Avec C-525, Harper veut rabaisser les travailleurs au rang d’outils de production

2013/06/14 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur des TCA-Québec

La semaine dernière, dans mon éditorial, j’affirmais qu’il y avait, non seulement une mondialisation des marchés, mais également une mondialisation du discours de la droite et des attaques contre les syndicats, et que ceux-ci constituent le dernier rempart face à une économie de marché débridée.

Au moment même où j’écrivais ces lignes, une autre attaque contre les syndicats au Canada était en marche. Le député d’arrière-ban Blaine Calkins de l’Alberta (quelle surprise!) a déposé un projet de loi d’initiative privée.

Ce projet de loi C-525 vise à modifier le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et la Loi sur les relations de travail au Parlement, en ce qui concerne l’accréditation et la révocation d’un syndicat.


Le projet de loi C-525


Voici un résumé des modifications demandées dans le projet de loi.

Actuellement, si entre 35 % et 50 % des travailleurs d’une entreprise signent une carte d’adhésion et payent leur droit d’adhésion au syndicat, un vote secret, supervisé par le Conseil canadien des relations industrielles, peut être tenu pour vérifier la volonté des salariés d’adhérer au syndicat.

Si le nouveau projet de loi est adopté, le pourcentage requis sera porté entre 45 % et 50 %.

De plus, lors d’un vote pour l’obtention d’une accréditation syndicale, le syndicat devra recueillir plus de 50 % des votes du total des salariés visés. Donc, tous les salariés qui ne votent pas seront réputés être contre la syndicalisation.

Il en sera de même pour la révocation du syndicat. Si 45 % des salariés demandent un vote de révocation du syndicat, le syndicat devrait obtenir plus de 50 % du vote de tous les salariés visés par l’accréditation. Tous les salariés qui ne voteront pas seront réputés avoir voté en faveur de la révocation du syndicat!


La démocratie, version Harper


En réaction à ce projet de loi, Ken Lewenza, notre président national, a écrit avec raison, dans le communiqué de presse des TCA, qu’avec une telle formule de calcul, aucun député conservateur n’aurait été élu aux dernières élections! Aucun d’entre eux n’a obtenu plus de 50 % des votes du total des citoyens en âge de voter dans sa circonscription.

Faut-il rappeler que le gouvernement Harper n’a jamais fait mention, lors de la campagne électorale, de son intention de changer les règles du jeu pour ce qui est de l’accréditation et de la révocation des associations syndicales?

Donc, il serait tout à fait normal que M. Harper, s’il était conséquent avec lui-même, demande à ses députés de voter contre le projet de loi privé, puisque rien, depuis le 2 mai 2011, ne justifie un tel changement aux règles du jeu!

Mais nous savons tous que M. Harper agit selon ses propres règles et que leur dénominateur commun est l’antisyndicalisme.

Nous l’avons vu avec le projet de loi C-377 sur la soi-disant « transparence syndicale » et les lois spéciales forçant le retour au travail de travailleurs (Postes Canada, Air Canada) parce qu’ils avaient osé utiliser leur droit de grève.


La violation des droits syndicaux, un phénomène mondial


La Confédération syndicale internationale (CSI), qui représente 175 millions de travailleurs à travers 315 organisations affiliées dans 156 pays, vient de publier un nouveau rapport sur les violations des droits syndicaux.

On peut y lire que « les taux de chômage et les inégalités de revenus ne cessent de s’accroître à l’échelle mondiale. Les syndicalistes continuent de lutter pour défendre les emplois, les droits et l’égalité. En raison de cette lutte, dans de nombreux cas, ils perdent leur emploi, voire la vie, dans diverses régions du monde ».

Le rapport révèle des faits saillants dans 87 pays. Dans plus de la moitié des pays examinés, des travailleurs ont été licenciés ou soumis à une discrimination en raison de leur affiliation à un syndicat.

Le rapport comporte des informations détaillées sur la violence physique exercée à l’encontre de syndicalistes, pour avoir mené des activités syndicales dans 24 pays.

