Dix ans d’économies sur le dos des sages-femmes

2013/08/29 | Par Maude Messier

Le gouvernement du Québec annonçait la semaine dernière la création prochaine d'une maison de naissance sur le territoire du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance, à Montréal.

« Cela montre l'importance que notre gouvernement accorde au travail effectué par les sages-femmes au Québec. En accord avec notre Politique de périnatalité 2008-2018, nous souhaitons promouvoir davantage ce modèle d'organisation, qui répond au désir d'un nombre de plus en plus élevé de femmes », a déclaré le ministre de la Santé et des Services sociaux, Réjean Hébert, par voie de communiqué.

Si le Regroupement Les Sages-femmes du Québec (RSFQ) accueille l’annonce avec joie, impossible cependant de passer sous silence les tumultueuses négociations en cours entre l’association professionnelle des sages-femmes, qui est le porte-parole officiel, et le gouvernement du Québec depuis maintenant deux ans.

« Les études pleuvent et il est clairement démontré que les sages-femmes font sauver de l’argent au gouvernement. C'est la continuité relationnelle offerte par les sages-femmes et leur disponibilité qui donnent d'aussi bons résultats. Tout le monde dit que la continuité, c’est fantastique, que ça coûte moins cher, mais le ministère ne veut pas payer les heures de gardes. C’est incohérent alors qu’il dit vouloir ouvrir plus de maisons de naissance, déplore la présidente du RSFQ, Claudia Faille, dans une entrevue accordée à l’aut’journal. Nous, ce qu’on dit, c’est que le gouvernement fait des économies sur le dos des sages-femmes depuis dix ans et qu’il faut que ça cesse. »

Une récente étude menée par une chercheuse du King's College London de Grande Bretagne, Jane Sandall, révèle que les femmes enceintes sont moins susceptibles d'accoucher prématurément et qu’elles ont moins besoin d'interventions médicales. Les chercheurs concluent, par ailleurs, que toutes les femmes devraient être encouragées à faire appel à une sage-femme, sauf en cas de problèmes médicaux ou obstétricaux.


Deux ans de piétinements

Les conditions de travail des sages-femmes font l’objet d’une entente de services avec le ministère de la Santé et des Services sociaux datant de 2004. Visées par le décret du secteur public en 2005, « même si ce n’était pas notre place », aucune négociation pour le renouvellement de cette entente n’était possible avant le 1er avril 2010. Le RSFQ s’est donc présenté en juin 2011 avec un projet d’entente complètement redessiné.

« Il faut comprendre qu’on travaille depuis dix ans avec une entente non satisfaisante, parce qu’adoptée sous la menace d’un décret, avec son lot de problèmes et d’injustices. »

Le RSFQ réclame la parité de la rémunération des heures de gardes et des horaires défavorables avec les autres professionnels du réseau de la santé.

Claudia Faille explique que les professionnels du réseau reçoivent une heure de salaire pour huit heures de garde. Les médecins en obstétrique reçoivent plutôt un montant forfaitaire annuel pour les heures de gardes. Les sages-femmes, quant à elles, sont rémunérées 8 $ pour huit heures de garde. « C’est un dollar de l’heure ça! Il faut savoir que les sages-femmes font dix jours de garde sur quatorze. »

Concernant les primes pour les horaires défavorables, « nous n’en avons pas, contrairement aux professionnels du réseau. Nous voulons une rémunération équitable. »

Elle explique, par exemple que, lors d’un transfert à l’hôpital en pleine nuit, « le personnel en obstétrique au travail sur place recevra une prime. Mais pas la sage-femme, qui poursuit pourtant son travail sur place, même si ça devient un travail d’accompagnement. »

Pour Claudia Faille, il est évident que les sages-femmes ne sont pas reconnues à la hauteur de leurs compétences et que les responsabilités liées à leurs fonctions sont niées. « Notre statut est similaire à celui des médecins de famille qui pratiquent en obstétrique. Dans ce cadre précis, nous avons une formation similaire [un baccalauréat de quatre ans et demi], les mêmes responsabilités et la même charge face à l’acte médical qu’est l’accouchement. »

Le salaire annuel des sages-femmes au Québec se situe autour de 50 000 $, 55 000 $ en comptant les primes et les gardes. En Ontario, elles gagnent jusqu’à 92 000 $ par année pour du temps complet et jusqu’à 124 000 $ en Colombie-Britannique.

Deux ans après le début des négociations, et plus d’une vingtaine de rencontres avec les négociateurs du ministère, c’est l’impasse. La présidente de RSFQ s’indigne du peu de progrès et du fait que des « luttes acharnées » aient été nécessaires pour l’obtention de réponses à des demandes à coûts nuls pour le ministère, telles que la retraite progressive et les congés sans solde pour du travail humanitaire et de la formation liée à l’avancement de la profession.

« Nous n’avons cessé de couper nos demandes. C’en est assez! Le gouvernement méprise notre pratique et notre expertise professionnelle. S’il s’agissait d’un groupe de médecins, ça ne se passerait jamais comme ça. Mais nous ne sommes qu’un petit groupe de femmes qui représentent des femmes… »

Après un blitz de négociations de trois jours à la mi-août, pour lequel le MSSS devait obtenir de nouveaux mandats, l’offre du ministère est jugée nettement dérisoire par le RSFQ. « Elle représentait en gros une hausse de 375 $ par année par sage-femme à temps complet, ce qui ne représente que le tiers des sages-femmes. Rien pour les autres. La grande majorité travaille 28 heures par semaine, justement en raison des exigences des horaires et des gardes. »

Claudia Faille se dit particulièrement insultée et soutient que, vérifications faites, les nouveaux mandats n’étaient pas sur la table au moment du blitz, tel que garanti. « Ils nous font perdre notre temps. Ils étirent le processus. En plus, il faut savoir qu’ils ont affirmé qu’aucune rétroaction ne serait versée pour les gardes. Ils nous niaisent et gagnent du temps, et de l’argent. »

Le RSFQ et ses membres comptent intensifier les moyens de pression pour faire bouger le dossier. « Nous passerons bientôt en deuxième vitesse. Je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant. »

Il y a actuellement dix maisons de naissance au Québec, auxquelles s’ajoutera sous peu celle du CSSS Jeanne-Mance, la 3e à Montréal.

Des services sages-femmes sont offerts à Chicoutimi et dans Lanaudière, l’ouverture des maisons de naissance devraient normalement suivre. Des projets sont aussi en développement un peu partout ailleurs au Québec.

Crédit photo : Chantal Poirier - RSFQ