Mégantic : trains ou pipelines ? Un débat fallacieux

2013/07/25 | Par Martin Lachapelle

Impossible de passer sous silence que La Presse a récupéré la catastrophe de Lac-Mégantic, en promouvant encore une fois les intérêts économiques et politiques des patrons de l’Empire Desmarais. Et au diable l’éthique journalistique et les conflits d’intérêts !

Tellement risible et pathétique de voir les Vincent Marissal, André Pratte et Cie éviter le virage vert et critiquer la dangerosité évidente du transport de pétrole par train non sécuritaire, pour mieux nous vendre les projets de construction ou d’inversion de pipelines pourtant aussi risqués !

Et sans jamais mentionner que les grands patrons du Journal sont directement concernés en étant, comme par hasard, de gros actionnaires d’une compagnie pétrolière présente en Alberta : Total, associée avec Suncor, propriétaire de la raffinerie à Montréal. Un détail. http://www.droit-inc.com/article4963-Le-deal-Total-Suncor-deux-cabinets-...

Être un journal d’allégeance libérale et blâmer la gestion des conservateurs en matière de sécurité ferroviaire, sans mentionner que les libéraux en poste à Ottawa entre 1995 et 2006 ont aussi péché par négligence et incompétence en ignorant les recommandations du BST ? Un autre détail.

Être un journal ultra-fédéraliste forcé de constater et de critiquer, mollement et du bout des lèvres, « L’incompétence fédérale » chronique en termes de gestion de crise, en vantant le Québec pour son habileté (à devoir toujours se démerder sans un gouvernement fédéral inutile que La Presse s’entête à vouloir garder), mais en omettant de mentionner que le Québec devrait au moins se faire accorder la compétence et le portefeuille des Transports, ainsi que tout l’argent qu’Ottawa lui doit pour 3 catastrophes antérieures datant de seulement 2 à 17 ans (Saguenay, verglas, rivière Richelieu) ? Que des détails. Soyez patients. Ô Cas Nada.

Autre détail risible, être un journal néolibéral ayant toujours fait la promotion des intérêts du Conseil du patronat et s’étonner, comme Vincent Marissal, de voir les dégâts causés par l’autorégulation et la trop grande complaisance gouvernementale envers le secteur privé.

Surtout quand on sait que ce n’est pas demain la veille que La Presse fera la promotion de la fonction publique et d’une plus grande présence de l’État. Et le plus drôle dans tout ça, c’est qu’André Pratte a demandé à ce que des voies de contournement soient construites (bravo André !)… mais aux frais du gouvernement. Et non aux frais des industries ferroviaires et pétrolières. Un chausson pour MMA et Irving Oil ou Total, avec ça ?


La couverture médiatique de ICI / Radio-gesCa-nada / RDI /

Quelques mots sur la couverture du déraillement de Lac-Mégantic par « notre » chaîne d’informations publique. Non, pas Télé-Québec. Télé-Québec n’a pas le droit d’informer.  Voilà une autre compétence réservée à Ottawa et aux entreprises privées. Je parle d’ICI / Radio-gesCa-nada / RDI qui, à défaut de pouvoir cloner l’excellent Michel Viens, devrait peut-être s’abstenir d’envoyer le sympathique joufflu Louis Lemieux et son TON de fanfaron, lors d’une tragédie, pour faire des blagues sur le terrain, entre deux pubs de l’émission On prend toujours un train pour la vie… Pas fort.

Aussi brillant que de couper le sifflet de la courageuse mairesse en interrompant l’annonce de la mise en demeure de la ville de Lac-Mégantic contre MMA, juste pour céder l’antenne à la première apparition publique du bébé royal.

Rendu là, je ne suis pas surpris de voir que « notre » gaga de diffuseur apparemment public juge encore normal de continuer à inviter des journalistes du privé comme ceux de Gesca pour commenter les dossiers d’actualité politique.

Remarquez que ça donne souvent des moments amusants. Comme lorsque Vincent Marissal, subtil partisan des pipelines, a critiqué le fait que le train de Lac-Mégantic transportait du pétrole de schiste provenant du Dakota du Nord vers le Nouveau-Brunswick :

« On sert de transit pour du pétrole qu’on ne consomme même pas », a déclaré Marissal lors de la Période de questions, diffusée le 12 juillet dernier.

Mais ce même Marissal, au lieu de parler d’électrification des transports, est pourtant en faveur des pipelines alors que les projets d’oléoducs d’Enbridge et de Trans-Canada serviront principalement à transiter du pétrole vers les marchés étrangers et donc à enrichir les compagnies pétrolières. Puisque les quelques 1 200 000 barils de pétrole sale albertain qu’ils apporteront chaque jour au Québec équivalent à environ 3 fois nos besoins quotidiens. Sans compter le pétrole par train, qui ne diminuera pas, avec ou sans pipeline.  

Remarquez que le journaliste de La Presse a posé plusieurs questions pertinentes dans son article Un train de questions. C’est juste dommage que ses préoccupations en termes de sécurité soient limitées aux irrégularités du transport ferroviaire. Car son pipeline de questions sur la dangerosité des oléoducs est étonnamment à sec.

Or, si les pipelines explosent évidemment moins fréquemment que les wagons-citernes, ils ne coulent certainement pas moins souvent ni moins longtemps pour autant. En Alberta, on parle d’une moyenne d’au moins 300 fuites par année. Et pas juste les vieux de 40 ans : même des pipelines récents âgés de seulement 5 ans.

Les fuites de pipelines sont, en moyenne, également 3 fois plus importantes que celles par train. Et les pipelines traversent, eux aussi, des zones habitées, des terres agricoles et des sources d’eau potable. Avec pour résultats, de beaux gros dégâts. Pensons aux 28 millions de litres déversés, entre 2006 et 2012, dans l’enfer des sables bitumineux, en Alberta. Et pensons à St-Césaire, en 1950 et 1999. Ou à la rivière Kalamazoo, en 2010, aux USA. 3 ans plus tard, la facture du nettoyage non complété de ce déversement de 3,7 millions de litres d’un pipeline d’Enbridge s’élève maintenant à plus d’un milliard.

Dernière gifle méritée : à la direction du Parti Québécois. Bonne gestion de crise, mais encore des problèmes de cohérence et de communications. Un peu déplacé et incohérent d’être toujours aussi ouvert à l’idée de devenir des « partenaires de l’industrie pétrolière » et ses pipelines percés, après une telle catastrophe.

D’autant plus quand on parle, d’un autre côté, du projet d’électrification des transports qu’un certain Daniel Breton et son trio de spécialistes comprenant Pierre Langlois, un physicien auteur de l’excellent livre Rouler sans pétrole, ne demandent pas mieux que de pouvoir enclencher à vitesse grand V. Alors, le pétrole ou l’électricité ? Il serait peut-être temps de se brancher…

D’ici là, en attendant que Moteur-Québec voit le jour, au profit de l’environnement, de l’indépendance énergétique et de l’enrichissement collectif du peuple québécois, j’y penserais 5,7 millions de fois avant d’imprimer les T-shirts « Le PQ dit OUI… au pétrole de schiste d’Anticosti ». Soyons logique, commençons plutôt par essayer de vendre celui qu’on a au Lac-Mégantic…Y’en a en masse à pomper.