Selon les syndicalistes belges, le renouveau syndical passe par une solution politique

2013/06/14 | Par Pierre Dubuc

« Nous avons fait le constat des limites de notre rapport de force et du faible niveau de prise de conscience de la population des principaux enjeux sociaux et politiques, de nous expliquer Nico Cué, le secrétaire général de la fédération Métallurgie Wallonie-Bruxelles (MWB), membre de la Fédération générale des travailleurs de Belgique (FGTB). C’est pour cela que nous avons mis sur pied Acteurs des temps présents. »

Au cours de leur récente visite au Québec, nous avons eu l’occasion d’échanger avec les membres de la délégation wallonne sur la situation syndicale et politique de nos pays respectifs. En Belgique, comme au Québec et ailleurs dans le monde, le thème du « renouveau syndical » est à l’ordre du jour.

« Dans le secteur de la métallurgie, des milliers de mises à pied sont annoncés. Le choc est énorme. Il est évident, par exemple, qu’Arcelor Mittal, un des principaux employeurs, veut fermer toutes ses installations en Europe », précise Nico Cué.

L’offensive patronale ne se limite pas au secteur de la métallurgie. Elle est généralisée contre l’ensemble du mouvement syndical. Après s’être attaqué à la sécurité sociale en 1993, aux salaires en 1996, le gouvernement et le patronat ont aujourd’hui dans leur mire les régimes de retraite.

Là-bas, comme ici, c’est le chantage à la dette. Il y a trente ans, elle représentait 137 % du P.I.B. de la Belgique. Par suite de la révolution conservatrice et son cortège d’énormes compressions budgétaires, elle fut abaissée à seulement 84% du P.I.B. « Mais cela n’a pas empêché de continuer à s’en servir comme d’un épouvantail », nous expliquent les syndicalistes belges.

Le taux est remonté à 99,7% aujourd’hui, conséquence de la crise de 2008. « C’est parce qu’on a refinancé les banques. En quelques mois, la Banque centrale européenne a prêté aux banques 1 130 milliards d’euros. Elle prête aux banques à un taux de 0,75% et celles-ci prêtent à leur tour aux gouvernements à des taux beaucoup plus élevés », s’indigne Nico Cué.

L’exemple le plus probant de cette mystification et de cette duperie est, selon nos amis belges, le Luxembourg. « Le pays a un taux d’endettement d’à peine 15% et un déficit quasi nul. Malgré tout, le gouvernement a imposé un plan de compressions budgétaires! »

En Belgique, la crise sociale se double d’une crise politique à saveur nationale avec la paralysie des institutions suite à l’incapacité des partis politiques de la Wallonie et de la Flandre de former un gouvernement. Le pays a été pendant 540 jours sans gouvernement!

 La Belgique compte 11 millions d’habitants. Les néerlandophones représentent de 57 à 60% de la population et les francophones de 40 à 43%. Les chiffres ne sont pas plus précis parce que les recensements linguistiques sont interdits en Belgique.

Pendant longtemps, la Wallonie était plus prospère que la Flandre, mais la situation s’est inversée au cours des dernières décennies. Le taux de chômage en témoigne. Il est de 7% en Flandre et de 12% en Wallonie, avec des pointes à 20% dans certaines régions, comme Liège.

D’abord pays unitaire, la Belgique est devenue en 1993 un État fédéral. Depuis, les Flamands ont demandé la régionalisation de tout ce qui pouvait l’être. Une 7e réforme de l’État est annoncée et, selon les syndicalistes belges, il ne restera plus bientôt au gouvernement central que la police, l’armée, les affaires étrangères et la sécurité sociale.

La fracture nationale de la Belgique se reflète dans le mouvement syndical. Les syndicats néerlandophones se reconnaissent davantage dans l’approche « syndicalisme de cogestion » du puissant syndicat IG Metall allemand, alors que les syndicats de la MWB tissent plutôt des liens avec la CGT française et d’autres syndicats européens dont l’inspiration est le « syndicalisme de combat ». « Ce sont deux logiques de pensée », admettent-ils.

