent tout simplement de proposer des règlements par crainte de poursuites», peut-on lire dans le site Web consacré à l’ALÉNA.
   
Pierre-Marc Johnson, négociateur en chef du Québec pour l’AÉCG et Jean-François Lisée, ministre des Relations internationales, de la Francophonie et du commerce extérieur, prétendent que la protection des investisseurs étrangers est une nécessité et qu’il faut l’adopter puisqu’elle se retrouve dans la plupart des accords de libre-échange.

Pourtant, le Canada comme l’Europe profitent d’un système judiciaire efficace qui assure aux entreprises toutes les protections nécessaires. Un système parallèle et coûteux n’a certes pas à être mis en place.

De plus, la protection des investisseurs soulève une opposition très vive à travers le monde. Cette protection est à sens unique puisque les entreprises n’ont quant à elles, dans les accords de libre-échange, ni obligations ni responsabilités légales. De plus en plus de pays reconnaissent que les poursuites sont coûteuses, qu’elles sont une atteinte directe à leur souveraineté, qu’elles les empêchent de légiférer dans l’intérêt public.

L’Australie ne négocie plus d’entente sur la protection des investissements étrangers dans les accords de libre-échange. L’Inde et l’Afrique du Sud émettent aussi de sérieuses réserves. Douze pays d’Amérique latine, dont l’Argentine, le Mexique, l’Équateur, ont formé le 2 mai dernier un front pour s’attaquer aux effets dévastateurs de ces ententes.

Cette résistance rappelle celle contre l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) à la fin des années 1990 qui avait permis de bloquer ce projet inquiétant qui voulait assurer la protection des investissements étrangers sans débat et de façon multilatérale.
   
Il nous paraît donc essentiel que le Québec refuse qu’un chapitre sur la protection des investissements étrangers soit inclus dans l’AÉCG. Les menaces pour notre souveraineté y sont trop grandes. Que cette mesure soit défendue par un parti souverainiste nous semble d’autant plus contradictoire que ce sont les décisions souveraines des gouvernements qui sont remises en cause par les poursuites investisseur-État.

Michel Arseneault, président de la FTQ
Claude Béland, président du MDCQ
Louise Chabot, présidente de la CSQ
Gaétan Chateauneuf, président du CCMM
Alexa Conradi, présidente de la FFQ
Pierre Curzi
Carolle Dubé, présidente de l’APTS
Bernard Émond, cinéaste
Denis Labelle, président de l’AQOCI
Régine Laurent, présidente de la FIQ
Robert Laplante, directeur de l’IREC
Jacques Létourneau, président de la CSN
Dominique Peschard, président de la Ligue des droits et libertés
Richard Séguin
Pierre-Yves Serinet, coordonnateur du RQIC
Claude Vaillancourt, président d’ATTAC-Québec
François Vaudreuil, président de la CSD
Laure Waridel, sociologue, cofondatrice d’Équiterre