Une langue dans le vinaigre

2013/08/27 | Par Michel Rioux

N’eût été d’un éditorial de Josée Boileau dans Le Devoir, un jugement de la Cour suprême, tombé en pleine torpeur estivale, serait passé inaperçu, échappant de la sorte à notre attention. Un jugement signé par le juge Richard Wagner, le fils de Claude Wagner, dit le chef de police.

« Juridiquement absurde, politiquement bête et socialement irresponsable », a-t-elle écrit. Qu’en est-il ? La Fédération des parents francophones et le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique poursuivaient le gouvernement pour faire respecter le droit de recevoir une éducation en français. S’appuyant sur une loi britannique datant de 1731, qui stipulait que les procès devaient se dérouler en langue anglaise, le gouvernement a exigé que l’importante documentation présentée par les francophones soit traduite. La Cour suprême a soutenu que le respect des compétences des provinces avait préséance sur la défense du français. Josée Boileau en a tiré la conclusion suivante : « Lorsque c’est le Québec qui défendait ses prérogatives, notamment linguistiques, la Cour suprême trouvait manière de lui rabaisser le caquet… »

Pour parodier le vieux fabuliste, on voit bien qui, ici, est puissant ou misérable. Et ce n’est pas d’aujourd’hui que les jugements de cour permettent de le vérifier.

En février 1974, le juge G. Montgomery, de la Cour supérieure, avait émis une injonction interdisant aux travailleurs de la Canadian Gypsum de Joliette de pénétrer à l’intérieur d’un périmètre de 1000 pieds de l’usine. Cette décision du juge était à sa face même absolument ridicule, car des familles de travailleurs habitaient des maisons situées à l’intérieur de ce périmètre. Comble de mépris, le jugement, s’adressant à des travailleurs dont l’immense majorité était unilingues francophones, était tout entier rédigé dans la seule langue anglaise. Mais c’était avant la loi 22 ; c’était avant la loi 101.

À l’hiver 1987, un citoyen de langue française recevait un jugement rédigé en anglais. Se plaignant de la chose auprès du juge en chef Allan B. Gold, ce dernier donnait raison à celui qui avait rédigé le jugement, le juge Hannan. Cela, semble-t-il, aurait constitué un déni de justice que d’empêcher le juge en question de rédiger son jugement dans sa langue à lui. Ah bon ! On imagine d’ici la tête d’un citoyen français recevant un jugement dans la langue italienne, d’un citoyen étasunien recevant un jugement en langue espagnole, d’un citoyen britannique recevant un jugement en langue française. Mais la chose s’est faite ici. Faut croire que dans un pays qui fonctionne la tête en bas, il importe davantage que ce soit le juge qui obtienne justice que le justiciable.

La récente levée de boucliers pancanadienne contre le projet d’éclaircir ce que sont les valeurs québécoises – l’ineffable Charles Taylor y allant d’une comparaison avec la Russie de Poutine – a ramené à la surface la réaction complètement délirante qui avait accueilli le cahier pédagogique Parlons de souveraineté à l’école, publié par le Conseil de la souveraineté à l’intention des enseignantes et enseignants. Un commentateur l’avait qualifié de « sovietissime ». Décidément ! On avait évoqué le spectre de la Corée du Nord, de l’Albanie. Jean Charest précisant : l’Europe de l’Est d’avant la chute du Mur.

Lors de ce tsunami au cours duquel on s’est acharné sur le baudet, on avait bien sûr occulté toutes ces entreprises d’intoxication fédérales agissant tous azimuts dans les écoles et ailleurs : le couronnement de la Reine, la bataille des Plaines, les 100 ans de la RCMP, le 75e anniversaire de la Monnaie royale et autres occupations du canadian building. Il aurait fallu se taire et laisser les autres parler à nos enfants. Les laisser leur enseigner notre histoire et vanter la noblesse du conquérant en occultant les pillages, les viols, les incendies et les massacres perpétrés par les soldats de Sa Majesté britannique. Il aurait fallu ne pas rappeler les engagements oubliés, les coups de force du fédéral, la corruption, le référendum volé et le viol des consciences.

Bien entendu, les racistes, les fascistes, les xénophobes, les agités du bocal identitaire, ce sont ceux dont on rit en pleine face dans ce pays supposément à deux langues officielles, ce sont ceux qui présentent l’autre joue quand on les ridiculise, ce sont ceux qui sont trop heureux de disparaître entre le mur et la peinture pour déranger le moins possible les autres, ce sont ceux qui ont déjà eu comme devise Je me souviens, une devise peu à peu transformée pour devenir aujourd’hui : Tâchons d’être discrets lorsque nous respirons. C’est en effet quand on est à genoux dans la gravelle que les autres nous aiment !