En fait, on trouve, dans le mouvement syndical, l’opposition entre l’Europe du Nord plus riche, avec comme pays dominant l’Allemagne, et l’Europe du Sud, ravagée par la crise économique.

Malgré un taux de syndicalisation de 60%, le rapport de force demeure défavorable au mouvement syndical en Belgique. Aussi, le syndicat de la métallurgie MWB a décidé de mettre sur pied « Acteurs des temps présents », dont le slogan affirme avec force que « le but de la société est le bonheur commun ».

L’objectif est de créer un cadre de débats, de discussion et de réflexion et la mise en place de réseaux avec les acteurs de la société, susceptibles de s’engager avec les syndicalistes dans une démarche de changement social.

Au mois d’octobre prochain, auront lieu, dans différentes villes de la Belgique, des colloques réunissant des panélistes représentant, en plus des syndicalistes, les agriculteurs, les artistes, les universitaires, les jeunes et les étudiants. Ils feront connaître leurs points de vue sur l’environnement, les finances, les services publics, l’industrie et l’emploi.

L’objectif est de rapprocher ces différentes composantes, de bâtir des solidarités  et de dégager des consensus sur les actions à prendre. Nico Cué rappelle que les grands changements sociaux en Belgique ont toujours été l’œuvre de ces groupes.

Bien entendu, Nico Cué et ses camarades sont conscients que la question politique va se poser. Présentement, la Belgique est dirigée par un gouvernement socialiste, mais qui, selon nos interlocuteurs, « fonctionne selon une logique néolibérale ».

Que faire alors?, se demandent-ils. Faut-il toujours considérer le Parti socialiste comme un partenaire privilégié? Faut-il créer un autre parti à la gauche du Parti socialiste? Ou faut-il se limiter à créer les conditions pour l’émergence d’une alternative?

Cette remise en question, on le voit, ne nous est pas étranger au Québec.

Nos camarades belges surveillent évidemment de près l’évolution de la situation de la France voisine, tout comme nous suivons de près les développements dans le monde syndical et politique au Canada anglais et aux États-Unis.

La performance du gouvernement français les déçoit. Selon eux, le quinquennat du gouvernement Hollande s’est joué lors de la fermeture des installations d’Arcelor Mittal à Florange, une commune française située dans le département de la Moselle en Lorraine

Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, avait proposé la nationalisation des installations d’Arcellor Mittal, le temps que le gouvernement trouve un repreneur. Selon les syndicalistes de MWB, qui entretiennent des liens serrés avec le syndicat français de Florange, un tel repreneur s’était fait connaître, mais le premier ministre Jean-Marc Ayrault aurait opposé une fin de non-recevoir brutale à cette solution, malgré une certaine ouverture du côté du président François Hollande.
Avec un taux de chômage supérieur à 10%, un taux d’insatisfaction record de la présidence de François Hollande qui frôle les 75%, les tensions au sein du gouvernement français sont aujourd’hui de notoriété publique et alimentent la machine à rumeurs.

Les syndicalistes belges suivent cette situation de près, tout comme la performance du Front de gauche, dirigé par Jean-Luc Mélenchon.  Rappelons  le parcours de ce dernier. Il a fait partie de l’aile gauche du Parti socialiste jusqu’en novembre 2008. Il a alors fondé le Parti de gauche et a été le candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle de 2012, où il est arrivé quatrième avec un score de 11,10% des voix.

Pour le second tour, il a demandé à ses électeurs de voter « sans condition » et « sans demander rien en échange » pour le candidat du Parti socialiste François Hollande.

De nos discussions avec les syndicalistes belges, qui affrontent en Europe une crise pire que celle que nous connaissons au Québec et au Canada, il ressort que les syndicats constituent le dernier rempart face à l’offensive de la droite et qu’ils ont l’énorme responsabilité d’être les initiateurs d’une solution politique à la crise.

Vu de leur perspective, le renouveau syndical n’est pas une entreprise autocentrée sur son mode de fonctionnement interne, mais une démarche pour que les syndicats soient des « acteurs des temps présents ».