À titre d’exemple, 18 syndicalistes ont été assassinés en Colombie en 2012 et au moins déjà quatre cette année. Le Guatemala est devenu le pays le plus dangereux du monde pour les syndicalistes. Depuis 2007, au moins 53 dirigeants et représentants syndicaux ont été tués.


La répression syndicale au Canada


Ici, au Canada, la répression s’exerce autrement. Jusqu’ici, on cherchait principalement à limiter l’exercice des droits syndicaux. Maintenant, on passe à une étape supérieure en s’attaquant à l’existence même des syndicats.

Le projet de loi C-377 sur la « transparence » syndicale, dont on prédit l’adoption avant le congrès du Parti conservateur à la fin du mois de juin, vise à mobiliser éventuellement l’opinion publique, par le biais des médias antisyndicaux, contre toutes les dépenses syndicales, qui ne se limiteraient pas à la simple négociation de la convention collective ou au règlement des griefs.

Le projet de loi C-525 rendra quasiment impossible la syndicalisation de travailleurs, dont l’emploi relève du Code canadien du travail. Aux États-Unis où cette réglementation est en vigueur, le taux de syndicalisation a chuté de 35 % à environ 11 % en une trentaine d’années.

Une rumeur de plus en plus persistante veut que le prochain volet de l’attaque du gouvernement Harper contre les droits syndicaux soit l’abolition de la formule Rand pour les employés assujettis au Code fédéral du travail.

Encore une fois, Stephen Harper trouve son inspiration chez la droite républicaine américaine. L’État du Michigan, qui était le berceau du syndicalisme américain, vient d’abolir la formule Rand. Il rejoint les rangs, avec 23 autres États américains, des « Right-to-Work States ».

Ce modèle était autrefois cantonné aux États du sud des États-Unis. Il est maintenant à la frontière canadienne.


Rabaisser les travailleurs au rang d’outils de production

Revenons sur le projet de loi C-525. Présentement, la loi garantit, à ceux qui signent une carte d’adhésion à un syndicat, l’anonymat et une protection contre les menaces ou mesures disciplinaires pour le simple fait d’avoir voulu adhérer à un syndicat.

Avec le système proposé par C-525, un vote secret serait exigé à une date connue de l’employeur. Il aura toute la latitude voulue pour intimider les travailleurs avant la tenue du vote et contrecarrer la syndicalisation.

L’exemple américain le prouve, il deviendra extrêmement difficile, voire impossible, pour les travailleurs de se regrouper, de former une force collective, afin d’améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille.

À mon avis, vouloir délibérément empêcher des travailleurs de s’unir et s’assurer qu’ils demeurent divisés entre eux est une forme grave de violence. C’est rabaisser les travailleurs au rang de simples outils de production, plutôt que de les considérer comme des êtres humains qui méritent le respect.

Le taux de chômage élevé, les inégalités sociales, les attaques contre les travailleurs en les menaçant de pertes d’emploi s’ils n’acceptent pas les concessions demandées par leur employeur, rendent de plus en plus nécessaire le regroupement des salariés en une force collective.

Nous, leaders syndicaux, avons la responsabilité de résister aux attaques du patronat. Les gouvernements, eux, ont à s’assurer que l’équilibre des forces entre les deux parties soit maintenu.

En 1976, le gouvernement de René Lévesque, en rendant obligatoire la formule Rand et en adoptant la loi « anti-scab », avait ce souci d’équilibre des forces. Après un conflit de plus de deux ans à la United Aircraft, René Lévesque savait bien que les travailleurs, même avec l’extraordinaire solidarité qui s’était alors exprimée, ne faisaient pas le poids devant des multinationales au pouvoir économique énorme.

Aujourd’hui, Harper et ses amis de la droite et du patronat tentent de nous ramener 40 ans en arrière. Leur objectif est clair : rabaisser les travailleurs au rang d’outils de production.